Covid-19 : Sanofi, dernier de la course aux vaccins, premier en lobbying
Le vaccin contre le Covid-19 de Sanofi a enfin été autorisé en Europe, en bon dernier. Parmi les participants à cette compétition, le laboratoire français est celui qui a le plus dépensé pour influencer Bruxelles et Paris ces deux dernières années.
Sanofi arrive en dernier de la course aux vaccins contre le Covid-19 mais premier en lobbying. C’est le septième pour lequel la Commission européenne a donné son feu vert à la commercialisation, jeudi 10 novembre. Il y a toutefois une compétition que le groupe pharmaceutique remporte : parmi ses concurrents, c’est celui qui a le plus dépensé pour faire pression sur les pouvoirs publics français et européens ces deux dernières années.
Son budget lobbying monte à 5 millions d’euros, selon les calculs de Mediapart qui a comparé l’argent de l’influence déployé par chacun des fabricants. Le groupe français Sanofi a investi 1,125 million d’euros en 2020 pour essayer d’infléchir les décisions des politiques de l’Hexagone… Et encore plus en 2021, notamment pour assurer le long et laborieux service après-vente : autour de 1,375 million d’euros, selon le répertoire des représentants d’intérêts de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).
Ces deux dernières années, la multinationale a prévu exactement autant d’argent pour peser dans les choix de Bruxelles, selon le registre de la transparence de la Commission européenne.
Deuxième à signer, dernier à livrer
Les jeux se sont faits dès la ligne de départ. Au printemps 2020, le PDG de Sanofi Paul Hudson avait choqué en annonçant qu’il réserverait aux Américains les premières doses fabriquées aux États-Unis. Le coup de bluff a fonctionné. La firme a été le deuxième cheval sur lequel l’Europe a misé en signant un contrat dès le 18 septembre 2020, avant même d’en conclure un avec Pfizer-BioNTech ou Moderna.
À l’époque, Johnson & Johnson a aussi devancé les deux grands gagnants du marché des vaccins contre le Covid-19. D’ailleurs, le laboratoire américain figure sur la deuxième marche du podium des fabricants de ces produits les plus dépensiers en lobbying, juste devant Pfizer. Mais au moins, le vaccin de Johnson & Johnson est arrivé à temps pour la vaccination initiale : ce n’est pas le cas de celui de Sanofi.
Le produit français basé sur une technologie traditionnelle ne représentera pas un moyen pour convaincre les moins de 7 % de la population non vaccinée, selon les chiffres de Santé publique France et de l’assurance maladie. En effet, pour se faire inoculer une dose de rappel de Sanofi, il faut être majeur et au préalable avoir reçu celles produites par Pfizer-BioNTech, Moderna, AstraZeneca ou Johnson & Johnson.
Mais Sanofi a de la ressource : suite à ses multiples retards, il a aussi réussi à transformer en rappel les piqûres prévues à la base pour la primo-injection. En tout, la France a acheté 20 millions de doses de vaccins à Sanofi, soit plus du quart de la commande européenne, à un tarif estimé autour de 9 euros l’unité. La facture s’élèverait alors à 180 millions d’euros pour l’État français : la mise de départ de 5 millions d’euros de lobbying, tous produits de Sanofi confondus, est rentabilisée d’un seul coup.
Or la France a-t-elle besoin des doses de Sanofi ? Au 5 octobre, elle avait déjà en stock près de 38 millions de vaccins classiques (élaborés en fonction de la souche originelle du virus), selon les calculs de Mediapart réalisés à partir des chiffres du ministère de la santé. Or leur date de péremption approche : ils risquent alors d’être jetés à la poubelle. Par ailleurs, l’État attend la livraison d’ici à la fin de l’année de 38 millions de doses supplémentaires de vaccins Pfizer-BioNTech et Moderna adaptés au variant Omicron, contrairement à celui de Sanofi…
La firme tricolore a choisi de l’adapter au variant Beta, qui a fait une brève apparition au printemps 2020 : « Les essais cliniques ont démontré sa capacité à protéger contre les variants en circulation, y compris Omicron », précise-t-elle. D’ailleurs, l’agence européenne des médicaments estime qu’une dose de rappel du vaccin de Sanofi, baptisé VidPrevtyn Beta, « devrait être au moins aussi efficace que Comirnaty [le vaccin de Pfizer – ndlr] pour restaurer la protection contre le Covid-19 ».
Un autre laboratoire français, ou plutôt franco-autrichien, Valneva, a obtenu le droit de vendre son vaccin avant même Sanofi, en juin 2022. En revanche, la commande de l’Europe a bien failli être annulée. Rendue prudente par les retards à répétition passés, la Commission européenne a prévu que le contrat de pré-achat puisse être suspendu si Valneva n’obtenait pas le feu vert des autorités sanitaires moins de six mois après la signature.
Celui de Sanofi, lui, planifiait à la base une rupture s’il n’était pas honoré deux ans après, soit le 18 septembre 2022. Mais le géant pharmaceutique a bien assuré ses arrières : il a intégré dans son contrat la possibilité de livrer dans les six mois suivants son expiration, apprend-on dans sa version expurgée. Cela lui a sauvé la mise après une succession d’échecs. Et si Sanofi s’est entêté, c’est parce que le jeu en valait la chandelle : l’Europe lui a versé un acompte de plus de 300 millions d’euros, selon nos informations.
Comment expliquer ce deux poids, deux mesures ? Interrogée, la Commission répond qu’« au fur et à mesure des négociations avec d’autres compagnies, la Commission a pu apprendre de son expérience et introduire de nouvelles clauses contractuelles dans les contrats, telle que celle conditionnelle à l’obtention de l’autorisation sur le marché ».
Sanofi, le loser le plus gâté de FranceLa commande européenne des produits de Valneva a finalement été réduite à portion congrue avec 1,25 million de doses achetées dont… zéro par la France. Ses réfrigérateurs débordent déjà et « le vaccin de Valneva dispose d’une autorisation de mise sur le marché pour les 18-50 ans pour la primo-injection, cela restreint le champ », justifie le ministère de la santé.
« En tant que PDG d’une entreprise française, j’ai été très déçu que la France ne commande pas notre vaccin. Je m’attendais au moins à une petite commande », livre Thomas Lingelbach, le patron de Valneva qui vient d’annoncer la suppression de près d’un quart de ses effectifs. Comment explique-t-il la différence de traitement avec les « Big pharma » comme Sanofi ? « Nous n’avons pas les mêmes moyens de lobbying, nous sommes une petite entreprise », lâche l’homme d’affaires.
En l’occurrence, le registre de la transparence européen mentionne entre 100 000 et 200 000 euros d’argent dépensé en lobbying en tout par Valneva, et il n’apparaît même pas dans le répertoire français… Le laboratoire installé dans la région nantaise est parvenu à arracher un seul et unique rendez-vous avec un membre de la Commission européenne, en l’occurrence, le Français Thierry Breton, en mars 2021. Sanofi, lui, a obtenu sans peine 26 entrevues avec les plus haut·es décisionnaires de l’Europe depuis 2014, dont cinq durant l’année clé de 2020, celle du grand coup de bluff.
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