samedi 21 janvier 2023

CRIMES ENVIRONNEMENTAUX / UN VIDE JURIDIQUE CRIANT : L'ECOCIDE N'EST PAS (ENCORE) INSCRIT DANS LE DROIT INTERNATIONAL.

 

La traque de ceux qui tuent la planète

Le « prince du carbone », le « roi de l’ivoire »... Dans la série documentaire « Planet Killers », Martin Boudot part à la poursuite de criminels environnementaux. Sur France 5 à partir du 23 janvier.

 

  Reporterre  / 21.1.2023

Trafic d’espèces sauvages ou de bois précieux, pollution criminelle, pêche et exploitation minière illégale… Selon Interpol, l’organisation internationale de coopération policière, les crimes contre l’environnement génèrent entre 100 milliards à 250 milliards d’euros par an de bénéfices. Ces écocides sont presque toujours connectés à d’autres formes de criminalité et, souvent, au terrorisme.

Avec Planet Killers, sa nouvelle série documentaire diffusée sur France 5 à partir du 23 janvier (à 21 heures et 21 h 50), Martin Boudot, prix Albert Londres pour sa série Vert de rage, suit avec l’unité des crimes environnementaux d’Interpol la traque de criminels fugitifs recherchés qui font l’objet de « notices rouges » — des demandes d’arrestation en vue d’extradition émises par Interpol.

Bien que, en 2016, la Cour pénale internationale ait élargi son mandat à certains crimes environnementaux, l’écocide n’est pas inscrit dans le droit international, les lois ne sont pas adaptées, les coupables rarement attrapés et les peines encourues sont plus faibles que pour d’autres crimes. Qu’ils soient hommes de main ou donneurs d’ordre, rares sont les responsables d’écocides en prison. Par ailleurs, Interpol ne s’intéresse pas encore aux industriels prédateurs, lobbyistes, banquiers et politiciens qui organisent la prédation.

Le truand du carbone

Le premier documentaire de la série met en scène Cyril Astruc, un escroc flambeur poursuivi pour escroquerie et blanchiment d’argent en bande organisée. Recherché par toutes les polices, Cyril Astruc est l’un des cerveaux du « casse du siècle », une arnaque à la TVA sur les quotas de carbone. C’est la fraude fiscale la plus importante jamais enregistrée en France en un temps aussi bref, entre 2008 et 2009. Lui et ses associés auraient fait perdre en huit mois environ 1,6 milliard d’euros de recettes fiscales à la France et 5 milliards d’euros à l’ensemble des pays de l’Union européenne.

Fabrice Arfi, journaliste de Mediapart, explique la création du marché du carbone : l’Union européenne et ses États membres, engagés par le protocole de Kyoto (1997) à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, ont créé en 2007 une bourse des quotas de carbone. Quelques gangsters en ont rapidement vu les failles : formalité d’entrée très simple — une société fictive suffisait —, et des transactions soumises à la TVA, qui rapporte aux États sur chaque opération. Pendant des mois, avec des centaines de sociétés fictives, les escrocs ont fait tourner les quotas carbone, achetant hors TVA dans un pays étranger avec une des sociétés, puis revendant en France à une autre société en facturant la TVA, mais sans la reverser à l’administration fiscale.

Cyril Astruc est l’un des cerveaux du « casse du siècle », une arnaque à la TVA sur les quotas de carbone. © Planet Killers

En juin 2009, les autorités françaises ayant enfin découvert le pot aux roses ont décidé d’exonérer les quotas de TVA. Le marché du carbone s’est effondré. Europol, l’organisation européenne des polices, a calculé que dans certains pays, jusqu’à 90 % des transactions sur le marché du carbone provenaient d’activités frauduleuses. La fraude a tué le système, explique Emmanuel Dusch, officier des douanes judiciaires, un système considéré par de très nombreuses associations comme inefficace, coûteux et contreproductif. Mais qui a cependant perduré en étant profondément réformé.

Cyril Astruc est le suspect numéro 1 de l’escroquerie du siècle, le grain de sable dans les rouages de Kyoto. Policiers et douaniers sont à ses trousses depuis qu’il a réussi à sortir illégalement de France en 2017, pendant son procès. Il est à l’heure actuelle confortablement installé avec sa famille en Israël.

Le brigand de l’ivoire

Samuel Jefwa, le second personnage de la série est, lui, un pur criminel environnemental. Dealer en ivoire, il est l’un des nombreux responsables de la diminution du nombre des éléphants au Kenya : entre 2010 et 2012, environ 100 000 éléphants ont été tués pour leur ivoire. La demande, surtout asiatique, augmente et les prix aussi. En 1930, il y avait plus de 5 millions d’éléphants en Afrique ; en 1979, 1,3 million. Il en reste moins de 400 000 aujourd’hui, dont 36 280 seulement au Kenya.

Samuel Jefwa est le cerveau armé d’un vaste trafic à échelle industrielle mis au jour en avril 2015, lorsque les douaniers thaïlandais ont découvert à Singapour plus de 3 tonnes d’ivoire venant du Kenya et cachées dans des conteneurs de thé. Samuel Jefwa l’a appris et a réussi à s’enfuir avec son frère Nicholas. Du Kenya à Singapour, en passant par Seattle, aux États-Unis, l’enquête a révélé que les deux frères sont liés à tout un réseau et à de nombreuses cargaisons d’ivoire livrées dans les ports du monde entier. Un trafic qui rapporte des dizaines de millions de dollars. Le documentaire évoque leurs connexions avec les plus hautes sphères de l’État kényan. La traque s’intensifie, certains ont été pris, mais Samuel Jefwa court toujours.

 

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