samedi 11 février 2023

MACRON CULTIVE LES RELATIONS TOXIQUES : CE SOIR A L'ELYSEE, FURENT INVITES 2 PERSONNAGES NUISIBLES, VARGAS LLOSA (HONTE A L'ACADEMIE DE LE RECEVOIR !) ET L'EX-ROI D'ESPAGNE, TOUT AUSSI SULFUREUX !

 

Quand Emmanuel Macron invite à dîner Juan Carlos, ancien roi devenu infréquentable en Espagne

Le chef de l’État invite à dîner ce vendredi l’écrivain Mario Vargas Llosa, qui vient d’entrer à l’Académie française. Sur la liste des invités figure l’ami de ce dernier, Juan Carlos Ier, roi émérite d’Espagne, déchu en 2014 et exilé à Abou Dhabi pour ne pas ternir l’image de la monarchie.

Ludovic Lamant  / Médiapart

10 février 2023 à 13h55

 

 (HONTE A À peine de retour d’un Conseil européen à Bruxelles, aimanté par la présence du président ukrainien Volodymyr Zelensky, Emmanuel Macron reçoit à dîner à l’Élysée, ce vendredi. Le chef d’État tient à rendre hommage, au lendemain de la cérémonie d’entrée de Mario Vargas Llosa à l’Académie française, à l’écrivain péruviano-espagnol, nobélisé en 2010.

Le projet avait été ébruité par le quotidien catalan La Vanguardia, en marge du sommet franco-espagnol qui s’était tenu le 19 janvier à Barcelone : au détour d’une visite du musée Picasso, il avait invité l’écrivain Javier Cercas – avec lequel il s’est déjà longuement entretenu pour le journal El País – à ce dîner privé.

 

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Mario Vargas Llosa et Juan Carlos à l'Académie française à ​​Paris, le 9 février 2023. © Photo David Nivière / Abaca
 

Vargas Llosa, natif d’Arequipa dans le sud du Pérou, âgé de 86 ans, fut l’une des figures d’un courant littéraire baptisé le « boom latino-américain ». Lui qui vécut un temps à Paris, au début des années 1960, est l’auteur de textes décisifs, dont Conversation à la cathédrale, inspiré de l’expérience de la dictature d’Odría au Pérou, de 1948 à 1956.

Il est aussi devenu une figure politique controversée, apportant son soutien à des candidats de droite ou d’extrême droite en Amérique latine et en Espagne. Il a par exemple pris le parti de José Antonio Kast, nostalgique de Pinochet, face à Gabriel Boric aux élections chiliennes de 2021, celui de Keiko Fujimori, fille de l’ancien dictateur péruvien, contre Pedro Castillo aux élections péruviennes de 2021, ou encore de Jair Bolsonaro contre Lula aux élections brésiliennes de l’an dernier. 

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Dans la crise actuelle au Pérou, il a ménagé la présidente par intérim, Dina Boluarte, malgré la soixantaine de morts victimes de la répression militaire dans les Andes. À Madrid, l’écrivain rate rarement une occasion de dire le bien qu’il pense de la vedette controversée de la droite espagnole, Isabel Diáz Ayuso, que certains critiques, au sein même de son proche camp, rapprochent d’un Donald Trump.

Si l’on en croit les thèses du politiste Ignacio Sánchez-Cuenca, Vargas Llosa incarne à la perfection dans le débat public une forme de « machisme discursif », au service d’opinions qui tournent le dos aux travaux des sciences sociales, mais « qui fondent leur autorité sur la seule identité de celui qui les émet ».

Mais c’est un autre invité à la table d’Emmanuel Macron, ce vendredi soir, dont la présence interroge : Juan Carlos Ier. L’ancien monarque espagnol, déchu en 2014 après 38 ans de règne, a fait le voyage d’Abou Dhabi pour assister à la cérémonie d’investiture à l’Académie à Paris.

Vargas Llosa l’a invité à Paris au nom de leur amitié – « dans la mesure où les rois peuvent entretenir des amitiés, je suis ami avec lui », a expliqué l’écrivain. Juan Carlos avait été le premier à féliciter Vargas Llosa lorsque ce dernier avait obtenu, en 1993, la nationalité espagnole, affirmant qu’il était très content qu’il devienne « son sujet ».

Il a été roi d’Espagne. Nous n’allons pas le traiter comme s’il était le concierge [des lieux].

Hélène Carrère d’Encausse

Dans une analyse récente, le journal InfoLibre (partenaire de Mediapart) écrit que Vargas Llosa, 86 ans, et Juan Carlos, 85 ans, incarnent un même type de « masculinité d’une autre époque », où les femmes sont condamnées à jouer les seconds rôles.

Du côté de l’Académie française, son secrétaire perpétuel (sic), Hélène Carrère d’Encausse, qui s’était déjà beaucoup démenée pour l’élection de Vargas Llosa à l’Académie (malgré le fait qu’il dépassait la limite d’âge, notamment), s’est félicitée de la présence de l’ancien roi, interrogée là encore par El País : « Il a été roi d’Espagne. Nous n’allons pas le traiter comme s’il était le concierge [des lieux]. Nous le devons à l’Espagne. »

Emmanuel Macron semble être sur la même longueur d’onde que l’historienne. Joint à plusieurs reprises par Mediapart, l’Élysée n’a pas confirmé la présence de Juan Carlos Ier au dîner. Mais la presse espagnole a écrit qu’il avait bien été invité, et le fils de Mario Vargas Llosa, Álvaro, s’est fendu jeudi d’un message sur Twitter : « Macron les a invités à dîner tous les deux. »

Une fin de règne ternie par de nombreux scandales financiers

Juan Carlos Ier a longtemps été perçu – et cette vision domine sans doute encore largement en France – comme le monarque de la transition, celui qui a su, après la mort de Franco en 1975, mettre en place puis consolider les bases de l’actuelle démocratie parlementaire. Il joua un rôle clé, en particulier, pour faire échouer la tentative de coup d’État de février 1981, celle-là même que décrit avec brio Javier Cercas dans Anatomie d’un instant (2009).

Mais la fin du règne de Juan Carlos fut bien plus controversée. Au moment où son pays s’enfonçait dans les programmes d’austérité et la contestation sociale des indignados (les « indignés »), lui menait, en 2012, une luxueuse chasse à l’éléphant au Botswana, qui lui avait par ailleurs provoqué une fracture à la hanche.

Surtout, il a terminé son règne cerné par les scandales financiers, après avoir amassé une fortune colossale, chiffrée à 1,8 milliard d’euros par le New York Times en 2014. Si plusieurs monarchies du Golfe ont enrichi le monarque, ce sont ses relations avec l’Arabie saoudite qui l’ont fragilisé.

Des enregistrements de son ancienne maîtresse, l’Allemande Corinna Zu Sayn-Wittgenstein, puis des révélations de la Tribune de Genève, ont établi que Juan Carlos avait reçu, en 2008, 100 millions de dollars du roi Abdallah d’Arabie saoudite, sur un compte en Suisse d’une fondation panaméenne. C’était une commission liée à la signature d’un contrat de près de sept milliards d’euros pour la construction d’un train à grande vitesse entre La Mecque et Médine par un consortium d’entreprises espagnoles.

Plusieurs enquêtes ont été ouvertes en Espagne, liées à ces donations de l’Arabie saoudite, à des comptes en Suisse ou à des fonds non déclarés au fisc espagnol. Mais toutes ont été classées sans suite, soit parce qu’il jouissait de l’inviolabilité royale garantie par la Constitution au moment des faits, soit parce que les délits qui lui étaient reprochés étaient prescrits, soit parce qu’il a régularisé – en partie – sa situation fiscale.

En exil depuis 2020, Juan Carlos est revenu sur le sol espagnol en mai 2022 pour un séjour express qui n’a pas manqué de provoquer la polémique. Trop sulfureux, il n’avait pas été autorisé par son fils, Felipe VI, à passer la nuit à la Zarzuela, l’une des résidences de la famille royale. 

D’après de nombreux observateurs, la perspective d’un retour définitif du roi émérite en Espagne, dans l’air depuis que toutes les enquêtes le visant ont été classées, a été repoussée à l’après-élections générales. Celles-ci doivent avoir lieu, au plus tard, en décembre 2023. 

Malgré les affaires, l’amitié de Mario Vargas Llosa avec Juan Carlos a donc tenu bon. Ce n’est pas forcément une surprise, alors que l’écrivain avait été épinglé par deux fois pour des pratiques d’évasion fiscale, d’abord dans les Panama Papers en 2016, puis les Pandora Papers en 2021. Qu’on se rassure, tous ces sujets ne seront sans doute pas évoqués vendredi soir, autour de la table du dîner de l’Élysée.

Ludovic Lamant

 

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