Cher public,
Nous
ne pourrons donc pas vous retrouver dans l’immédiat, ni même prendre
date de façon précise sans craindre de faire faux bond.
Cette
situation est profondément injuste. Elle relève d’une inégalité de
traitement devant la loi. Les commerces ont rouvert leurs portes.
Pourquoi pas les lieux artistiques
? Pourtant, nous respectons scrupuleusement les normes sanitaires :
distanciation, port du masque, désinfection, aération.
Je
doute fort qu’une représentation journalière réunissant un nombre
limité de spectateurs regardant en silence, dans la même direction, soit
plus dangereuse que le flux ininterrompu
de consommateurs dans un centre commercial tout au long d’une journée
par exemple.
Les
lieux de culte eux aussi ont pu rouvrir. Ce choix injuste est
incompréhensible, malheureusement il n’est pas incohérent. Il s’inscrit
sur une échelle de valeur nouvelle, édictée sans égards
pour les principes républicains. On y hiérarchise les activités en
fonction de leur utilité : "être essentiel ou ne pas être." Au bas de
cette échelle, on retrouve pêle-mêle les arts, la convivialité et la
jeunesse.
Faisons
l’expérience, fort difficile en ces temps d’épidémie bien réelle et
ravageuse, d’oublier un instant les circonstances. Que dire du tableau
que nous offrent les orientations politiques
de ces derniers mois ? Une société en état d’urgence prolongé qui
restreint massivement les libertés, gangrénée par la violence d’État, se
détournant des arts et de la jeunesse, proposant à l’un de l’argent et
des larmes de crocodile, à l’autre, des psychiatres.
Est-ce incohérent ? Toute ressemblance avec des régimes ayant existé
est, soyez-en sûrs, fortuite.
Il
ne s’agit pas ici de parler politique politicienne, mais bien de
resituer notre colère qui dépasse l’inquiétude légitime que nous
ressentons pour le vivier bouillonnant des compagnies indépendantes
– qui sont la richesse, la diversité et le garant de la liberté de
notre pratique aujourd’hui gravement fragilisée. Ces compagnies se
trouvent dans l’impossibilité de jouer et de diffuser leur spectacle et,
bien souvent aussi, d’amorcer leur création future.
Elles subiront les conséquences des fermetures sur deux, trois, voire
quatre années à venir. Combien d’entre elles seront encore debout alors ?
Cette
période est dure pour tous et nous pensons à vous qui êtes privés de
votre activité artistique de spectateurs. Elle est aussi éclairante, et
nous décille : l’art est toujours intempestif,
il n’est pas socialement utile – et d’ailleurs utile à qui ? à quoi ?
Il est le lieu du divertissement, du doute, du paradoxe. Les temps sont
graves, le théâtre ne l’est pas ; il est fondamentalement jeu et
légèreté.
Nous revendiquons cette fonction même : désordonner joyeusement notre représentation du monde.
C’est
avec ces armes que nous attendons la réouverture. Nous respecterons les
règles sanitaires et le calendrier imposé, bien entendu, mais nous ne
respecterons en rien cette vision du monde
qui ne sait plus espérer en son propre avenir.
Clément Poirée et l’équipe du Théâtre de la Tempête
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