lundi 6 février 2023

"NOTRE AMI LE ROI", ENCORE ET TOUJOURS...

 

Contre le Parlement européen, l’ambassadeur français vole au secours du Maroc

Dans un climat de vives tensions autour des ingérences étrangères au Parlement de Strasbourg, le représentant de la France à Rabat estime que la résolution des eurodéputés qui demande au Maroc de respecter la liberté d’expression « n’engage aucunement la France ».  

Ludovic Lamant  / Médiapart

6 février 2023 à 10h3

 

Pour une présidence française qui a fait de son engagement pro-européen l’une de ses marques de fabrique, la sortie de l’ambassadeur français au Maroc, en fin de semaine dernière, a de quoi sidérer. En poste depuis décembre 2022 à peine, Christophe Lecourtier a fait savoir, à la une de l’hebdomadaire marocain Tel Quel publié le 3 février, qu’une résolution critique du Maroc en matière de droits humains, adoptée au Parlement de Strasbourg il y a quelques semaines, « n’engage aucunement la France ».

« Nous, on est comptables des décisions des autorités françaises, le Parlement européen est loin de notre autorité, ce sont des personnalités qui ont été élues. On y trouve une diversité de groupes et de courants d’idées », avance le diplomate, qui insiste : « Le gouvernement français ne peut pas être tenu pour responsable des eurodéputés. »

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Le numéro de «Tel Quel» du 3 au 9 février 2023.

D’un point de vue technique, Christophe Lecourtier n’a pas tort : ce sont bien des eurodéputé·es qui ont voté ce texte, et pas les capitales de l’UE, représentées, à Bruxelles, par une autre institution, le Conseil. Surtout, ces résolutions sur les droits humains ne sont pas contraignantes, d’un point de vue juridique.

D’un point de vue politique, c’est une tout autre histoire. D’abord parce que cela revient, pour Paris, à prendre ses distances avec une résolution qui défend la liberté d’expression et des médias dans un pays qui la met à mal. Ensuite parce qu’au Parlement européen, toute la délégation Renaissance, à commencer par Stéphane Séjourné, très proche conseiller d’Emmanuel Macron, a bien voté ce texte sans ciller - on pensait donc jusqu’alors qu’il s’agissait bien de la position française.

Joint dimanche matin par Mediapart, le porte-parolat du Quai d’Orsay n’avait pas encore, au moment de la publication de cet article lundi, répondu à nos sollicitations, pour commenter les déclarations de celui qui fut par le passé ambassadeur de France en Australie, avant de prendre la tête en 2017 de Business France, en remplacement de l’ancienne ministre Murielle Pénicaud.

Une résolution adoptée à une large majorité, sans les socialistes espagnols

De quelle résolution est-il question ? Le texte a été adopté le 19 janvier à Strasbourg. Si les eurodéputé·es ont l’habitude de voter des résolutions critiques des violations de droits humains un peu partout sur la planète, c’était, en ce qui concerne le Maroc, une première depuis 27 ans (et ce, même si des textes condamnant la politique migratoire du royaume ont été votés plus récemment à Strasbourg).

Le Parlement a exhorté Rabat à respecter la liberté d’expression et de la presse et plaidé pour une libération provisoire immédiate de journalistes emprisonnés, dont Omar Radi. À l’initiative du groupe des Verts, un amendement avait été ajouté au texte : il demande de bloquer l’accès au Parlement à des représentant·es du Maroc, sur le modèle de ce qui a déjà été décidé pour le Qatar, en réaction au scandale d’ingérence supposé du Qatar et du Maroc dans l’UE.

Cette résolution avait été adoptée à une large majorité (356 voix pour, 32 contre, 42 abstentions), dans un hémicycle peu fourni en raison du refus du premier groupe (la droite du PPE) de voter des résolutions d’urgence, depuis les premières révélations sur le « QatarGate ». Du côté français, une majorité des élu·es prenant part au vote a soutenu le texte, y compris, donc, la délégation Renaissance.

Ce jour de janvier, ce sont les socialistes espagnols, au pouvoir à Madrid, qui s’étaient fait remarquer en s’opposant au texte (tout comme des député·es français du RN et de Reconquête!). Ce qu’avait assumé sans ciller le chef du gouvernement, Pedro Sánchez, jugeant, en marge du sommet franco-espagnol de Barcelone le 19 janvier, que son parti, le PSOE, ne « partage[ait] pas certains éléments » de la résolution, sans être plus précis.

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Christophe Lecourtier à Paris, le 16 novembre 2022. © Photo Eric Tschaen / REA

Dans son ensemble, cette résolution marquait un durcissement de la position du Parlement. Une courte majorité d’élu·es était déjà parvenue, mi-décembre, à épargner le Maroc pour mieux critiquer le Qatar, sur fond de divisions, à l’époque, de la délégation macroniste sur le sujet.

Rabat dénonce le « harcèlement » du Parlement européen et des « machinations »

Ce vote d’un texte pourtant non contraignant a suscité l’ire de Rabat. Dès le 23 janvier, les parlementaires marocains disaient, dans une résolution, avoir enregistré « avec beaucoup de surprise et de ressentiment cette recommandation qui a mis à mort la confiance entre les institutions législatives marocaines et européennes », sur fond d’une « campagne tendancieuse qui cible le royaume ».

De son côté, un parlementaire marocain, Lahcen Haddad, est allé jusqu’à dénoncer « l’État profond français » qui serait à l’origine de cette résolution du Parlement européen, s’inquiétant de voir qu’« un proche de la présidence française », en l’occurrence Stéphane Séjourné, en ait été « l’un des architectes ».

Ces passes d’armes entre Strasbourg, Paris et Rabat intervenaient quelques jours après la visite officielle au Maroc de Josep Borrell. Dans un contexte déjà tendu par les révélations du « QatarGate », le chef de la diplomatie de l’UE avait prévenu lors d’un point presse à Rabat qu’« il ne peut y avoir d’impunité pour la corruption – tolérance zéro ».

De son côté, le ministre marocain des affaires étrangères, Nasser Bourita, avait dénoncé le « harcèlement » du Parlement européen, parlant de « machinations » et d’une « volonté de nuire » au partenariat UE-Maroc.

La sortie de l’ambassadeur français au Maroc s’inscrit dans ces turbulences, et alors que la perspective d’une visite d’État d’Emmanuel Macron, un temps annoncée en tout début d’année, semble s’être éloignée. Les tensions avec Paris, qu’essaient manifestement d’atténuer l’ambassadeur, contrastent, de fait, avec l’attitude très conciliante de Madrid.

Pedro Sánchez s’est rendu au Maroc pour une spectaculaire visite d’État la semaine dernière, flanqué de douze ministres (mais pas un seul de son partenaire de coalition Unidas Podemos, de la gauche radicale), afin d’ancrer un « partenariat stratégique ».

C’était un épisode prévisible, après le tournant diplomatique espagnol de mars 2022, lorsque Madrid a accepté de reconnaître la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, ce territoire du Nord-Ouest africain, frontalier de la Mauritanie, annexé en 1975 par le Maroc. Mais la presse conservatrice à Madrid n’a pas manqué de dénoncer une « soumission inexplicable » de l’Espagne vis-à-vis du Maroc, durant cette visite.

Le scandale Pegasus aussi en arrière-plan

Sans surprise, la question particulièrement sensible de la souveraineté du Sahara occidental, l’un des derniers conflits postcoloniaux encore pendants devant les Nations unies, est un fil rouge des tensions entre Marocains et Européens. Elle semble être au cœur de l’enquête menée par les enquêteurs belges depuis l’été 2022 sur ce qui s’appelle désormais le « QatarGate » et le « MarocGate », puisque la supposée ingérence du Maroc dans l’hémicycle aurait servi à influencer des votes sur le Sahara occidental.

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Le Maroc est aussi dans le viseur des eurodéputé·es via la commission d’enquête lancée au printemps 2022 sur le recours au logiciel d’espionnage Pegasus. À l’été 2021, des médias avaient révélé des écoutes d’Emmanuel Macron pour le compte du Maroc.

En Espagne, une ancienne ministre des affaires étrangères, Arancha González Laya, avait accusé Rabat, en juin 2021, d’avoir fait écouter son téléphone portable, et celui du chef du gouvernement, Pedro Sánchez.

C’est dans ce contexte particulièrement houleux qu’une enquête interne a été ouverte à BFMTV, première chaîne d’info de France, en raison de soupçons visant Rachid M’Barki. Ce présentateur des journaux de la nuit avait notamment lancé un sujet, qui n’avait pas été validé par la rédaction en chef, en parlant du « Sahara marocain » au sujet du Sahara occidental, nourrissant des spéculations, là encore, sur une forme d’ingérence extérieure.

Ludovic Lamant

 

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