mercredi 11 janvier 2023

CA VIENT DE 'TOMBER' : NOUVELLES TURPITUDES CONCERNANT CELUI QUI N'EN FINIT PAS DE DESHONORER LA FONCTION A LAQUELLE IL AVAIT ETE PORTE !

Nicolas Sarkozy, les louanges à Poutine et la piste de l’argent du Kremlin

L’ancien chef de l’État a touché 300 000 euros au moment où il vantait, fin 2018, les mérites de Vladimir Poutine lors d’une soirée à Moscou du principal fonds souverain russe. L’argent a été versé par une société qui porte le même nom qu’une filiale de ce fonds.

Fabrice Arfi et Yann Philippin

11 janvier 2023 à 14h56 

 

Moscou, 22 novembre 2018. Le Russia Direct Investment Fund (RDIF), principal fonds souverain de l’Etat Russe, organise sa traditionnelle soirée de « pré nouvel an ». Pour s’adresser à ses invités triés sur le volet, le patron de RDIF, Kirill Dmitriev, a convié une personnalité de marque : Nicolas Sarkozy.

Sa présence était pour le moins étonnante. RDIF n’avait, a priori, pas grand intérêt à inviter l’ancien président de la République française à une simple soirée d’entreprise. Sauf que Nicolas Sarkozy en a profité pour tenir des propos louangeurs à l’égard de Vladimir Poutine, immédiatement relayés par l’agence de presse Sputnik, contrôlée par l’Etat russe.

 « La Russie est redevenue une puissance mondiale. C’est sa place, c’est son rôle historique, c’est sa destinée », a-t-il lancé à la tribune (notre vidéo ci-dessous). « Enfin, je veux dire que j’ai toujours été un ami de Vladimir Poutine, parce que c’est un homme avec qui on peut parler, y compris quand on a des désaccords », avait ajouté l’ancien chef de l’Etat, avant de conclure à l’attention du président de RDIF Kirill Dmitriev : « C’est la première fois que tu m’invites ici, l’année prochaine, je veux être invité aussi. »

Nicolas Sarkozy à Moscou en novembre 2018 lors d’une réception organisée par un fonds souverain de l’État russe. © Vidéo Mediapart

Nicolas Sarkozy a-t-il été payé par le Kremlin pour chanter les louanges du président russe ? La question se pose au vu de mouvements financiers repérés par Mediapart, qui a pu consulter des documents bancaires décrivant l’activité d’un des comptes parisiens de Nicolas Sarkozy.

Ces documents révèlent que peu avant et peu après sa participation à la soirée moscovite, Nicolas Sarkozy a touché 300 000 euros : 200 000 euros le 4 octobre 2018, et 100 000 euros supplémentaires le 28 février 2019. L’argent a été versée par une mystérieuse société nommée RS Capital Limited, dont la nationalité n’est pas précisée sur les documents bancaires. 

Les deux virements d'un total de 300 000 euros reçus par Nicolas Sarkozy sur l'un de ses comptes bancaires parisiens. © Document Mediapart

Coincidence : le fonds souverain RDIF, qui a invité l’ancien chef de l’Etat, possède justement une discrète filiale nommée RS Capital Limited, immatriculée aux Emirats Arabes Unis, l’un des paradis fiscaux les plus opaques de la planète.

Interrogé par Mediapart, Nicolas Sarkozy n’a pas répondu. « Il n’y a eu aucun paiement à M. Sarkozy lié à sa participation à des événements de RDIF », nous a indiqué, sans plus de détails, le service de communication de l’entreprise publique russe. En clair, le fonds souverain ne dément pas avoir payé l’ancien président, mais indique qu’il n’a pas été rémunéré pour la soirée à Moscou. Relancé pour savoir s’il a effectué les paiements de 300 000 euros, RDIF n’a pas répondu.

Outre la filiale du fonds souverain russe à Abu Dhabi, nous avons identifié deux autres sociétés nommées RS Capital Limited en activité au moment des versements. 

L’une d’elles, immatriculée au Royaume-Uni, a été crée en avril 2018, sept mois avant la soirée de RDIF à Moscou. Elle est détenue et administrée par des prête-noms, salariés du cabinet de domiciliation Basra & Basra, basé à Southampton. La société RS Capital Limited britannique a-t-elle payé Nicolas Sarkozy ? Est-elle contrôlée par la Russie ? Interrogé par Mediapart, Basra & Basra n’a pas répondu.

Il existe une troisième société RS Capital Limited, immatriculée dans le paradis fiscal des îles Cayman. Il s’agit d’une filiale du groupe Ridge Solutions, détenu par un homme d’affaires angolais. Interrogé, Ridge Solutions n’a pas répondu.

Nicolas Sarkozy lors de sa reception par le président russe Vladimir Poutine, dans sa résidence de la banlieue de Moscou, le 29 octobre 2015. © Serguei Chirikov / AFP

Nicolas Sarkozy est dans le collimateur de la justice au sujet d’une autre affaire russe, comme l’avait révélé Mediapart. En 2019, quelques mois après son intervention à la soirée de RDIF, l’ancien chef de l’Etat a signé un contrat de conseil pluriannuel à 3 millions d’euros avec l’assureur russe Reso Garantia, contrôlé par les oligarques Sergey et Nikolay Sarkisov. Le parquet national financier a ouvert une enquête préliminaire pour « trafic d’influence » à ce sujet – la procédure est toujours en cours. Nicolas Sarkozy n'a pas souhaité commenter la nature de son travail pour les frères Sarkisov, mais sa porte-parole nous a indiqué que sa mission s’est achevée à l’automne 2021.

À la suite de son départ de l’Élysée en 2012, l’ancien chef de l’Etat a affiché sa proximité avec Vladimir Poutine, qu’il a rencontré plusieurs fois. Au point d’être reçu dans la résidence personnelle du président russe en octobre 2015, un an après l’annexion par le Russie de la région ukrainienne de Crimée.

Fin 2018, quand Nicolas Sarkozy tresse sans retenue des louanges à Vladimir Poutine, le maître du Kremlin est déjà l’autocrate qui a annexé la Crimée, a soutenu les séparatistes du Donbass, est soupçonné d’éliminer des opposants, comme Boris Nemstov (assassiné à quelques pas du Kremlin), a envoyé son aviation détruire Alep en Syrie, tuant des milliers de civils...

Le 16 janvier 2020, l’ancien chef de l’Etat s’est de nouveau rendu à Moscou pour intervenir au Forum Gaidar, organisé par des entités liées à l’Etat russe. A la tribune, « Nicolas Sarkozy a vanté les réussites de la Russie, soulignant que le pays est redevenu une superpuissance grâce aux efforts du président Valdimir Poutine », selon le communiqué officiel de l’événément.

Nicolas Sarkozy et Suleyman Kerimov au domicile privé de l'oligarque à Moscou, en janvier 2020. © Document Mediapart

Plus embarrassant encore, Nicolas Sarkozy a été, lors de ce séjour moscovite de janvier 2020, reçu au domicile privé de l’oligarque Suleyman Kerimov, comme l’a révélé Mediapart. Coïncidence : Kerimov était, à ce moment-là, en train de négocier une transaction pénale avec le procureur de Nice afin de clore l’un des volets d’une enquête judiciaire ouverte pour « complicité de fraude fiscale » au sujet de l’achat de plusieurs villas de luxe sur la Côte d’Azur.

Selon une source informée, Suleyman Kerimov espérait, en invitant Nicolas Sarkozy,  bénéficier de son entregent pour s’assurer qu’il serait bien traité par la justice française. Sollicité par Mediapart à ce sujet, l’ancien chef de l’État n’avait pas donné suite. L’avocat de Suleyman Kerimov nous a confirmé que l’oligarque « a rencontré M. Sarkozy à Moscou », mais a précisé qu’« à aucun moment la procédure pénale française […] n’a été discutée entre eux ».

Fabrice Arfi et Yann Philippin

 

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