« En
ce 1er septembre 2022, j’ai l’impression d’assister à une fin de partie
de “Jenga”. Jenga vous connaissez ? Ce jeu où il faut enlever une par
une les pièces en bois d’une tour qui à chaque minute se déséquilibre un
peu plus. » Fred Grimaud,
professeur des Écoles évoquait, à la veille de la rentrée, le désastre
de la paupérisation de l’Education nationale au moyen d'une métaphore
ludique. Mais il est aussi tenté de se dépeindre en
« collapsologue de l’école ». Car
cet été, les “jobs dating” médiatisés ont mis en lumière la
démonétisation d’un métier et la précarisation des travailleurs.
Ce
phénomène de “job dating”, qui emprunte très ironiquement au registre
de la rencontre amoureuse, mais aussi au langage managérial
« que l’on infuse par brassées de douze litres dans l’enseignement depuis quelques années » selon la formule de
Monsieur Samovar,
se pratiquait depuis des années dans le secret des bureaux du rectorat.
Et la pratique, rendue spectaculaire cet été, n'est pas un fait divers.
Elle
« s’inscrit dans un mouvement plus large de remise en cause du statut de la fonction publique », explique
Philippe Watrelot.
Grande braderie et « trousse à outils minimale » Ces embauches au rabais suivies de formations de quatre jours génèrent,
d'après Paul Devin, ancien inspecteur de l'Education nationale et secrétaire général du SNPI-FSU,
«
une fragilisation professionnelle qui augmente les risques
psychosociaux, conduit à des démissions et renforce les représentations
néfastes à l’attractivité de la profession. » C’est le cercle vicieux :
« la pénurie dégrade les conditions d’exercice, ce qui renforce la baisse d’attractivité et donc la pénurie. » Aussi les formations sont-elles réduites à une
« trousse à outils minimale » pour un métier
« dont la complexité d’exercice nécessiterait une maîtrise de haut niveau. » Certes,
on pourrait noter à raison, comme le fait Philippe Watrelot, que
professeur est un métier qui s’apprend. Qu’un bagage de connaissances
seul ne suffit pas ; qu’enseigner devrait être accessible à des
travailleurs de toutes classes sociales. Mais cette grande braderie
recèle une démocratisation factice : une dilapidation par la
néolibéralisation du métier, et sa
« déqualification », comme l’explique Fred Grimaud.
« C’est le chaos qui s’installe, dans des pans entiers »,
résumait récemment François Ruffin. Le travail est brutalisé, esquinté, considéré comme un
« coût à diminuer », ajoute le député insoumis, organisant
« l’écrasement du travail, par les revenus, par les statuts, par le temps, par la pression ».
La « crise des vocations » ou l'abandon d'un idéal Ce que certains médias appellent pudiquement la
« crise des vocations »,
les témoignages et analyses du Club en racontent les coulisses. Ainsi
nommée par un sobriquet dépolitisant, la vague de démissions ressemble à
un mauvais caprice. Elle est décrite comme une bifurcation
primesautière, la saute d’humeur de travailleurs peu persévérants.
Pourtant,
elle est pour beaucoup le douloureux abandon d’un idéal. Un reniement
relaté par deux contributrices, dans de longs récits rétrospectifs en
plusieurs épisodes, intitulés
« La vocation » et
« Abnégation ».
Elles y retracent l’accumulation des humiliations minuscules et des
sacrifices, la maltraitance institutionnelle, l’exténuation progressive,
puis le remords de laisser derrière soi
« des enfants cabossés et rieurs, de parents valeureux et modestes, de collègues engagés et résiliants ». Mais
« après
12 ans de chemins de traverse, la coupe est pleine. J’ai été bien
résistante mais là je suis abîmée. Alors je sauve ma peau, je pars », écrit
Halawalex.
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