mardi 10 janvier 2023

FACE AU PAPOTAGE DE LA 'PREMIERE DAME' (cf. ci-dessus), LE DISCOURS PRESIDENTIEL - "CAMOUFLET" AU MINISTRE BRAUN AU "CNR MORT-NE" - "ADDITION DE PETITES MESURES (...) TOUJOURS EN DESSOUS DES BESOINS" (CH. PRUDHOMME).

 

 

Santé : face à une crise « sans fin », Macron annonce une série de « petites mesures »

Le président de la République a dévoilé la feuille de route de son second quinquennat en matière de santé. Une série de mesures, parmi lesquelles la suppression de la tarification à l’acte ou la remise en cause des 35 heures à l’hôpital, censées enrayer la crise du secteur. Soignants et élus attendent maintenant des actes.

 

Caroline Coq-Chodorge et Ilyes Ramdani  / Médiapart

6 janvier 2023 à 20h57 

 

Corbeil-Essonnes (Essonne).– Et surtout, la santé ! Pour son premier déplacement de l’année, Emmanuel Macron a tenté de convaincre l’opinion que la crise « sans fin » du système de santé était au sommet de ses priorités. Dans un discours d’une heure, le président de la République a annoncé une série de mesures qu’il a vantées comme « radicales » pour « l’avenir de notre système de santé », face à une centaine de professionnel·les du secteur réuni·es au Centre hospitalier sud-francilien, situé à Corbeil-Essonnes (Essonne).
Emmanuel Macron avec des personnels soignants au centre Hospitalier de Corbeil-Essonnes, le 6 janvier 2023. © Photo Eliot Blondet / Abaca


L’entourage présidentiel avait lui-même nourri les attentes autour de ce discours, promettant qu’Emmanuel Macron allait « donner un cap aux soignants » et « faire des annonces très concrètes ». Le simple fait qu’il présente ses vœux au monde de la santé, une première depuis 2017, devait constituer selon ses proches un signal envoyé aux professionnel·les du secteur. « La santé n’est pas une politique publique parmi d’autres mais elle permet toutes les autres, a assuré le chef de l’État dès le début de son intervention. Elle est la trace visible de ce qui tient une nation. » 

Alors que les revendications et les mobilisations se succèdent dans le secteur (en pédiatrie et en médecine libérale ces dernières semaines), Emmanuel Macron s’est évertué à mettre des mots sur « l’inquiétude, l’angoisse, la fatigue » des soignant·es. « Je sais l’épuisement personnel et collectif, le sentiment de perte de sens, de passer d’une crise à l’autre », a-t-il assuré, faisant allusion plus tard au « besoin de reconnaissance et de sens » qu’il percevait chez les soignant·es. 

Pendant plus de deux heures, Emmanuel Macron a visité les services de pédiatrie, des urgences à la réanimation, débordés depuis le mois de novembre par la bronchiolite. Il y a été plutôt bien accueilli : des soignants lui ont même dit qu’ils l’attendaient « comme le messie », ou plutôt comme Messi ou Mbappé, celui capable de renverser le cours défavorable du jeu.

Les soignant·es lui ont redit leurs difficiles conditions de travail, la fuite de l’hôpital, les cent cinquante lits fermés, sur mille lits en tout, les rémunérations qui ne sont « pas à la hauteur », le travail de nuit pas reconnu, payé « un euro supplémentaire de l’heure », a insisté une infirmière. La maternité, qui est pourtant la plus grosse et la plus qualifiée du département, doit refuser des inscriptions de parturientes : trente postes de sages-femmes sur quatre-vingts sont vacants.

À ces soignant·es, Emmanuel Macron n’a cependant rien annoncé de neuf. Il n’a par exemple rien dit des ratiosun effectif minimum de personnels auprès des malades – réclamés par de nombreux collectifs hospitaliers.

Il s’est contenté de relancer de nombreux chantiers, certains explosifs : le financement de l’hôpital, son organisation, le temps de travail du personnel ; la place des médecins libéraux dans le système de santé ; les délégations de tâches vers d’autres professionnels de santé. Seule nouveauté : Emmanuel Macron a cette fois posé des ultimatums.

On va réinvestir massivement.

Emmanuel Macron

Dans un étonnant mea culpa sur son propre bilan, le président de la République en a convenu : « Tout était à peu près posé » en 2018, date de son dernier grand discours sur le sujet. « C’est une manière cruelle de dire, a-t-il immédiatement précisé, que si le diagnostic était juste, le traitement n’était sans doute pas suffisant. »

Emmanuel Macron a acté les difficultés profondes, structurelles, du système de santé. Dans les dix années à venir, le nombre de médecins ne cessera pas de diminuer, et dans le même temps, la population de vieillir. Le président de la République ne promet pas le grand soir : « On va mettre une décennie à changer le système en profondeur », a-t-il convenu. Il n’a pas avancé de chiffre, mais il s’y est engagé : « On va réinvestir massivement. »

« Il n’est pas dans le déni, c’est déjà ça. Mais son discours est une addition de petites mesures, tacle le médecin urgentiste Christophe Prudhomme, porte-parole de la CGT santé. Il acte la fin de la tarification à l’activité, tout en restant dans la logique de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) : l’enveloppe financière reste fermée, toujours en dessous des besoins. »  (1)

Emmanuel Macron fait en effet mine d’entendre de très anciennes revendications des hospitaliers : effacer la loi HPST de 2008, celle de Nicolas Sarkozy, qui a consacré l’« hôpital entreprise », où il n’y a qu’« un seul chef », le directeur qui mène la course à l’activité, la T2A. 

Emmanuel Macron affirme vouloir « sortir de la tarification à l’activité, dès le prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale », à l’automne prochain. Mais là aussi, l’annonce n’est pas nouvelle : « Je ne vais pas dire : “On va sortir progressivement de la tarification”, parce que je l’ai déjà dit », en 2018, en présentant la loi « Ma santé 2022 », a-t-il convenu. 

« On est évidemment d’accord avec l’objectif de santé publique mais il faut que ça s’applique aussi au privé, prévient Arnaud Robinet, président de la Fédération hospitalière de France (FHF) et maire Horizons de Reims (Marne). Le risque est de créer une médecine à deux vitesses, avec un privé qui va se concentrer sur les actes les plus onéreux et accroître encore la charge sur l’hôpital public. » 

En réalité, la tarification à l’activité ne disparaîtrait pas, elle diminuerait au profit d’une « rémunération sur objectif de santé publique » qui reste à construire, ce qui n’est pas une mince affaire. « Emmanuel Macron, c’est donc Gérard Majax, raille le docteur Cibien, urgentiste et vice-président du syndicat Samu urgences de France. Il abandonne la T2A, mais en la conservant. »

Aux médecins, il promet aussi une gouvernance bicéphale de l’hôpital : un directeur associé à un médecin. « C’est un message important, estime le docteur Cibien. Réintroduire du médical dans la gouvernance peut aider à sortir de la course à l’activité. Mais est-ce que les médecins vont devoir faire l’école de Rennes ? », celle des directeurs d’hôpitaux. « Parce que si on ne donne pas les moyens financiers et humains, le problème sera toujours le même, poursuit-il. Certes, l’hôpital a reçu 19 milliards avec le Ségur. Mais ce n’est même pas un rattrapage, car ce sont 150 milliards qui ont manqué dans les hôpitaux ces dix dernières années. »

Des revalorisations pour les médecins libéraux, sous conditions

Aux médecins libéraux actuellement en grève, qui réclament une revalorisation de leur consultation à 50 euros, au lieu de 25, il ne veut pas imposer de mesures contraignantes, mais des incitations financières à prendre leur part dans la continuité des soins, qui pèse aujourd’hui essentiellement sur l’hôpital.

Le ton du président de la République est cependant ferme. Les médecins libéraux n’ont pas l’obligation de participer à la permanence des soins, le soir et le week-end. Pour le président, elle est pourtant « l’affaire de tous et toutes. Les Français doivent pouvoir trouver un médecin de garde ».

Aux libéraux aussi, il promet des revalorisations dans le cadre des négociations ouvertes avec l’assurance-maladie, qui doivent aboutir fin février. Mais elles seront concentrées sur « les médecins qui participent à la permanence des soins, forment des internes, aident aux coups de chauffe du système de santé, participent à l’organisation des soins ». En libéral aussi, « on sort d’un financement à l’acte », assure-t-il.

Et aux 600 000 malades chroniques qui n’ont pas de médecin traitant, il promet « un médecin traitant avant la fin de l’année ».  

Il met encore en garde les médecins libéraux : « Qu’un patient ne puisse pas renouveler une ordonnance n’est pas admissible. » Il les encourage à s’organiser localement au sein des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) pour « déléguer des actes aux paramédicaux », notamment aux infirmières, et ce dès le 1er mars.   

Pour Luc Duquesnel, le président de la section généralistes de la CSMF, le premier syndicat de médecins libéraux, le président de la République n’a en réalité fait que « peu d’annonces ». Sur le transfert de tâches vers d’autres professionnels, « nous y sommes favorables si cela se met en place dans le cadre d’un exercice coordonné protocolisé avec le médecin traitant ». Et en ce qui concerne la promesse d’une revalorisation des médecins généralistes, il attend de voir : « Nous saurons dès la reprise des négociations conventionnelles la semaine prochaine s’il ne s’agit que de bonnes paroles. »

Emmanuel Macron n’a en revanche presque rien dit des déserts médicaux, qui privent 6 millions d’accès à un médecin traitant, et font le lit des inégalités de santé. Il a seulement esquissé des revalorisations pour les médecins spécialistes qui y réaliseraient des « consultations avancées », ou pour les médecins généralistes qui accepteraient de prendre de nouveaux patients. Peut-être compte-t-il sur la pression mise par une coalition de député·es de tous bords, qui cherchent à faire passer une loi encadrant la liberté d’installation des médecins.

Si les médecins vont manquer encore longtemps, il est encore possible de renverser la tendance côté paramédicaux : les aides-soignantes sont formées en deux ans, les infirmières en trois.

Les effectifs des écoles ont déjà fortement augmenté. Mais parce qu’ils sont souvent mal encadrés, mis en difficulté dans des services en sous-effectifs, « 30 % des élèves arrêtent, 10–15 % échouent », a convenu Emmanuel Macron.  

Aux paramédicaux, il promet d’autres revalorisations, mais contre l’interdiction d’exercer en intérim en sortie d’école : pendant quelques années, ils devront être « en poste », dans un établissement de santé.

Il veut aussi s’engager sur un terrain éminemment périlleux, celui du temps de travail. Là encore, le chantier n’est pas neuf : après les 35 heures, les hôpitaux n’ont cessé de renégocier leurs accords sur le temps de travail, pour économiser des postes, toujours au détriment des soignants.

Pour Emmanuel Macron, l’hôpital serait le « dernier endroit où les 35 heures fonctionnent encore. Le système ne marche qu’avec les heures supplémentaires ». Il veut que ce « système sur-contraint » soit « remis à plat d’ici juin ». Pour la CGT, le président de la République ouvre les hostilités : « Cette annonce est la plus choquante, estime le docteur Christophe Prudhomme. Les horaires deviendraient variables, négociés avec les cadres et chefs de service. »

Au détour de son discours, Emmanuel Macron a glissé une seule idée vraiment nouvelle : il veut « responsabiliser le patients ». « À force de lever toutes les barrières à l’accès aux soins, la santé n’a plus de prix, de valeur. Il y a parfois de l’imprévoyance, de la désinvolture », estime-t-il, évoquant des sanctions en cas rendez-vous non honorés ou de recours abusif aux soins.

Le très discret François Braun 

L’entourage d’Emmanuel Macron vante un « discours de vérité », qui permet aussi de régler quelques comptes politiques. En critiquant ainsi l’application insuffisante du plan « Ma santé 2022 » présenté il y a quatre ans, Emmanuel Macron égratigne sa première ministre de la santé, Agnès Buzyn. Laquelle a récemment accusé Emmanuel Macron, dans les colonnes du Monde, de n’avoir pas suffisamment écouté ses alertes au printemps 2020 sur la gravité de la pandémie.

L’actuel ministre de la santé, François Braun, est lui resté muet tout au long du discours, à peine mentionné par le président. Il a même promis de superviser lui-même l’exécution de son cocktail de promesses. « Comptez sur mon engagement personnel et de manière régulière, a-t-il insisté. Dans la durée, je reviendrai à vos côtés pour […] m’assurer de la mise en œuvre de ce qu’on se dit. » 

« Une énumération de mesures aussi techniques, c’est le rôle d’un ministre, pas du président », cinglait un élu. Mais le ministre savait-il lui-même ce qu’avait décidé le président de la République ? Dans les allées du pouvoir, la séquence était perçue vendredi comme un camouflet pour François Braun. Celui-ci était censé présenter, dans le courant du mois, le bilan du Conseil national de la refondation (CNR) dédié à la santé, avant de proposer des mesures… Voilà le CNR mort-né, tué dans l’œuf par un chef de l’État soucieux de répondre avec hâte à une préoccupation majeure des Français·es.

Au point de monter ce plan dans son bureau de l’Élysée, sur la base des avis de son ministre mais aussi de multiples interlocuteurs, habitués à court-circuiter le ministère de l’avenue Duquesne. « C’est l’Élysée et, in fine, Bercy qui ont eu la main, assure l’un d’eux. Braun est un bon technicien mais il est très effacé, et Macron a géré ce dossier en direct. » Vendredi matin, à quelques minutes de l’arrivée du convoi présidentiel, le ministre de la santé confiait à un de ses interlocuteurs qu’il n’était pas sûr de connaître les tout derniers arbitrages d’Emmanuel Macron.

Caroline Coq-Chodorge et Ilyes Ramdani

 

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