dimanche 22 janvier 2023

PS : "DECALAGE ENTRE CERTAINS INTERÊTS (a) LOCAUX ET STRATEGIE NATIONALE DE LA DIRECTION SORTANTE"

PS : « Ce congrès n’aura rien tranché »

Le politiste Pierre-Nicolas Baudot analyse les résultats du congrès du Parti socialiste. Selon lui, la fracture entre le camp d’Olivier Faure et celui de Nicolas Mayer-Rossignol traduit un décalage entre certains intérêts locaux et la stratégie nationale de la direction sortante. 

Fabien Escalona  / Médiapart

21 janvier 2023 à 13h48 


Depuis jeudi soir, le Parti socialiste (PS) est déchiré sur l’interprétation du scrutin très serré qui a opposé Olivier Faure, premier secrétaire sortant, et son challenger Nicolas Mayer-Rossignol, pour la tête du parti. À ce stade, les deux camps estiment l’avoir emporté. Samedi et dimanche, une commission s’est réunie afin de trancher les cas litigieux, et de préparer au mieux le congrès qui se tiendra à Marseille entre le 27 et le 29 janvier. 

Selon la direction du PS, ses résultats ont abouti la confirmation de la victoire d’Olivier Faure, avec un score de 51,09% des suffrages exprimés, ceci « après examen des procès verbaux des fédérations et étude des requêtes en irrégularité, et alors que les voix faisant l’objet de contestations ont été réservées ». Problème : les représentants de Nicolas Mayer-Rossignol ont refusé de voter cette conclusion, et continuent de dénoncer un « passage en force »

Mediapart a interrogé Pierre-Nicolas Baudot sur ce que ce scrutin interne révèle du PS, six ans après sa chute irrémédiable à la suite du quinquennat de François Hollande. Chercheur en science politique, travaillant à une thèse sur les évolutions du discours socialiste sur l’immigration, il souligne l’importance des intérêts locaux pour comprendre la forte opposition à laquelle fait face la direction sortante du parti. 

Pierre-Nicolas Baudot, politiste. © DR
 

Mediapart : Olivier Faure et Nicolas Mayer-Rossignol se disputent la tête du PS à quelques centaines de voix près. Qu’avez-vous observé de l’évolution des votes entre le premier scrutin du 12 janvier, qui départageait les textes d’orientation, et celui du 19 janvier, censé désigner le premier secrétaire ?   

Pierre-Nicolas Baudot : Sur les 40 000 membres affichés par le PS, une grosse moitié s’est déplacée dans les deux cas. Globalement, on observe un report massif et généralisé des voix s’étant portées sur le courant incarné par Hélène Geoffroy, éliminée de la course, vers le nom de Nicolas Mayer-Rossignol.

Il y a une logique politique anti-Faure assez évidente, même si ces reports n’ont pas été parfaits. Deux raisons l’expliquent. D’une part, les socialistes n’ont pas voté pour la même chose. Le 12 janvier, ce qui était en jeu était la représentation au conseil national, le parlement du parti. Le 19, c’est une incarnation du parti dans l’espace public qui se jouait. Il s’agit d’autre part d’un vote plus affectif, avec des militants qui peuvent être tentés de le faire correspondre aux préférences de leur secrétaire de section, qu’ils peuvent apprécier sans être sensibles aux mêmes textes d’orientation.

De manière plus générale, je trouve que le congrès a agi comme un révélateur. Il reflète un état de fait qui est en place depuis des mois. La partition que l’on a aujourd’hui sous les yeux, on l’a vue aux législatives et elle s’exprime depuis au moins un an. Elle s’est cristallisée de manière spectaculaire à l’occasion du vote.

Il y avait certes des résistances à l’accord trouvé avec la Nupes (Nouvelle Union populaire, écologique et sociale), mais celles-ci n’ont pas été massives, et l’union avait été approuvée par le conseil national. Là, on assiste à une division du parti en deux camps de taille équivalente.

La grosse différence, c’est que dans ce vote pour le congrès, tous les militants s’exprimaient, et ils ne disent pas la même chose que le conseil national élu lors du précédent congrès.

On trouve, parmi celles et ceux qui se sont déplacés, beaucoup de responsables locaux et de collaborateurs d’élus. Cela est important, car derrière Nicolas Mayer-Rossignol, je constate qu’on trouve beaucoup de gens dont les intérêts sont liés à des positions et à des configurations locales. Ils ne voient pas pourquoi ils les sacrifieraient au profit d’une stratégie nationale affirmant trop haut l’union avec les Insoumis, ce qui pourrait potentiellement les gêner. Cela concerne Nicolas Mayer-Rossignol lui-même, mais aussi des soutiens comme le maire de Montpellier, Mickaël Delafosse, ou la présidente de l’Occitanie, Carole Delga.

Ces intérêts ont toujours existé, mais auparavant ils se fondaient dans des grandes synthèses qui permettaient de les concilier avec une ligne nationale. Cela était possible car il y avait des débouchés nationaux considérables pour le PS. Or, ces débouchés se sont nettement réduits.  

Ce qui était frappant en lisant les textes d’orientation des uns et des autres, c’était de voir leurs têtes de file se réclamer avec le même enthousiasme de l’union de la gauche. Quelles sont les conceptions qui s’affrontent derrière cet apparent point commun ?

La ligne d’Hélène Geoffroy me semble assez claire. Selon elle, le PS ne peut exister que dans un espace entre Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron. Dans cette perspective, il faudrait tout faire pour qu’à la fin du second mandat de ce dernier, la supposée aile gauche de la Macronie revienne dans le giron du PS. Ce qui suppose de ne pas s’afficher trop proches des Insoumis nationalement. Et explique pourquoi des figures nationales du passé sont alignées avec son discours.  

Les soutiens de Nicolas Mayer-Rossignol utilisent parfois la même rhétorique, mais comme je le disais à l’instant, leur ambition me semble moins nationale que locale. L’objectif serait que chacun garde toute latitude pour faire les unions qui lui conviennent au plan local. Parce que nationalement, contrairement à ce qu’il affirme, imposer un PS central est très peu probable.

Du côté d’Olivier Faure, la valorisation de la Nupes répond à un réflexe classique après les défaites : repartir sur sa gauche. Elle a répondu au double enjeu d’expier le hollandisme et de sauver un groupe à l’Assemblée nationale. Elle répond aussi à des intérêts locaux différents de ceux que j’évoquais plus haut, comme le montrent les soutiens de certains maires de grandes villes comme Johanna Rolland à Nantes ou Mathieu Klein à Nancy, dont les relations avec LFI ont été facilitées par l’accord et sont plus nettement soutenues par les militants sur place.

L’union, c’est une façon de stopper le déclin.

L’insertion et la place du PS dans la Nupes sont relativement inédites au regard de son histoire. Qu’est-ce que cela nous dit du statut du PS aujourd’hui ?

L’union, c’est une façon de stopper le déclin. Le PS seul entre 2017 et 2022, ça n’a pas fonctionné. Olivier Faure veut stabiliser ce déclin, s’insérer dans la dynamique Nupes et voir ce qu’il est possible de faire à partir de là.

Il faut voir à quel point le parti a été abîmé. Sur toutes les grandes valeurs qui structurent la gauche et son électorat aujourd’hui, de l’écologie à la justice sociale, le PS est doublé par d’autres qui les incarnent mieux que lui. Déchu de son rôle de grand parti de pouvoir, absolument pas perçu comme un parti de luttes, il n’a plus d’identité bien affirmée au niveau national.

Il a un récit à construire, mais plus beaucoup de ressources pour y travailler, y compris matérielles. Certes, cela fait un moment qu’il ne produisait plus lui-même des idées et des concepts, mais au moins en était-il le débouché naturel. Or, quand on fait 1,7 % à l’élection présidentielle, cela n’a plus rien d’évident pour les acteurs extérieurs au parti. Les élus travaillent au Parlement mais sans véritables relais dans le parti.

Olivier Faure choque beaucoup de socialistes qui ont deux ou trois décennies de militantisme, car il prend acte, en quelque sorte, du fait que le PS est devenu un petit parti en difficulté.

Ce congrès était censé conforter Olivier Faure dans une œuvre de redressement. Il semble virer au pugilat, avec des résultats contestés, en tout cas très serrés. Au regard du passé, comment sortir par le haut de cette situation ?

J’observe surtout des différences avec les situations comparables intervenues par le passé. En 2008, les partisans de Martine Aubry avaient tout de même pas mal de ressources pour contrôler un parti conquis à l’arrachée. Olivier Faure est sortant, ce qui est un avantage, mais il a perdu une partie de sa majorité au profit de son rival, c’est un vrai handicap.

 

En 1990, au congrès de Rennes, c’est l’ancien premier ministre Pierre Mauroy qui sauve la situation. Alors qu’il aurait dû passer la main, il joue le rôle de point d’équilibre là où les tensions étaient exacerbées entre Lionel Jospin et Laurent Fabius. En 2023, il n’y a cependant plus de troisième homme de cette stature.

Le vrai problème, avec ce congrès, c’est qu’il n’a rien tranché, alors que le parti a été considérablement affaibli. Depuis 2017, rien n’a fondamentalement évolué. La question de l’incarnation n’a pas été posée et rien ne permet de faire apparaître clairement une ligne socialiste dans le débat public. Ce devait être la tâche des mois qui viennent, mais au vu de la partition en deux du parti, elle va être compliquée à accomplir.

Fabien Escalona

 

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