jeudi 26 janvier 2023

UNE TRISTE, MAIS ANNONCEE, PREMIERE EN FRANCE : TOTALENERGIES, OBJET D'UNE ENQUÊTE POUR DEGRADATIONS DE L'ENVIRONNEMENT DUES A SES ACTIVITES EXTRACTIVES, ET LES SANCTIONS CONSECUTIVES.

TotalEnergies est visée par une enquête préliminaire pour mensonges climatiques

Selon nos informations, la multinationale pétrolière est l’objet d’une enquête ouverte par le parquet de Nanterre à la suite d’une plainte au pénal pour « pratiques commerciales trompeuses ». Ce délit ouvre la voie à des sanctions pour « greenwashing ». Une première en France.

Mickaël Correia  / Médiapart

26 janvier 2023 à 11h47

 

Une enquête préliminaire est en cours à l’égard de TotalEnergies pour « pratiques commerciales trompeuses ». Selon nos informations, deux inspecteurs du service national des enquêtes de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) sont en train de clore leur investigation.

Cette enquête a été ouverte en décembre 2021 par le pôle économique et financier du parquet de Nanterre, a assuré la justice à Mediapart. Elle fait suite à une plainte déposée en octobre 2020 par trois associations écologistes : Wild Legal, Sea Shepherd France et Darwin Climax Coalitions.

Dans le dossier de plainte qu’a pu consulter Mediapart sont notifiés des faits de « destruction, dégradation ou détérioration d’un bien appartenant à autrui et complicité », qui pointent des dégradations de l’environnement qui seraient dues aux activités extractives de TotalEnergies.

 

Le siège mondial de TotalEnergies à la Défense (Hauts-de-Seine). 11 octobre 2022. © Photo Xose Bouzas / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
 

La plainte mentionne aussi longuement des pratiques commerciales trompeuses, susceptibles de constituer un délit, pour lesquelles le parquet a décidé d’ouvrir une enquête judiciaire. Les trois associations plaignantes soulignent « le fossé qui sépare les discours et la stratégie de communication du groupe Total en matière climatique de ses pratiques qui consistent à investir massivement dans des énergies fossiles ».

Depuis 2020, le pétrolier communique à tout crin sur son ambition d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, tout en se promouvant comme une « compagnie multi-énergies » et « un acteur majeur de la transition énergétique ». 

Mais alors que l’Agence internationale de l’énergie a posé dès 2021 l’arrêt de tout nouveau projet d’exploitation d’énergies fossiles comme condition sine qua non à l’atteinte de la neutralité carbone, TotalEnergies a, rien qu’en 2022, acté, lancé ou étendu une vingtaine de nouveaux projets ayant trait à l’extraction de combustibles fossiles.

Et jusqu’en 2030, 70 % des dépenses d’investissement de TotalEnergies restent dédiées aux énergies fossiles.

Le dossier de plainte indique également que « les objectifs de croissance dans le gaz et les agrocarburants continuent à provoquer de lourds impacts climatiques et environnementaux ». En effet, bien que les Nations unies et les scientifiques aient démontré que la production de gaz doit baisser de 3 % par an jusqu’en 2030 pour freiner le réchauffement planétaire, TotalEnergies veut augmenter d’un tiers sa production de gaz d’ici là.

Les plaignants rappellent que la reconversion de la raffinerie de La Mède (Bouches-du-Rhône) vers les agrocarburants serait essentiellement basée sur l’huile de palme, sans garantie qu’elle ne contribue pas à la déforestation. Le tribunal administratif de Marseille a même jugé en 2021 que TotalEnergies n’avait pas pris en compte « les effets directs et indirects sur le climat » induits par son approvisionnement en huile de palme pour son site de La Mède.

Le 16 mars 2021, les trois organisations écologistes ont déposé un complément de plainte pour renforcer les faits dénoncés, notamment le développement d’ici à 2025 de 400 puits de forage pétrolier en Ouganda.

Un autre complément a été ajouté en avril 2022 pour « écocide », comme le permet la loi depuis août 2021. Mais le parquet n’a pas encore, à l’heure actuelle, décidé d’intégrer cette infraction à l’enquête. Il a déclaré à Mediapart que « le délit d’écocide n’était pas visé par la plainte initiale » et qu’il nécessite « des éléments constitutifs précis ».

Une première en France

« C’est une première sur le plan judiciaire en France que TotalEnergies soit l’objet d’une enquête judiciaire pour pratiques commerciales trompeuses, c’est-à-dire ici pour le greenwashing de l’industriel, se réjouit William Bourdon, avocat du barreau de Paris qui a déposé la plainte au nom des trois associations. Les éléments apportés pour caractériser la consistance des faits sont nombreux, notamment en miroir de toute la documentation scientifique et citoyenne depuis des années sur TotalEnergies. »

Bénéficiant d’un pouvoir d’enquête de police, la DGCCRF a notamment auditionné en juillet 2022 Clara Gonzales, juriste à Greenpeace France. L’ONG, avec Les Amis de la Terre et Notre affaire à tous, a, en mars 2022, déposé un recours au civil contre TotalEnergies pour « pratiques commerciales trompeuses ».

« L’objet de l’audition a été de répondre aux questions techniques des enquêteurs et de leur transmettre les éléments en notre possession qui permettent de caractériser la qualification pénale de pratiques commerciales trompeuses, précise à Mediapart la juriste. Nous visons trois allégations faites par TotalEnergies : son ambition de neutralité carbone d’ici 2050, les propriétés climatiques du gaz fossile et celles des agrocarburants. L’objectif de sanction des comportements de désinformation est le même, il est donc logique que nous collaborions dans ce type de procédures. »

En termes de sanction, les pratiques commerciales trompeuses peuvent être punies d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 300 000 euros. La loi prévoit par ailleurs la possibilité pour le juge d’ordonner l’affichage de la décision par tous moyens, et la cessation de la pratique peut être ordonnée également par le tribunal.

« Toute procrastination de la part du parquet serait inacceptable au regard de l’urgence climatique et de la nature des mensonges véhiculés par le pétrolier », avertit l’avocat William Bourdon.

« Qu’il s’agisse de notre recours civil ou de l’ouverture d’une enquête pénale, l’objectif est bien de sanctionner des comportements illégaux, en l’occurrence le greenwashing et les tromperies des majors pétro-gazières, souligne Clara Gonzales. Ce que l’ouverture d’une enquête préliminaire démontre, c’est qu’il y a bien un risque juridique de plus en plus élevé pour les multinationales qui mentent dans leur communication climatique. Nous n’avons plus le temps de laisser les entreprises nous enfumer avec leurs faux engagements climat. » 

D’après nos informations, TotalEnergies est avisée de cette enquête préliminaire à son égard. Contactée par Mediapart (voir l’intégralité de sa réponse en Boîte noire), la multinationale assure : « Nous n’avons aucune information sur la plainte évoquée. »

Mickaël Correia

 

 

Aucun commentaire: