mercredi 4 mai 2022

ALLIES DES "TENORS PS TOMBES EN DESUETUDE", UNE POIGNEE D'EDITORIALISTES QUI "MOQUAIENT LA DIVISION DE LA GAUCHE... AUJOURD'HUI SE MORDENT LES DOIGTS" DE SON UNION SUR UNE LIGNE DE RUPTURE !

Union des gauches : le cercle de la raison panique

La possibilité qu’un espace pluraliste de gauche radicale et écologiste se consolide sur la durée soulève un vent de panique chez les tenants du statu quo. Et pour cause : la logique politique de l’union sur une base de rupture est en bonne voie. 

 

Mathieu Dejean  / Médiapart

3 mai 2022 à 19h27 

 

Colère, fébrilité et trépignements. À mesure que la possibilité d’un accord de toutes les gauches et des écologistes en vue des élections législatives des 12 et 19 juin se concrétise, le « cercle de la raison » politico-médiatique flirte avec la crise de nerfs. La centralité politique du courant mélenchoniste depuis le 10 avril (fort de 22 % des suffrages exprimés), et sa potentielle capacité d’entraînement pour recomposer la gauche ne passent pas auprès des défenseurs zélés du statu quo

L’exigence de maintenir cet espace morcelé pour garantir son impuissance politique (de multiples oppositions, pas d’opposition) donne lieu depuis quelques jours à des convergences insolites. Europe Écologie-Les Verts (EELV) et le Parti socialiste (PS), en particulier, ne mesuraient pas le nombre d’alliés, soucieux de leur pureté idéologique, qu’ils avaient dans les rangs de La République en marche (LREM), chez Les Républicains (LR) et jusqu’au Rassemblement national (RN). 

Montage © Sébastien Calvet / Mediapart
 

Jean-François Copé, Éric Woerth, Julien Odoul, Aurore Bergé, Sacha Houlié, Fabienne Keller, François Bayrou, Jordan Bardella (pour ne citer qu’eux) se sont émus sur tous les tons du « déshonneur » qu’il y avait à s’allier avec l’Union populaire de Jean-Luc Mélenchon. On ne bradera pas « le grand courant social-démocrate » comme ça – dixit François Bayrou ! 

La chute des vieux éléphants

À leur grand dam, le centre de gravité de la gauche est pourtant bel et bien en train de se déplacer, refermant potentiellement la « parenthèse libérale » ouverte par Lionel Jospin en 1983. 

D’anciens ténors du PS tombés en désuétude – de François Hollande à Jean-Christophe Cambadélis, en passant par Julien Dray –, craignant pour la « disparition » de leur famille politique, ne sont pas les derniers à récriminer. La disparition de leur décence, elle, les indiffère. 

« Jean-Luc Mélenchon ne peut unir ni les gauches ni les Français », prophétise l’ancienne figure de proue de la « Belle Alliance populaire » dans Libération. Sa candidate, Anne Hidalgo, assurait en janvier 2022 qu’elle était « la seule » à pouvoir rassembler « du centre-gauche au centre-droit », et donc à être capable de gagner. La force propulsive de la social-démocratie l’a fait culminer à 1,7 % des suffrages exprimés. Pour l’analyse politique, on repassera. 

Les actuels dirigeants socialistes qui, par une fulgurante accélération de l’histoire, sont en train de clarifier leur ligne en rompant avec l’héritage du hollandisme, se chargent de le leur rappeler. 

« Si on en est là aujourd’hui, c’est de la faute de qui ? Qui a sur le dos la responsabilité de l’échec de la gauche ? Qui a fait dans ce pays que la gauche qui avait tous les pouvoirs s’est retrouvée écroulée ? Je dis à ces éléphants : laissez-nous faire, vous avez sabordé le PS quand il était au plus haut niveau », a notamment répliqué le secrétaire national du PS aux élections, Pierre Jouvet, qui aura toutefois du mal à faire croire à une révolution dans la « vieille maison ». 

Une poignée d’éditorialistes se chargent encore d’amplifier la complainte des grincheux qui, avant le 10 avril, moquaient la division de la gauche et qui, aujourd’hui, se mordent les doigts de la voir s’unir sur une ligne de rupture, avec l’ambition de ravir la majorité à l’Assemblée nationale. 

Sur le sens et l’usage du mot « gauche »

Sur CNews, Élisabeth Lévy a vivement critiqué cette fièvre de l’union : « J’en veux beaucoup aux électeurs de gauche. Les questions de principe, ils s’en foutent. Ce qu’ils veulent, c’est l’union pour gagner. Le signifiant “gauche”, maintenant, c’est l’extrême gauche, mais ça leur suffit. » 

On pensait que l’émission « C ce soir », consacrée le 2 mai aux « gauches réconciliées », offrirait une trêve aux acteurs des négociations en cours, qui ont la lourde charge de faire tenir ensemble un bloc dont on connaît trop bien la friabilité, pour espérer imposer une bifurcation écologique et sociale. Aurélie Trouvé, qui fait partie des négociatrices et négociateurs du côté de l’Union populaire, y était invitée. 

Mais l’enclave médiatique était trompeuse. Après plusieurs salves du journaliste Renaud Dély sur l’impossibilité intrinsèque pour la « gauche radicale » d’exercer le pouvoir, la journaliste Laure Adler, ancienne conseillère culture de François Mitterrand, s’avance pour vérifier la nature du projet de la « Nouvelle Union populaire écologique et sociale » (nom de la coalition en train de se former). 

« Je suis une citoyenne comme une autre, de quelle gauche vous voulez ? Quel est l’esprit de la gauche ? On vient de parler de gauche plurielle, de Lionel Jospin, de François Mitterrand, d’union de la gauche. Vous savez comme moi que les femmes et les hommes politiques sont très discrédités dans l’opinion publique parce qu’ils se livrent à des petits calculs électoralistes – ce qui est légitime puisque c’est votre job. Mais je parle d’esprit », lance-t-elle. 

Aurélie Trouvé, qui rappelle qu’elle est enseignante et qu’elle a été pendant 15 ans dirigeante d’Attac, répond qu’elle incarne une gauche « altermondialiste ». Laure Adler la coupe, comme si elle en avait suffisamment entendu : « Donc, c’est votre gauche, votre gauche ! » 

Parce que la gauche altermondialiste n’entre pas dans les cases de la culture légitime, elle serait condamnée à l’impuissance et à la marginalité. C’est mal comprendre le renversement du pouvoir idéologique en cours.

Ce « votre gauche », il faut le prendre comme il est : une sommation à rendre le mot « gauche » à qui de droit. Mais les titres de propriété sont contestés par une gauche offensive qui occupe désormais une place centrale. Le cercle de la raison pourra toujours morigéner, sa sommation restera obstinément vaine. 

Mathieu Dejean

 

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