mardi 17 janvier 2023

LE POUVOIR FAIT PRESSION PAR LE CHANTAGE FINANCIER SUR LES ASSOC ECOLO / AU NOM DE LA LOI "SEPARATISME", LA JUSTICE VA-T-ELLE SUIVRE CE DERAPAGE ANTILIBERTES ?

 


Au nom du séparatisme, l’État réprime les associations écologiques

Plusieurs organisations écologistes ont été soumises à des pressions au nom de la loi Séparatisme. En cause, selon les préfectures : elles auraient incité à la désobéissance civile.

Pour l’association, c’était une première. La Maison régionale de l’environnement et des solidarités (MRES), située à Lille, dans le Nord, a eu la désagréable surprise d’être convoquée par la préfecture le 9 décembre dernier. En cause, un prêt de salle au collectif Non à l’agrandissement de l’aéroport de Lille-Lesquin (Nada), qui accueillait début octobre quatre jours de conférences de Stay Grounded, un réseau européen d’organisations qui dénoncent les effets du trafic aérien sur le climat. Des activistes qui ne se cachent pas de pratiquer la désobéissance civile. Une entorse au « contrat d’engagement républicain », a rappelé la préfecture à la MRES.

Prévu par la loi « confortant le respect des principes de la République » — dite loi Séparatisme —, ce « contrat » est obligatoire pour les associations recevant des subventions publiques ou celles ayant un agrément (qui leur permet d’agir en justice). Il est en place depuis le 2 janvier 2022, soit tout juste un an. Il stipule notamment que ces associations « ne doivent entreprendre ni inciter à aucune action manifestement contraire à la loi ». Présenté comme un outil pour lutter contre l’islamisme radical, il a suscité avant même l’adoption de la loi une levée de boucliers du milieu associatif. Celles menant des actions de désobéissance civile, en particulier, se sont senties visées. Elles n’avaient pas tort.

« De telles incitations à la désobéissance civile s’apparentent à un trouble à l’ordre public », a ainsi expliqué la préfecture du département à La Voix du Nord. « Rien dans nos statuts, nos modes de gouvernance, nos modes d’action et nos décisions ne contredit les valeurs républicaines de Liberté, Égalité, Fraternité, que nous prétendons au contraire défendre pied à pied, se défend la MRES dans son édito de nouvelle année. De même, nous sommes opposés à tout acte violent. »

« 75 % de notre budget vient de financements publics »

À Lille, la structure est un pilier de la vie associative, elle existe depuis plus de quarante ans. Elle regroupe 119 associations dans les domaines de la nature, la défense des droits humains, des solidarités. « On accueille plusieurs milliers de réunions dans nos locaux chaque année. On ne contrôle pas leur contenu », explique Xavier Galand, directeur de la MRES. La préfecture a pris note des explications, et appelé l’association à plus de vigilance.

La situation fragilise la structure. « 75 % de notre budget vient de financements publics », indique le directeur. Autant de ressources qui pourraient être remises en cause si l’administration considère que l’association ne respecte pas le « contrat d’engagement républicain ». « On est en train de déposer des dossiers de financement pour 2023, on verra comment ils seront instruits. Cela nous incite à une forme d’autocensure, on se demande “Peut-on faire cela, ou cela ?” La fonction de répression du contrat d’engagement républicain apparaît au grand jour. »

Un nouvel outil de contrôle des associations, dont n’a pas hésité à se saisir Xavier Bertrand, le président Les Républicains de la région. À son arrivée à la tête des Hauts-de-France, en 2016, il avait réduit les subventions des associations environnementales. Dans le cas qui nous occupe, c’est lui qui a demandé à la préfecture du Nord de convoquer la MRES. Notons aussi que la région est l’une des collectivités gestionnaires de l’aéroport de Lille-Lesquin, propriétaire du terrain sur lequel il s’étend, et promeut son agrandissement.

D’autres cas à Poitiers, en Corrèze...

Ce rappel à l’ordre n’est pas le premier. À Poitiers, en septembre, le préfet de la Vienne avait demandé à la Ville et à la métropole de retirer leurs subventions (de respectivement 10 000 et 5 000 euros) à Alternatiba Poitiers, pour l’organisation d’un Village des alternatives. Il était notamment reproché à l’association d’accueillir un atelier et un débat sur la désobéissance civile. Des activités contraires au « contrat d’engagement républicain », car elles « inciteraient à un refus assumé et public de respecter les lois et règlements », écrivait le préfet de la Vienne Jean-Marie Girier, par ailleurs ex-directeur de campagne d’Emmanuel Macron en 2017.

L’organisation sur la radio locale Radio Pulsar d’un débat autour des mégabassines — ces grands réservoirs d’eau contestés — avec le collectif Bassines non merci l’avait également irrité, racontait alors Reporterre. Là encore, ce nouveau contrat a servi à s’en prendre non seulement au mode d’action qu’est la désobéissance civile, mais également à une lutte de terrain contre un projet d’aménagement.

Le Village des alternatives, à Poitiers, en septembre 2022. Il a été reproché à Alternatiba d’y avoir accueilli un atelier et un débat sur la désobéissance civile. © Maïa Courtois / Reporterre

Les collectivités locales ont maintenu leurs subventions, le Village des alternatives a bien eu lieu en septembre. Mais le préfet a saisi le tribunal administratif fin octobre afin de faire annuler les subventions. « C’est une épée de Damoclès ce procès, s’inquiète Thierry Grasset d’Alternatiba Poitiers. Les subventions, on les a dépensées. Et en parlant de désobéissance : l’État français, lui, a été condamné deux fois pour inaction climatique. »

En Corrèze, la pression a été plus discrète. C’est Mediapart qui a rapporté le contenu d’une réunion en mai dernier, où s’est décidé l’attribution de subventions au niveau du département. Le secrétaire général de la préfecture aurait justifié le refus de subventions à plusieurs associations en raison de leur appartenance à la « mouvance radicale » de l’« ultragauche ». À ce titre, elles ne respecteraient pas le « contrat d’engagement républicain ». Parmi elles, deux associations paysannes, l’une de défense des races locales et l’autre d’aide aux bergers, et le journal indépendant La Trousse corrézienne. Malgré les témoignages recueillis, la préfecture a assuré à Mediapart que le « contrat d’engagement républicain » n’avait rien à voir dans ces refus.

« Un message extrêmement puissant à l’ensemble du secteur écolo »

« Le nombre de cas directement répressifs n’est pas extrêmement nombreux », observe Julien Talpin, chercheur en sciences politiques et animateur de l’Observatoire des libertés associatives. Pourtant, ces affaires ont mis le monde associatif en émoi. Alternatiba et la MRES sont loin d’être les associations écologistes les plus radicales. Elles ne prônent ni sabotage ni actions violentes. « En choisissant de s’attaquer à des acteurs mainstream, les autorités envoient un message extrêmement puissant à l’ensemble du secteur écolo », estime Julien Talpin.

Pour lui, la pression est croissante depuis 2015. « Après les attentats terroristes, on se souvient des interdictions de manifestations lors de la COP de Paris. Puis ont suivi la cellule de renseignement Déméter, les formes de criminalisation plus dures comme à Bure, retrace-t-il. La loi Séparatisme a donné un socle juridique solide à des pratiques qui existaient déjà, mais étaient limites. »

Face à cela, les associations se regroupent pour défendre leurs libertés. En soutien à Alternatiba Poitiers, « une trentaine d’organisations environnementales et la Ligue des droits de l’Homme ont demandé à être intervenantes volontaires au procès », rapporte Thierry Grasset. La justice estimera-t-elle que la désobéissance civile est un « trouble à l’ordre public » ? Sa décision fera jurisprudence et sera déterminante pour toutes les associations qui revendiquent ce mode d’action. Est aussi attendu le résultat du recours déposé par vingt-cinq associations en mars contre le « contrat d’engagement républicain ».

Reporterre

 

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