mercredi 2 décembre 2020

'UN PRESIDENT NE DEVRAIT PAS DIRE CA'... ET MÊME UN EX... ET MÊME QUELQUES AUTRES...

« T’es allé te magouiller avec Sarkozy » : les écoutes au cœur du procès Bismuth

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À la veille de l’audition de Gilbert Azibert, prévue ce mercredi 2 décembre, le tribunal a donné une longue lecture des écoutes Bismuth. Sur sa chaise, Nicolas Sarkozy ronge son frein.

Ses chaussures sont noires, vernies avec boucles. Elles sont à rude épreuve. Elles pivotent. Se lèvent. Se reposent. Tapent le sol. Battent la cadence. S’entrechoquent, en perpétuel mouvement. Tantôt l’une, tantôt l’autre. Tantôt les deux ensemble, ces deux chaussures ne cessent de bouger. Nicolas Sarkozy ne tient pas en place, ses jambes se croisent et de décroisent. Ses pieds trépignent sans arrêt. Assis au premier rang, face aux trois juges du tribunal correctionnel, l’ancien président est une boule de nerfs sur un fauteuil rouge. Et ses chaussures à boucle labourent le parquet en bambou tout neuf de la salle d’audience correctionnelle.

Ce mardi 1er décembre, le tribunal décide de joindre « au fond », c’est-à-dire de remettre à plus tard, au moment de son jugement, les demandes de nullités plaidées la veille par les avocats des trois prévenus. Pas de grand soir judiciaire, avec mort du procès dans l’œuf dès ce mardi, comme l’ont réclamé Mes Laffont et Temime lundi 30 novembre. Le procès reprend son cours.

Lignes téléphoniques clandestines

Après le faux départ de la première semaine, consacrée à l’état de santé de Gilbert Azibert, l’examen du dossier peut enfin commencer. Christine Mée, la présidente du tribunal, lit pendant près de quatre heures un long résumé de l’instruction. Elle commence par l’embrouillamini initial, l’affaire Bettencourt qui a valu à Nicolas Sarkozy une mise en examen pour abus de faiblesse avant qu’il n’hérite d’un non-lieu. Mais entre-temps ses agendas présidentiels ont été saisis dans l’enquête instruite à Bordeaux et en 2014, l’ancien président réclame leur restitution à la Cour de la cassation.

Deuxième niveau, poursuit la présidente Mée, le « dossier souche », c’est-à-dire l’affaire du financement libyen qui a provoqué la mise sur écoute de l’ancien chef de l’État sur ses deux portables officiels, à l’automne 2013. D’abord quatre mois puis quatre autres mois supplémentaires. Puis le 21 janvier 2014, le policier en charge du dossier libyen rédige un rapport dans lequel il fait état de l’existence de lignes téléphoniques clandestines, ouvertes au nom d’un certain « Paul Bismuth » et qui semblent utilisées par Nicolas Sarkozy.

« Bâtards de Bordeaux »

La présente affaire démarre. Sur les lignes « Bismuth », lorsqu’ils parlent sur des téléphones qu’ils croient à l’abri, l’ancien président et son avocat se lâchent… Ils rient des « bâtards de Bordeaux » en évoquant les magistrats de l’affaire Bettencourt ; Ils échafaudent des plans sur la comète concernant la Cour de cassation ; Ils se préoccupent surtout de cette question des agendas que Nicolas Sarkozy voudrait voir hors d’atteinte d’autres éventuelles procédures judiciaires. La magistrate lit les dizaines d’écoutes qui charpentent l’enquête.

Entre en scène, dans les conversations, « Gilbert », haut magistrat à la Cour de cassation. « Il part en chasse demain », annonce Thierry Herzog à l’ancien président. À écouter Bismuth, et les comptes rendus que fait Thierry Herzog à Nicolas Sarkozy de ses conversations avec « Gilbert », ce dernier se démène beaucoup dans les couloirs de la haute juridiction, non seulement pour « aller aux nouvelles » concernant le dossier des agendas, mais aussi pour « tenter d’influencer favorablement ses collègues ».

Dans le même temps, Gilbert Azibert, ancien procureur général de Bordeaux, est alors en poste à la chambre civile de la Cour de cassation. Sur les écoutes Bismuth, il semble violer avec allégresse le secret des délibérations de la Cour… « Un secret que les magistrats ont prêté serment de garder religieusement », selon un arrêt de la même Cour du 18 août 1882 !

Coup de pouce

L’affaire actuelle se met en branle d‘autant que « Gilbert » avertit Thierry Herzog qu’il est candidat pour un poste de magistrat à Monaco et semble attendre en retour un coup de pouce de l’ancien président. « Avec tout ce qu’il fait » dit l’avocat à l’ancien président sur une écoute.

Dans son long récit, la présidente Christine Mée revient aussi sur les innombrables demandes de nullités en tous genres soulevées par les trois prévenus pour tenter de torpiller l’enquête. Elle en donne une impressionnante liste : ils ont déposé des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) devant le conseil constitutionnel (une a été acceptée, l’autre refusée) ; Ils ont saisi de recours à plusieurs reprises la chambre de l’instruction, puis la Cour de cassation, soulevé des dizaines de vices de procédure, invoqué la Cour européenne des droits de l’Homme, la déclaration universelle des doits de l’homme de 1789. Mais à l’arrivée, balloté entre tous ces contentieux, le dossier des juges Thépaut et Simon a tenu bon. À écouter Christine Mée, c’est même un petit miracle qu’il ait atterri devant un tribunal…

« As-tu des nouvelles sur les pourvois qui m’intéressent ? »

Pour cette première journée sur le fond du dossier, le parquet national financier, qui soutient l’accusation, a fait citer un témoin. Il s’appelle Patrick Sassoust. Il est 18 heures passées quand cet homme longiligne s’avance pour prêter le serment de « dire toute la vérité ». Aujourd’hui magistrat à la chambre civile de la Cour de Cassation, il était avocat général à la chambre criminelle début 2014. Et ami avec Gilbert Azibert.

Interrogé par la présidente, ce magistrat explique qu’au sein de la haute juridiction, il était fréquent d’échanger entre procureurs et entre « magistrats de confiance » « sur des questions juridiques ». Les écoutes téléphoniques du dossier Sarkozy-Bismuth montrent que Patrick Sassoust échange beaucoup avec Gilbert Azibert. Les notes que Patrick Sassoust prenait, lors des réunions du parquet général tous les mercredis après midi ont toutes été saisies, mais celles de mars 2014, au moment de l’affaire Bettencourt n’ont pas été retrouvées. « Gilbert Azibert me parlait de sujets juridiques », admet le témoin, « cela ne m’est pas apparu anormal ». La présidente lui lit des écoutes ses lesquelles pourtant, il promet à Azibert de le « tenir informé de l’évolution de la procédure » Bettencourt. Curieux…

Mais Patrick Sassoust tient son cap : derrière ces demandes répétées, il n’a pas vu anguille sous roche. Il n’a pas compris non plus que son collègue était en mission pour le camp Sarkozy… « As-tu des nouvelles sur les pourvois qui m’intéressent ? » le questionne Azibert le 27 février 2014, jour où une réunion se tient à la Cour de cassation concernant le dossier Bettencourt. Patrick Sassoust dit s’être renseigné, mais évoque « un black-out » de son collègue du parquet en charge de l’affaire…

Azibert était « insistant »

La présidente, puis Jean-Luc Blachon pour le parquet national financier, le titillent, lui mettent sous le nez écoutes, messages mail, et échanges avec Azibert. « Vous lui promettez d’aller aux nouvelles, insiste Christine Mée, mais pendant un délibéré il n’y a pas de nouvelles à aller chercher, on a donc du mal à comprendre… » « Oui », bredouille le témoin, parfois gêné aux entournures. « Avec le recul », il admet « l’insistance » d’Azibert auprès de lui, mais il n’avait pour sa part « pas d’autre but que de parler de droit ». « C’est une affaire qui depuis 2014 m’a beaucoup marqué », déclare Patrick Sassoust. Depuis, à la lecture des journaux, il a été « sidéré, le mot est faible », du rôle de Gilbert Azibert. Mais à la barre, le témoin maintient qu'il n'avait pas d’autre intention que « d’avoir des discussions juridiques ». « C’est vrai que sur cette période, il était insistant », admet-il, surtout concernant le « dossier B » comme les deux hommes désignaient le dossier Bettencourt dans leurs échanges. « Je ne voyais pas pourquoi il était pressant comme cela », admet Patrick Sassoust.

C’est le seul réel acquis de l’accusation au terme de cette première journée : Azibert était « insistant » L’intéressé, qui est sous surveillance médicale tous les jours à 15 h 30, provoquant une interruption de séance, sera interrogé ce mercredi après-midi. Gilbert Azibert risque de passer un mauvais moment. Sa femme Chantal l’avait prévenu : « T’es dans le 36e dessous, mais qu’est-ce que tu veux, t’es allé te magouiller avec Sarkozy » lui avait-elle lancé au lendemain des perquisitions à leur domicile, ne sachant pas alors que leur conversation était… sur écoute.

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