lundi 2 janvier 2023

PRESSE "PAPIER" : QUAND MACRON "DEVANCE LES CAPRICES" DE NOS MILLIARDAIRES "EN JETANT PAR LES FENÊTRES L'ARGENT DES CONTRIBUABLES"...

L’État finance à fonds perdu et sans fondement la presse vieillissante des milliardaires

Du fait de la révolution numérique, les ventes en kiosque de la presse quotidienne nationale dépassent à peine 150 000 exemplaires par jour, contre 1,3 million en 1990. Toujours prompt à voler au secours des milliardaires qui la possèdent, le gouvernement vient de débloquer 30 millions d’euros pour la presse « papier ».

Laurent Mauduit  / Médiapart

2 janvier 2023 à 18h03 

 

Ce sont deux chiffres qui soulignent l’injustice de la politique du gouvernement en matière d’aides à la presse, mais aussi son incohérence. Alors que la diffusion des journaux dans leur déclinaison « papier » ne cesse de s’effondrer au profit des supports numériques, au point que les ventes en kiosque pour la presse quotidienne nationale ne dépassent guère 150 000 exemplaires en moyenne par jour, le gouvernement a décidé de débloquer une aide exceptionnelle de 30 millions d’euros, s’ajoutant aux aides annuelles, pour soutenir les journaux qui affrontent la hausse des prix de production, et tout particulièrement celui… du papier.

Ce qui fera les affaires encore une fois de la dizaine de milliardaires qui sont précisément les propriétaires de la presse « papier ».

C’est un communiqué commun, daté du 14 décembre 2022, signé par plusieurs ministres, qui annonce la bonne nouvelle aux éditeurs de presse – sous-entendus aux milliardaires qui contrôlent les plus grands journaux : « M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, M. Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics, et Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture, annoncent une aide de 30 millions d’euros aux éditeurs de presse les plus touchés par l’augmentation de certains de ses coûts de production. Cette augmentation remet en cause la capacité de la presse à remplir sa mission essentielle d’information du public qui contribue à l’objectif à valeur constitutionnelle de pluralisme. Face à ces surcoûts, certains éditeurs de presse ont été contraints de réduire la pagination de leurs publications et de supprimer la parution de numéros spéciaux et hors-série. »

Les ventes en kiosque pour la presse quotidienne nationale dépassent à peine 150 000 exemplaires en moyenne par jour. © Photo Marta Nascimento / REA

Les formulations employées (« réduire la pagination », « supprimer la parution des numéros spéciaux et hors-série »…) font clairement comprendre que c’est en priorité au chevet de la presse « papier » que se porte le gouvernement, et que l’aide de 30 millions d’euros vise à compenser l’envolée des coûts de production.

En douterait-on, il suffit de poursuivre la lecture de ce communiqué. On y apprend en particulier ceci : « Cette enveloppe de 30 millions d’euros sera notamment financée par des crédits destinés au secteur de la presse qui n’ont pas été consommés dans le cadre du plan de relance et par 5 millions d’euros ouverts en loi de finances rectificative à la suite d’un amendement du député Denis Masséglia. »

Or, si l’on se reporte sur le site de l’Assemblée nationale au texte défendu par le député Renaissance, les choses sont dites aussi nettement : « Un amendement de 5 millions d’euros au bénéfice du programme 180 Presse et Médias a été adopté à l'unanimité de la commission des finances lors de l’examen des crédits de la mission tels que prévus par le PLF 2023. Il s’agissait de soutenir la filière presse en raison de la très forte augmentation du coût du papier et de l’énergie. »

C’est donc bel et bien de la presse « papier » qu’il est ici question et non de la presse numérique, dans laquelle figurent beaucoup des nouveaux médias indépendants qui se sont créés depuis 15 ans, parmi lesquels Mediapart.

Aucune indication n’est donnée ni par le gouvernement ni par le député sur les critères d’attribution, sinon que les bénéficiaires devront être les publications reconnues « par la commission paritaire des agences de presse et des publications (CPPAP) », mais on est invités à comprendre que les obligés du Palais seront encore une fois bien servis.

Les milliardaires premiers bénéficiaires

Cette sollicitude du gouvernement et du groupe macroniste à l’Assemblée nationale vis-à-vis des journaux détenus par de grandes fortunes est évidemment injuste pour une première raison connue depuis longtemps : même en dehors de ce contexte de crise liée à la guerre d’Ukraine qui voit exploser les prix de l’énergie et de beaucoup de matières premières, dont le papier, cette presse privilégiée est déjà celle qui profite le plus des aides de l’État. L’injustice frise même l’indécence, puisque ce sont les plus riches qui sont les plus généreusement dotés.

Les derniers chiffres disponibles, qui portent sur 2021, et que le gouvernement a discrètement publiés en septembre dernier, avec un retard injustifiable, l’établissent clairement.

À preuve, sur 92,8 millions d'euros d’aides directes distribuées cette année-là, le groupe Les Échos-Le Parisien, propriété de Bernard Arnault, arrive en tête du hit-parade, avec une dotation de 15,8 millions d’euros ; suivi en deuxième position par le groupe Le Figaro, propriété de la famille Dassault, avec 7,7 millions d’euros ; suivi en troisième place par le groupe Le Monde, propriété de Xavier Niel et de ses associés, avec 7,5 millions d’euros ; suivi en quatrième position par Libération, à l’époque propriété de Patrick Drahi, avec 6,7 millions d’euros.

Les chiffres sont par conséquent accablants : quatre milliardaires, qui n’ont nul besoin d’être aidés par l’État, se partagent à eux seuls 37,7 millions d’euros sur les 92,8 millions d’euros d’aides directes distribuées. On comprend la raison pour laquelle Mediapart, avec le syndicat professionnel dont il est l’un des cofondateurs, le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil), défend depuis toujours l’idée d’une suppression des aides directes, de sorte que les crédits de l’État soient redéployés sous la forme d’aides indirectes, profitant à tout l’écosystème de la presse, ou au lectorat, sous la forme d’une baisse de la TVA lui permettant d’acheter ses journaux papier ou numériques à prix réduits.

Cette aide exceptionnelle de 30 millions d’euros s’inscrit donc visiblement dans cette habitude détestable de l’État de cajoler la presse des milliardaires. Mais, cette fois-ci, c’est un autre constat qui saute aussi aux yeux : cette aide est par surcroît incohérente, et cela pour plusieurs raisons.

Primo, on découvre en lisant l’amendement du député Renaissance que les cinq millions débloqués proviennent d’une suppression pour un montant équivalent d’une dotation devant financer initialement le secteur du livre.

Dans « l’exposé sommaire » des motifs, on lit en effet ceci : « Cet amendement propose ainsi de transférer 5 millions d’euros à partir de l’enveloppe des crédits nouveaux devant être ouverts sur le programme 334 Livre et industries culturelles vers le programme 180 Presse et Médias (action 2 – Aides à la presse) afin de soutenir la filière presse face à l’envolée des coûts du papier et de l’énergie. »

Le raisonnement paraît obscur : s’il s’agit d’aider certaines industries à surmonter le choc de la hausse des prix du papier, pourquoi faut-il mettre à l’amende le secteur du livre, qui est tout aussi touché par la hausse de ces coûts de production ? Comprenne qui pourra…

L’effondrement des ventes en kiosque

Mais l’absurdité principale est encore ailleurs. Car, selon des indiscrétions auxquelles Mediapart a eu accès de sources professionnelles, le basculement historique de la presse « papier » vers la presse numérique a atteint un niveau tel que les ventes en kiosque de la presse quotidienne nationale seraient tombées autour de 150 000 exemplaires en moyenne par jour.

Ce chiffre qui circule dans le milieu des éditeurs n’est en vérité pas très difficile à vérifier. Si l’on scrute les données officielles de diffusion et de vente des journaux sur le site de l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM), on ne trouve certes pas directement de statistiques qui l’établissent.

Mais pour chaque titre de la presse quotidienne nationale, on peut obtenir le nombre d’exemplaires dans la catégorie « diffusion France payée », mois par mois, l’ultime statistique disponible s’arrêtant à octobre 2022. Et pour chaque titre, on dispose d’une infographie donnant la répartition par les différents supports de vente sur la période 2021-2022.

Par exemple, dans le cas du Monde, on relève que la « diffusion France payée » a été en octobre dernier de 479 720 exemplaires, et que les ventes au numéro ont représenté 5,94 % de l’ensemble, contre 78,64 % pour les versions numériques, 9,37 % pour le portage et 6,05 % pour les abonnements.

Même si la statistique des modes de vente n’est pas récente, on peut donc en déduire à peu de choses près que les ventes au numéro – pour l’essentiel les ventes en kiosque – du Monde avoisinent 28 495 exemplaires par jour en octobre 2022.

Et si on fait le même calcul pour la totalité des titres de la presse quotidienne nationale (Le Monde, Le Figaro, L’Équipe, Les Échos, Libération, La Croix, L’Humanité), à quel résultat global arrive-t-on ? Très exactement à 152 555 exemplaires vendus en kiosque.

Il n’est pas très difficile de prendre la mesure de l’effondrement en cours des ventes en kiosque. Par comparaison avec ce chiffre de 152 555 ventes moyennes constatées en octobre 2022, on peut relever que le chiffre moyen des ventes en kiosque des mêmes journaux de la presse quotidienne nationale s’élevait à 1 335 000 exemplaires vendus par jour en 1990, selon les statistiques publiées à l’époque par les Nouvelles Messageries de la presse parisienne (NMPP), comme en rend compte un article de l’époque du Monde.

On comprend donc l’autre aspect stupéfiant de la politique d’aides de l’État en direction de la presse : alors que la révolution numérique est en train de modifier radicalement les modes de lecture, l’État, qui met le plus de bâtons possible dans les roues de la jeune presse indépendante sur Internet, finance à fonds perdu une presse vieillissante, sous format papier, qui est en passe de s’effacer progressivement au profit d’une nouvelle presse numérique.

Et même si à ces chiffres de la presse quotidienne nationale stricto sensu on agrège les chiffres du Parisien-Aujourd’hui en France, dont le statut est mixte, très peu national, fortement régional, on passe en moyenne à 256 629 exemplaires vendus en kiosque. Mais cela ne change guère le constat d’ensemble : le système français s’acharne à fermer la porte aux nouveaux entrants pour protéger le pré carré de quelques milliardaires. C’est l’inverse de l’État stratège : c’est l’État aveugle, l’État complice…

Médias : aux origines du naufrage démocratique français

Car, en réalité, la presse quotidienne nationale et la presse quotidienne régionale sont happées depuis plus de deux décennies dans une logique mortifère. Alors que le basculement vers le numérique s’accélère, le « papier » voit fondre chaque année davantage son lectorat, ce qui le contraint à majorer toujours plus ses prix. Cela accélère la fuite des lecteurs, les prix devenant inabordables, surtout pour les plus jeunes. Dans le même mouvement, les éditeurs demandent aussi chaque année à l’État de venir budgétairement à leur secours.

Ce début d’année 2023 est à lui seul une caricature de cette descente aux enfers. L’État majore en effet ses aides en direction du « papier » et dans le même temps, tous les journaux augmentent, comme le souligne Le Monde : « Il faudra débourser 20 centimes de plus pour acheter l’édition papier du Figaro, des Échos ou encore du Monde, qui progresseront à 3,40 euros. La Croix et Libération augmenteront respectivement de 30 et de 20 centimes, pour atteindre 2,70 euros. Quant à L’Équipe, le journal sera vendu 10 centimes plus cher (2,30 euros la semaine et 3,30 euros le samedi avec le magazine), à partir du 2 janvier. »

Et dans le même temps, l’État ne prévoit rien pour soutenir la presse numérique, dont les titres les plus récents peuvent être très durement menacés dans leurs équilibres économiques par le contexte inflationniste et le gonflement induit de la masse salariale.

Imagine-t-on qu’au milieu du XIXe siècle, en pleine révolution des transports, Napoléon III ait cherché à freiner l’expansion du chemin de fer et financé massivement la diligence ? Bien sûr que non ! Mais dans la France d’Emmanuel Macron, l’envie de devancer les caprices de quelques grandes fortunes conduit à des stupidités similaires, en jetant par les fenêtres l’argent des contribuables…

Laurent Mauduit

 

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