mercredi 11 janvier 2023

SOUS LES RADARS ? 6 GROUPES FINANCIERS DETIENNENT 75% DES LABORATOIRES D'ANALYSES !

Derrière la grève des laboratoires d’analyse médicale, le modèle financier du secteur en question

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Trois quarts des laboratoires d'analyses en France appartiennent à des grands groupes
Trois quarts des laboratoires d'analyses en France appartiennent à des grands groupes
© AFP - Riccardo Milani / Hans Lucas
 

Toujours en conflit avec l'Assurance maladie qui veut imposer des économies, les biologistes d’analyse médicale sont en grève cette semaine. C’est la troisième fois depuis la fin novembre pour ce secteur des labos, détenu à plus de 75% par des fonds de pension étrangers.

 

Le virage s’est opéré au début des années 2000. Avant cette date, il y avait 4 000 laboratoires répartis un peu partout dans le pays, avec sur place la possibilité de faire des prélèvements et de les analyser. Mais pour professionnaliser le secteur, deux lois successives ont permis l’organisation de laboratoires multi-sites, des grands plateaux techniques dédiés aux analyses et alimentés par des plus petites structures ne réalisant plus que les prélèvements. C’est à ce moment-là que des fonds d’investissements ou des entreprises cotées en bourse sont entrées progressivement au capital des laboratoires.

Il y a d’abord eu les côtés bénéfiques : la profession s’est davantage structurée, les techniques se sont standardisées et la pratique des analyses médicales a été beaucoup plus encadrée. Mais le revers de la médaille, c'est que des mastodontes de la finance se sont progressivement emparés de la biologie. Car elles y ont vu tout de suite une extraordinaire rentabilité. "Les laboratoires étant financés à plus de 75 % par la Sécurité sociale, les laboratoires de biologie médicale sont une affaire solvable", explique Antoine Leymarie, sociologue de la santé à SciencesPo. "A priori la sécurité sociale ne va pas s'effondrer du jour au lendemain. Donc tout ce qu'ils investissent en rachetant des laboratoires, ils savent très bien que c'est durable. L'endettement qui leur a permis toutes ces acquisitions, c'est un risque relativement mesuré dans la mesure où ce sont les cotisations sociales qui leur permettent de les rembourser;

Six groupes détiennent 75% de la biologie médicale française

En 2010, les groupes financiers détenaient seulement 16 % des laboratoires. Dix ans plus tard, c’est plus de 75 %. Ces six groupes (Biogroup, Cerba, Eurofins, Inovie, Synlab, Unilabs) détenus par des fonds de pensions canadiens, anglais ou saoudiens, font aujourd’hui tout pour racheter les dernières parts restantes des biologistes de métier. Il s’agit du premier exemple de financiarisation presque intégrale d’une discipline médicale en France.

Le but de ces fonds de pension étrangers n’est pas vraiment l’investissement à long terme. "Leur objectif, c'est d'acheter un laboratoire, de le valoriser financièrement et de le revendre", assure Antoine Leymarie. "Et c'est le ratio entre le prix d'achat et le prix de vente qui les intéresse. Donc, finalement, les fonds d'investissement rentrent au capital pour quatre ou cinq ans, ce qui ne correspond pas à la temporalité d'une organisation de santé qui exige des investissements de long terme, de la sécurité, etc." Et d’ajouter : "Les cotisations sociales qui partent dans ces fonds d'investissement, c'est une vraie question démocratique et une question politique qui doit être débattue avec les citoyens".

Une profession menacée ?

Dans la grève actuelle, il y a deux camps qui sont réunis dans une alliance pour le moins étrange : les gros groupes, qui réalisent des chiffres d’affaires astronomiques, et les laboratoires indépendants. Ces derniers ne veulent pas de la baisse des tarifs, car ils pourraient tout simplement disparaître dans cette affaire. "Les groupes financiers défendent des marges, ce sont des fonds d'investissement qui ont des exigences de rentabilité très importantes, tandis que les indépendants se battent, eux, pour leur survie", résume le sociologue de la santé Antoine Leymarie.

Avec l’équation actuelle du secteur, les jeunes biologistes ont bien du mal à se faire une place. Ils n’arrivent plus à acheter de parts dans les labos, les prix sont devenus exorbitants. Leurs salaires sont plus faibles qu’avant et les perspectives de carrière sont pour le moins compliquées. "Il y a une baisse de l'attractivité de la profession", estime Antoine Leymarie. "Il y a un désintérêt qui est manifeste de la part des étudiants. Il y a des postes aujourd'hui non pourvus en biologie chaque année à l'internat, ce qui n'était pas du tout le cas il y a dix ou quinze ans."

On pourrait très bien se demander quel est le rôle de l'Etat dans cette financiarisation des laboratoires. En tenant tête sur la baisse des tarifs, l'Assurance maladie montre qu'elle veut en finir avec les marges exorbitantes des grands groupes. Et d'ailleurs, les connaisseurs du dossier regardent avec attention ce que vont décider l’Assurance maladie et l'Etat. Tenir ou céder, telle est la question. En tout cas, dans ce bras de fer, c’est aussi une partie de l’avenir de la biologie médicale qui est en jeu.

 

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