samedi 21 janvier 2023

AU-DESSUS D'AMBITIONS PARTIDAIRES DE QUELQUES-UNS ENCORE, BESANCENOT VOIT "LE RETOUR D'UNE ACTIVITE SOCIALE ET POLITIQUE EXTRA-PARLEMENTAIRE, UNE REALITE BIEN ANCREE DANS CE PAYS"... (1)

Retraites : l’épreuve du feu social pour la Nupes

Après le succès du 19 janvier, La France insoumise défilera samedi à Paris avec des organisations de jeunesse. Unie mais fragilisée par des divergences stratégiques et des batailles internes, la gauche espère resserrer ses liens dans le cadre de ce mouvement social.

Mathieu Dejean  / Médiapart

20 janvier 2023 à 12h14 

 

Depuis quelques jours, les boucles internes de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) sont en surchauffe – comme au bon vieux temps des élections législatives pour lesquelles cette union inédite entre La France insoumise (LFI), le Parti socialiste (PS), le Parti communiste français (PCF), Europe Écologie-Les Verts (EELV) et Génération·s a vu le jour. La réforme des retraites annoncée par Élisabeth Borne le 10 janvier, repoussant à 64 ans l’âge légal de départ, sonne l’heure de son baptême du feu social. 

« Il y a une permanence de la lutte des classes, et parfois ça se cristallise : nous sommes dans ce moment-là. La Nupes, qui a fait ses premières classes électorales, va maintenant faire ses premières classes sociales », plante le député insoumis Alexis Corbière. Meetings unitaires, réunions publiques en circonscription, caisses de grèves, travail sur des propositions alternatives communes et bientôt « ateliers de lecture » du texte de loi pour le décrypter, comme avec le Traité constitutionnel européen (TCE) en 2005 : tout s’enchaîne très vite. 

Les leaders politiques de la Nupes lors du meeting contre la reforme des retraites à Paris, le 17 janvier 2023. © Photo Sébastien Calvet / Mediapart

À commencer, après le succès de la journée d’action du 19 janvier organisée par l’intersyndicale (réunissant exceptionnellement huit syndicats), par la manifestation du 21 janvier à l’appel d’organisations de jeunesse (L’Alternative, Voix lycéenne, Jeune Garde, Jeunes insoumis et Jeunes écologistes entre autres). Celle-ci a été tôt soutenue par LFI, qui a aidé à sa préparation et a été rejointe par le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) et Génération·s.

La désunion de la Nupes derrière cette date indique cependant déjà les écueils des prochaines semaines. LFI, qui a fait des grandes marches nationales organisées le week-end sa spécialité, a été accusée de vouloir préempter le mouvement social en imposant son calendrier aux syndicats. Ceux-ci n’avaient pas encore décidé de leur journée d'action le 19 janvier quand LFI prenait les devants pour le 21. 

Dans ses propres rangs, des voix se sont élevées – souvent les mêmes qui ont dénoncé le manque de pluralisme dans la nouvelle direction du mouvement – pour s’inquiéter du message ainsi envoyé. « Ça confirme que ce serait bien qu’il y ait toutes les sensibilités à la direction. Plus la diversité de nos expériences, de nos parcours, est respectée, plus nos décisions peuvent être bonnes et efficaces », déclare ainsi le député insoumis Éric Coquerel. 

« C’est une erreur politique et tactique », estime sur le fond Léon Deffontaines, secrétaire général des Jeunes communistes, qui n’appellent pas à la marche du 21. « Les syndicats ont réussi à constituer un front très large. À l’heure actuelle, je trouve donc que cette manifestation le 21 janvier revient à tirer la couverture à soi de la part de LFI. Je le déplore car le rôle des politiques est de soutenir l’élan syndical », explique ce proche du secrétaire national du PCF Fabien Roussel. 

Chacun son rythme

Les partenaires de LFI au sein de la Nupes ont aussi vu dans l’organisation hâtive de cette marche une rémanence de la volonté hégémonique du mouvement mélenchoniste. « Le combat sur les retraites, et la manière dont on va le mener, sera une validation ou pas de la Nupes. Les responsables insoumis vont devoir comprendre que personne ne veut d’une LFI hégémonique : ni les syndicats ni les partis », résume Alain Coulombel, membre du bureau exécutif d’EELV. 

De son côté, la députée insoumise Aurélie Trouvé, qui pilote en partie l’organisation de la marche du 21, se défend de toute velléité de faire main basse sur le mouvement : « Très sincèrement, nous sommes ravis que ce soit l’intersyndicale qui ait donné le top départ. » Elle assume cependant une stratégie du « foisonnement » : « C’est avec un foisonnement de mobilisations, avec la colonne vertébrale des syndicats, qu’on peut gagner. Il faut des appels des jeunes, des féministes, des assemblées de quartier, de la désobéissance civile… C’est ce que nous défendons, et nous allons y travailler dans les semaines à venir. »

Depuis la fin des élections législatives, les Insoumis mènent une campagne permanente à grand renfort de meetings contre la vie chère en prévision d’une hypothétique dissolution de l’Assemblée nationale. D’où la tentation de considérer la mobilisation actuelle comme une nouvelle opportunité dans le cadre de cette lutte politique. Le souvenir de la victoire de la gauche plurielle dans les urnes en 1997, considérée comme un effet différé des mobilisations victorieuses de 1995 contre le plan Juppé, n’est pas oublié. 

« Si le gouvernement est obligé de plier, je ne sais pas s’il n’est pas obligé de dissoudre, et s’il dissout après une victoire de la gauche dans la rue, c'est une victoire de la gauche dans les urnes. Si ça devient très chaud, avec des grèves reconductibles, il faut que les gens soient conscients qu’on peut changer de majorité », analyse ainsi le député des Bouches-du-Rhône Hendrik Davi. 

Meeting de la NUPES contre la reforme des retraites à Paris, le 17 janvier 2023. © Photo Sébastien Calvet / Mediapart

Avant d’en arriver là, LFI doit cependant compter sur les syndicats, pierre angulaire des mobilisations dans le monde du travail. « La réalité des choses, c’est que les syndicats ont la main, et que c’est l’intersyndicale qui donne le rythme, même si pour Solidaires, tout ce qui peut renforcer le rapport de force est bon à prendre, à partir du moment où on respecte l’autonomie des structures », déclare ainsi Simon Duteil, codélégué général de Solidaires. « On veut que le mouvement social gagne, c’est notre premier objectif politique, et tant mieux si cette victoire entraîne autre chose après », ajoute-t-il. 

En tant que président de la commission des finances, Éric Coquerel a échangé ces derniers jours avec les responsables syndicaux, dont Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, et celui de la CGT, Philippe Martinez, leur assurant de son soutien. Une diplomatie d’autant plus importante que l’échec des discussions sur une marche unitaire contre la vie chère le 16 octobre dernier a brouillé les relations entre Jean-Luc Mélenchon et Philippe Martinez. 

Le fondateur de LFI, ancien député des Bouches-du-Rhône, a d’ailleurs défilé à Marseille ce 19 janvier. Coïncidence ou pas, c’est là que le secrétaire général de l’union départementale de la CGT, Olivier Mateu, s’est déclaré candidat pour briguer la tête de l’organisation (qui tient bientôt son congrès) face à la candidate désignée par la direction sortante, Marie Buisson. 

Rester groupés

Dans ce contexte, Éric Coquerel tient à remettre de l’huile dans les rouages : « Pas une seule fois dans l’histoire des luttes sociales, sur le sujet des retraites et quand il y a eu l’unité syndicale, il n’y a pas eu des mobilisations syndicales monstres. J’ai toujours pensé que les dates de l’intersyndicale devaient être prioritaires. On peut avoir des initiatives à côté, y compris le week-end, mais il faut être d’accord sur le fait que ce seront des affluents. Le fleuve, c’est la mobilisation syndicale. Il faut qu’on hiérarchise bien les choses. » 

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En filigrane, la théorie du « front du peuple » élaborée par Jean-Luc Mélenchon, qui pouvait être interprétée comme une volonté de se substituer aux syndicats, semble être amendée sous l’effet du réel. « On rêve d’une porosité entre mouvement syndical et politique – c’était l’idée du parlement de l’Union populaire –, mais quand, dans un tel front, un mouvement syndical uni appelle à la grève, on se met derrière lui, on n’a aucun problème », convient la députée Danielle Simonnet, une historique du Parti de gauche. 

C’est donc paradoxalement une union fragilisée, mais qui peut s’appuyer sur un bataillon de 151 député·es, et obligée par la puissante mobilisation du 19 janvier, qui va mener la bataille des retraites à gauche – un peu à l’Assemblée nationale (qui servira de « caisse de résonance pour l’appropriation par tous de nos arguments », selon les termes du député socialiste Jérôme Guedj), et beaucoup dans la rue. 

« C’est le retour d’une activité sociale et politique extra-parlementaire, qui est une réalité bien ancrée dans ce pays », affirme Olivier Besancenot, porte-parole du NPA, qui voit dans cette lutte « le meilleur moyen de resserrer des liens entre toute la gauche sociale et politique, dans son pôle anticapitaliste ». Resserrer les liens, c’est bien tout l’enjeu des prochains jours. « Le plus terrible serait de subir une défaite dans laquelle notre camp s’est disloqué », conclut Alexis Corbière.

Mathieu Dejean

 

(1)   Et d'ajouter que cette lutte est "le meilleur moyen de resserrer des liens entre toute la gauche sociale et politique, dans son pôle anticapitaliste" - oui, anticapitaliste : dans les circonstances présentes, des personnalités comme Mayer-Rossignol, et également Roussel pour d'autres raisons, finiront-elles par entendre cet argument incontournable ?

J.P. C. 

 

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