dimanche 29 janvier 2023

LES ANIMAUX MALADES DE LA PESTE : "SELON QUE VOUS SEREZ PUISSANT OU MISERABLE," ETC...


 
 
 
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Par Pascale Pascariello, Antton Rouget
 
Par Pascale Pascariello, Antton Rouget
 

COULISSES.


Cols blancs et poudre blanche


Par Michaël Hajdenberg, coresponsable du pôle Enquête. 

enquete@mediapart.fr
 
Le député Emmanuel Pellerin a fixé le rendez-vous un mardi, à 9 h 30 du matin, chez une amie à lui. Pascale Pascariello et Antton Rouget l’ont sollicité pour parler de sa consommation de cocaïne. Il les reçoit seul. Sans avocat. Contrairement à la plupart des élu·es, il n’a pas demandé à connaître plus précisément les questions, pourtant sensibles, qui vont lui être posées. Il dit assumer.

En réalité, il ment. Comme il en conviendra vite : il n’a pas réellement arrêté sa consommation au moment de son entrée en politique. Mais son discours, incohérent, inconséquent, est intéressant bien au-delà de sa propre personne. Il donne à entendre l’immense hypocrisie de la société française, de sa classe politique, de son institution judiciaire, de ses élites économiques et culturelles, dès lors que l’on évoque la consommation chez celles et ceux qui ont un capital, qu’il soit financier ou culturel.
« En gros, il y aurait les bons et les mauvais consommateurs, résume Antton Rouget. Et lui se classe clairement dans la catégorie des bons. Ceux qui sauraient s’arrêter quand ils le souhaitent, alors qu’il faudrait sanctionner les autres. » Pascale Pascariello détaille : « Lui a des excuses. Il a traversé des moments personnels difficiles. En même temps, il parle de lui comme d’un primo-délinquant. Il est confus. »

Le député ne s’offusque pas de la démarche journalistique. Il ne dit pas que cela relève de sa vie privée. À la fin du rendez-vous, il remercie pour l’échange. « Il dit même qu’il faut taper très fort les consommateurs, comme le préconise le ministre Gérald Darmanin », souligne Antton Rouget. Mais c’est comme s’il ne se sentait pas appartenir à cette catégorie.

Il n’est pas le seul. L’article a suscité un débat : des lecteurs et lectrices ont commenté d’une façon qui nous a paru décalée : alors comme ça Mediapart fait la chasse aux consommateurs ? Vous voulez donner dans la répression ? Entrer dans la vie privée ? Rendre plus honteuses encore les personnes souffrant d’addiction(s) ? Vous ne voyez pas que c’est un problème de santé publique ?

L’article n’est pourtant pas une analyse, un bilan ou un éditorial sur le bien-fondé des lois françaises en la matière (nous avons déjà consacré beaucoup de sujets à cette thématique et continuerons à le faire). « L’article est un empilement de faits concernant la situation d’un parlementaire, rappelle Antton Rouget. Nous n’avons développé que les faits nous paraissant les plus significatifs. »

« D’abord, on n’est pas face à un élu progressiste qui prônerait la légalisation des drogues, ou leur dépénalisation, et qui soutiendrait un accompagnement thérapeutique dans ce type de situation, analyse Antton Rouget. On est face à un élu d’une majorité qui bien au contraire nous dit qu’il faut renforcer le délit lié à la consommation, déjà passible d’une peine de prison avec sursis. »

Après la publication de l’article, un autre commentaire est revenu à plusieurs reprises : « Sans blague ! La belle affaire ! Tout le monde sait que la classe politique prend de la drogue…» C’est pourtant une chose de croire savoir, de répandre des rumeurs. C’en est une autre de documenter précisément des faits, de façon à nourrir le débat public.

Or, précisément, la consommation de drogues par les élites n’est jamais interrogée. « Ceux qu’on sanctionne, ce sont les classes populaires, qui consomment en bas des tours, dans l’espace public, et qui se font donc contrôler par la police, puis sanctionner par la justice, y compris pour de la simple détention, rappelle Pascale Pascariello. Alors que les élites se font livrer chez elles, à l’abri des regards gênants. On attaque donc seulement un petit bout de la filière, bien identifié socialement et géographiquement. »

Plus étonnant encore : même quand les acteurs, les journalistes, les mannequins, les avocats, les banquiers ou un député se font attraper, il ne leur arrive rien. « On le voit dans les procédures judiciaires, raconte Pascale Pascariello. Ces élites reconnaissent consommer. Au commissariat, elles balancent leur dealer, qui va partir en prison. Mais elles, il ne leur arrive rien. Alors qu’elles sont liées à ce trafic. C’est du commerce. Il faut absolument s’interroger sur cette situation. »

Même dans l’enceinte d’un tribunal, de tels aveux n’intéressent personne, comme on l’a vu lors du procès Bigorgne, lors duquel la consommation a été reconnue à l’audience sans qu’elle soit seulement questionnée.

 

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