Ce qu’a dit aux juges la dernière confidente de Kadhafi
Une ancienne collaboratrice de Mouammar Kadhafi, Mabrouka Cherif, a confirmé aux juges la demande par Nicolas Sarkozy d’un soutien financier pour sa campagne présidentielle de 2007. Elle assure que le président français a renouvelé cette démarche, en 2010.
30 janvier 2023 à 17h55
« Il existe un deuxième financement que M. Sarkozy avait demandé en 2010 », a indiqué Mabrouka Cherif dans un témoignage écrit aux juges français. Réfugiée dans le sud de l’Algérie depuis la chute du régime, cette ancienne chargée de mission de Kadhafi est la dernière témoin libyenne dans l’enquête sur l’affaire Sarkozy-Kadhafi.
Ex-employée du protocole général du ministère libyen des affaires étrangères, affectée au cabinet de Mouammar Kadhafi, dans son quartier général de Bab Al-Azizia, Mabrouka Chérif, 58 ans, dit avoir « œuvré comme envoyée spéciale » en plusieurs occasions. « Dans ce cadre, j’ai transmis des lettres privées de feu le guide Mouammar Kadhafi au président Sarkozy », a-t-elle indiqué.
Pour accréditer son propos, l’ex-émissaire a transmis trois photos aux juges, et pas n’importe lesquelles. Une photo la montrant avec Nicolas Sarkozy, une autre avec Cécilia Sarkozy, l’ex-épouse de l’ancien président récemment élu, et une troisième avec le couple, devant une porte vitrée donnant sur les jardins de l’Élysée. Trois images qui prouvent sa venue à l’Élysée en 2007, avant que Cécilia Sarkozy n’acte sa séparation avec le président en quittant les lieux.
Confrontée à ces photos, l’ex-épouse du président a déclaré ne pas se souvenir de cette rencontre.
Lors d’une audition en 2018, l’ancien ministre des affaires étrangères libyen (2006-2007), Abdel Rahman Chalgham a indiqué de son côté que Mabrouka Cherif « avait une relation très étroite » avec Nicolas Sarkozy. « À travers elle, Mouammar envoyait et recevait des télégrammes privés avec Sarkozy », a-t-il déclaré.
En 2010, sous le titre « Mabrouka offre Paris à Kadhafi », le site Maghreb Intelligence la présente comme « un émissaire spécial incontournable du Guide de la révolution en direction des principales capitales européennes ». « Forte d’un budget spécial “lobbying” aux multiples zéros, cette femme que l’on dit redoutablement intelligente s’est constituée un impressionnant carnet d’adresses où figurent la plupart des hauts responsables politiques européens ainsi qu’une cohorte d’hommes d’affaires, de chefs d’entreprise, de banquiers ou encore de journalistes », relève le site qui l’a vue au Fouquet’s « où elle tient table ouverte », et au Ritz « qu’elle utilise comme QG lors de ses passages réguliers » à Paris.
Brièvement mariée à un colonel, chef de la sécurité du Guide, Mabrouka Cherif figure dans les archives du ministère des affaires étrangères français parmi les vingt personnalités clés de l’entourage de Kadhafi. Mais elle a gagné une plus sombre réputation après sa mise en cause pour des faits de violence ou de séquestration présumées par plusieurs femmes enrôlées de force dans la garde personnelle de Kadhafi – dans le livre de la journaliste Annick Cojean Les Proies (Grasset, 2012).
Des valises
Les juges lui ont demandé qui, de Sarkozy et Kadhafi, avait évoqué le premier la question d’un financement de cette campagne présidentielle de 2007, lors de la venue du ministre de l’intérieur à Tripoli en 2005.
« Pour ce qui est du premier financement, c’est Sarkozy qui avait abordé le sujet, a-t-elle répondu, comme plusieurs témoins avant elle. Il avait dit au Guide “j’envisage de me présenter aux élections”, et le Guide de lui répondre “c’est une bonne chose qu’un ami de la Libye et un ami personnel soit président de la République française”. Il a donc demandé à feu le Guide Mouammar Kadhafi de le soutenir et de l’aider dans sa campagne présidentielle. J’ai entendu dire que le montant payé serait de 20 millions. »
Ces discussions ont eu lieu « directement » entre le chef de l’État libyen et le ministre français, en présence de Moftah Missouri, diplomate et interprète personnel de Mouammar Kadhafi, qui a déjà témoigné dans ce sens auprès de Mediapart. L’ex-chargée de mission a confirmé que la situation pénale d’Abdallah Senoussi, beau-frère de Kadhafi et chef des services secrets militaires libyen, condamné dans l’affaire de l’attentat du DC-10 d’UTA, avait fait partie des négociations, comme l’enquête l’a déjà fait apparaître.
« Ce qui a été évoqué au sujet d’Abdallah Senoussi est exact, a-t-elle indiqué. Senoussi cherchait uniquement à trouver un règlement de l’affaire en justice intentée contre lui en France. Cela faisait partie de l’accord passé, selon lequel, après la victoire de Sarkozy, celui-ci réglerait l’affaire de Senoussi. Et en effet, l’avocat de Sarkozy, [Thierry] Herzog a pris contact avec l’avocate de Senoussi, Azza Maghur, afin de trouver une issue à cette affaire. »
Selon elle, des fonds étaient débloqués par une entité chargée des investissements rattachée au bureau d’information du Guide. « L’entité s’appelle “le Défi pour l’investissement, la construction, et l’importation de véhicules”, poursuit-elle. Elle accorde un soutien à tout président ou conjoint de président lorsqu’ils en font la demande […] La Banque centrale libyenne n’a rien à voir avec les fonds accordés car le paiement se fait toujours par des valises. »
Le « Phœnicia »
S’agissant du « deuxième financement demandé » par Nicolas Sarkozy en 2010, Mabrouka Cherif assure que Claude Guéant, Boris Boillon – l’ancien conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy – et Abakar M., un homme d’affaires français d’origine tchadienne, l’auraient évoqué « directement » lors de rencontres avec Mouammar Kadhafi en 2010. « Le montant du second financement de la campagne de Sarkozy a été fixé à 20 millions d’euros », écrit-elle.
« J’ai été en charge de l’intendance lors des deux dernières visites de Claude Guéant et d’Abakar M. afin de rencontrer le Guide, car au mois de juin 2010, M. Sarkozy avait envoyé une lettre manuscrite à Mouammar Kadhafi et une autre à Saïf al-Islam Kadhafi dans laquelle il demandait que je sois le messager [entre eux – ndlr]. C’est pourquoi j’ai organisé la visite », a-t-elle exposé.
Dans une lettre transmise aux juges français en 2018, Saïf al-Islam Kadhafi avait déjà évoqué cet épisode, en signalant que par « un message écrit » Nicolas Sarkozy avait mandaté Mabrouka Cherif pour qu’elle transmette un message verbal au commandement libyen, « à savoir que Sarkozy espérait obtenir un soutien financier de la Libye pour s’engager dans les élections présidentielles à venir en 2012 ». « Des copies de ce message ont été conservées dans les archives libyenne et française », assurait le fils de Mouammar Kadhafi.
Selon les explications de Mabrouka Cherif, la visite de Claude Guéant et de ses deux accompagnateurs visait aussi à plaider en faveur de l’achat par la Libye de l’avion de combat Rafale, et d’un navire de croisière auprès des chantiers navals STX de Saint-Nazaire.
Ce navire de 333 mètres et 1 732 cabines, d’abord baptisé X32 puis Phœnicia, a effectivement été commandé à STX pour 565 millions d’euros par la compagnie libyenne General national maritime transport corporation (GNMTC), dirigée par Hannibal Kadhafi, moyennant une convention signée à Tripoli par le secrétaire d’État aux transports Dominique Bussereau, en juillet 2010.
Dans un communiqué, Nicolas Sarkozy s’était félicité d’une acquisition qui « s’inscrit dans le cadre du développement constant des relations franco-libyennes dans tous les domaines, conformément au souhait des deux chefs d’État » et illustrait « les liens croissants qui unissent la France et la Libye ».
La construction de ce « premier navire de croisière arabe » avait aussitôt été engagée, suivant les plans fantasques d’Hannibal Kadhafi qui avait exigé qu’on y aménage un aquarium à requins. Mais l’intervention occidentale et la guerre civile avaient conduit à l’annulation du contrat, en juin 2011, et à la reprise du navire par l’armateur MSC.
« Lorsque je suis revenue en France en décembre 2010, Mouammar Kadhafi m’a chargée d’un message verbal à M. Sarkozy, selon lequel la transaction du bateau avait été effectuée dans le but de maintenir les relations entre la Libye et la France », a indiqué Mabrouka Cherif. L’ex-émissaire libyenne n’a pas précisé quelle avait été la réponse de Nicolas Sarkozy, à quelques mois de la guerre.
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