mercredi 4 janvier 2023

DARMANIN LUI-MÊME N'EST NI 'INATTAQUABLE', NI 'RESPECTABLE' : RECENSION DES FAITS A CHARGE DE CE PERSONNAGE DU POUVOIR.

Darmanin : « Un représentant de l’État doit être inattaquable et respectable. » Sauf exception

Réagissant au limogeage de la préfète d’Indre-et-Loire, Gérald Darmanin a estimé qu’« un représentant de l’État doit être inattaquable et respectable ». Pourtant, le ministre de l’intérieur a lui-même été mis en cause. Il a maintenu ou soutenu des fonctionnaires ou personnalités parfois condamnés.

Pascale Pascariello, Antton Rouget et Marine Turchi   /  Médiapart

3 janvier 2023 à 18h55 

 

La déclaration ne manque pas de culot. Réagissant pour la première fois au limogeage de la préfète d’Indre-et-Loire, Gérald Darmanin a lâché, sur BFMTV : « Un représentant de l’État doit être inattaquable et respectable, et lorsque ce n’est pas le cas, je prends mes responsabilités en tant que chef de l’administration. »

Le 7 décembre, la préfète Marie Lajus a été évincée brutalement de son poste, sans nouvelle affectation. Pour ses soutiens, la haute fonctionnaire a été limogée pour avoir exercé son rôle de garante du respect de la loi. Elle s’est notamment opposée à un projet d’incubateur visant à réunir start-up et chercheurs, qui impliquait de construire un bâtiment de 4 000 m2 dans le parc d’un château classé monument historique, dans une zone non constructible et protégée. Ce qui a irrité des élus de droite et de la majorité.

Gérald Darmanin à Paris en 2022. © Photo Joël Saget / AFP

Mais Gérald Darmanin assure que sa décision de démettre la préfète de ses fonctions n’a « rien à voir avec des projets immobiliers ». Depuis Mayotte, où il était en déplacement le 1er janvier, le ministre de l’intérieur a dénoncé « beaucoup de mensonges » autour de cette affaire, sans pour autant donner les raisons précises de cette éviction. Il a indiqué, de manière sibylline, qu’elle était liée « au comportement des uns et des autres ». Puis il a mis en cause, sans citer le nom de la préfète, sa respectabilité.

Cette phrase n’a pas manqué de faire réagir. D’abord parce que la préfète est, au contraire, connue pour son « professionnalisme », « son impartialité, sa probité et son humanité », ont fait savoir 49 personnalités, acteurs de la société civile, fonctionnaires et élu·es des territoires où elle a exercé, dans une tribune publiée dans Le Monde.

Mais la déclaration du ministre de l’intérieur a aussi provoqué des remous parce que, ces dernières années, il a maintenu en poste, promu ou soutenu des fonctionnaires ou personnalités mis en cause, voire condamnés, dans des affaires financières, de corruption ou de violences. Lui-même a été accusé par deux femmes d’avoir abusé de son pouvoir pour obtenir des faveurs sexuelles.

  • Une préfète maintenue malgré une enquête pour « prise illégale d’intérêts »

Les reproches en manque de « respectabilité » de Marie Lajus ont ceci d’étonnant que si la préfète d’Indre-et-Loire n’a jamais été mise en cause dans sa conduite des dossiers, ce n’est pas le cas de la représentante de l’État à l’échelon supérieur. En effet, Régine Engström, préfète de la région Centre-Val de Loire, dont fait partie le département d’Indre-et-Loire, est visée par une enquête du Parquet national financier (PNF) pour des soupçons de « prise illégale d’intérêts ». 

Fait rarissime : son bureau à la préfecture de région a été perquisitionné, le 5 avril 2022, trois mois après des révélations de Mediapart sur les liens entre Régine Engström et le groupe immobilier Nexity. La préfète avait pris fait et cause pour ce promoteur, contre l’avis de sa propre administration, dans un projet immobilier controversé de destruction d’une caserne à Montargis (Loiret).

Le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin n’a rien trouvé à redire à cette situation, ni avant l’ouverture de l’enquête judiciaire, ni après. Mais il est vrai que la préfète de région, dont la nomination en provenance du privé avait provoqué la colère de hauts fonctionnaires, est soutenue par l’Élysée. À la différence de Marie Lajus, Régine Engström est également défendue par plusieurs barons locaux de droite, qui étaient eux aussi favorables au projet immobilier porté par Nexity et ont ferraillé contre la position de services de l’État.

  • Un soutien à Nicolas Sarkozy malgré sa condamnation

Le soutien public de Gérald Darmanin à Nicolas Sarkozy, qui a comparu trois fois en tant que prévenu devant une chambre correctionnelle, rend sa déclaration à l’égard de Marie Lajus d’autant plus surprenante.

En décembre 2020, alors que deux années de prison ferme sont requises dans l’affaire « Bismuth » à l’encontre de l’ancien président de la République, Gérald Darmanin lui apporte son « soutien personnel ». Il déclare avoir pour lui « du respect, de l’affection », et estime qu’il est un homme « honnête », « qui a beaucoup servi la République » et qui a été « toute sa vie voué à la politique et donc aux Français »

Trois mois plus tard, lorsque Sarkozy est condamné pour des faits de corruption à un an de prison ferme dans cette affaire, et que le tribunal correctionnel insiste sur la « particulière gravité » des faits, le ministre de l’intérieur témoigne à nouveau, devant les caméras, de son « soutien amical » à l’ancien président, redisant « l’affection, le respect » qu’il a pour ce « grand président de la République ».

Nicolas Sarkozy a fait appel de cette décision. Lors du procès, en décembre 2022, l’avocat général a parlé d’une « affaire d’une gravité sans précédent au cours de la Ve République », qui « ne se contente pas de secouer notre démocratie mais en sape les fondements ».

Dans l’affaire Bygmalion, l’ex-chef de l’État a été condamné à un an de prison ferme pour des faits de financement illégal de campagne électorale, en septembre 2021. Il a fait appel de cette condamnation.

Il est en outre mis en examen pour « association de malfaiteurs » et « corruption » dans le scandale des financements libyens, dont l’instruction s’achève actuellement. Enfin, son nom est cité avec insistance dans l’affaire du « Qatargate » et du rachat du PSG, ainsi que dans l’affaire Mimi Marchand. Jamais dans l’histoire de la République un ancien chef de l’État n’avait connu un tel parcours judiciaire.

Nicolas Sarkozy et Gérald Darmanin le 5 octobre 2018, aux obsèques de Charles Aznavour, aux Invalides, à Paris. © Ludovic Marin / AFP
 
  • Un blanc-seing aux dérives et violences policières  

En matière de violences policières, la respectabilité est là encore une notion à géométrie variable pour le ministre Gérald Darmanin qui, le 3 janvier, vient de nommer au sein même de son cabinet Claude d’Harcourt l’ancien préfet de Loire-Atlantique en fonction lors du décès de Steve Maia Caniço, survenu au cours d’une intervention de police, en juin 2019 à Nantes.

À la suite de l’instruction menée sur la mort du jeune homme, Claude d’Harcourt avait été mis en examen pour homicide involontaire. Saisie par l’avocat du fonctionnaire, la cour d’appel de Rennes (Ille-et-Vilaine) a annulé, en octobre 2022, cette mise en examen. Désormais placé sous le statut de témoin assisté, l’ancien préfet reste cité dans cette affaire, qui devrait être jugée en 2023. Après avoir fait valoir ses droits à la retraite, il est aujourd’hui conseiller du ministre sur les questions relatives à l’administration territoriale et les cultes. 

Il n’est pas le seul mis en cause dans le décès de Steve Maia Caniço à avoir bénéficié de la clémence de Gérald Darmanin. Mis en examen pour homicide volontaire, l’ancien directeur de cabinet du préfet, Johann Mougenot, est depuis sous-préfet des Sables-d’Olonne. Également mis en examen, le commissaire Grégoire Chassaing, chargé des opérations de police ayant causé la mort du jeune homme, est, depuis mai 2021, directeur départemental adjoint de la sécurité publique à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Alors qu’il ne devait plus avoir de fonctions en lien avec le maintien de l’ordre jusqu’aux conclusions de l’enquête judiciaire, Gérald Darmanin en a décidé autrement. 

Malgré ces dérives successives, Gérald Darmanin a également apporté son soutien indéfectible au préfet de police de Paris, Didier Lallement. Dès septembre 2020, le ministre a entériné les pratiques agressives instituées par le préfet, notamment le recours à la nasse. Jugée illégale et attentatoire à la liberté de manifester, par le Conseil d’État en juin 2021, cette pratique a dû être retirée du schéma du maintien de l’ordre, sans pour autant, avoir disparu des pratiques policières.    

Ainsi, sous le préfet Lallement, les violences des forces de l’ordre se sont succédé. Difficile d’oublier les images de ces manifestantes féministes bousculées violemment et nassées dans le métro, le 7 mars 2020. Ou celles des violences commises le 23 novembre 2020 contre des migrants sans abri, sortis de leurs tentes et traînés au sol par des policiers. Néanmoins, Gérald Darmanin n’a eu de cesse de renouveler sa confiance et son soutien au préfet Didier Lallement

Outre ses pratiques, le préfet de Paris s’est également distingué par des déclarations mensongères. Et là encore il a pu compter sur la bienveillance du ministre. 

Il y a trois ans, le 3 janvier 2020 à Paris, Cédric Chouviat, 42 ans, décédait lors d’un contrôle de police. Didier Lallement avait alors communiqué de fausses informations selon lesquelles le livreur s’était montré « agressif » et avait essayé de se soustraire à son interpellation, avant de succomber à un malaise cardiaque. Or, rien ne permettait de soutenir de telles inexactitudes, à l’exception de la version des quatre policiers mis en cause, version qui se révélera rapidement fausse. Après avoir subi une clé d’étranglement, plaqué au sol sur le ventre et menotté, Cédric Chouviat est mort asphyxié, répétant « j’étouffe » à plusieurs reprises, jusqu’à la mort. 

Loin de sanctionner le préfet Didier Lallement, le ministre de l’intérieur lui emboîte le pas, allant jusqu’à déclarer quelques mois plus tard, en juillet 2020, devant la commission des lois de l’Assemblée nationale : « Quand j’entends le mot de violences policières, personnellement je m’étouffe. »

Un mépris qu’il a renouvelé à l’égard de la famille de Cédric Chouviat en refusant, en juin 2021 et malgré les premiers éléments accablants pour les fonctionnaires, de suspendre les policiers mis en cause dans le décès de leur proche. 

À travers Didier Lallement, l’image d’un préfet « inattaquable et respectable » prend un tout autre sens. Le ministre de l’intérieur l’a soutenu jusqu’au fiasco de la finale de la Ligue des champions au Stade de France, le 28 mai 2022. 

Ce jour-là, près de 400 millions de téléspectateurs découvrent le maintien de l’ordre agressif de la police française, gazant sans motif des supporters. Alors même que les images documentent la faillite de la préfecture de police dans l’organisation de la finale, Didier Lallement accuse des supporters anglais, 30 000 à 40 000, « sans billets pour le match ou détenteurs de faux billets ». Deux jours plus tard, Gérald Darmanin reprend les déclarations du préfet, visant de nouveau les supporters anglais. 

Des mensonges rapidement mis en lumière par les enquêtes des deux commissions sénatoriales qui concluent, en juillet 2022, à « un enchaînement de dysfonctionnements » dans l’organisation, imputable notamment à la préfecture de police de Paris. 

« Dans d’autres pays, [de telles déclarations auraient] valu la démission du ministre et du préfet, avait alors confié auprès de Mediapart un haut gradé de la gendarmerie. Mais en France, aux violences policières, se rajoutent les mensonges pour les couvrir sans que cela pose problème. »  

À la suite de ce désastre et après son départ de la préfecture, Didier Lallement, (également visé par deux informations judiciaires sur ses pratiques lors de manifestations de gilets jaunes), a été nommé secrétaire général de la mer. 

Autre exemple, comme nous l’avions révélé : celui du colonel Éric Steiger condamné, en mai 2021, pour violences conjugales, et promu un mois plus tard, à la tête du commandement de la gendarmerie en Nouvelle-Calédonie – poste le prédisposant à être inscrit sur une liste d’aptitude pour devenir général. 

Enfin, il y a ceux qui comme le commissaire général, Jean-François Illy, se sont illustrés dans le domaine financier. Sévèrement épinglé par l’IGPN, il a pu rester chez lui à ne rien faire tout en continuant à percevoir un confortable salaire.

Jean-François Illy avait, à des fins privées, utilisé entre 2013 et 2019 les moyens de paiement de l’administration et les services de son chauffeur. L’ancien numéro un de la police de Nice et Strasbourg avait alors fait l’objet d’une enquête administrative de la police des polices, conclue en avril 2020. Selon la décision du conseil de discipline d’octobre 2020, compte tenu de son « comportement indigne » et « des manquements aux exigences éthiques et déontologiques de la police nationale », le commissaire général devait être mis d’office à la retraite. Mais plus de huit mois plus tard, le ministre n’avait toujours pas sanctionné le commissaire. Ce n’est qu’à la suite de nos révélations que le décret décidant de sa mise à la retraite avait été signé. 

  • Des accusations d’abus de pouvoir visant Darmanin lui-même

Dans les deux affaires qui l’ont lui-même visé, Gérald Darmanin a-t-il été « inattaquable et respectable » ? Les deux plaintes déposées contre lui en 2018 n’ont pas eu de suites judiciaires (celle pour « viol » a fait l’objet d’un non-lieu, contesté par la plaignante devant la justice ; celle pour « abus de faiblesse » a été classée sans suite). Mais dans ces deux dossiers similaires, plusieurs éléments avérés ont mis en cause l’éthique et la déontologie du ministre, et l’usage qu’il a fait de son pouvoir lorsqu’il était élu à Tourcoing.

Deux femmes ont accusé Gérald Darmanin d’avoir profité de sa position d’élu pour obtenir des faveurs sexuelles, en 2009 et en 2016. Dans les deux affaires, l’élu de Tourcoing a eu des relations sexuelles avec des femmes venues lui demander de l’aide sur des dossiers de la plus grande importance pour elles : son dossier judiciaire pour la première, une sympathisante UMP ; ses recherches de logement et de travail pour la seconde, une habitante de Tourcoing au RSA.

À chaque fois, Gérald Darmanin a adressé des lettres d’intervention, rédigées sur papier à en-tête de la ville de Tourcoing, en tant que représentant politique, laissant ces femmes penser qu’il avait un levier d’action pour débloquer leur situation : en tant que conseiller communautaire (tout en étant chargé de mission à l’UMP, parti alors au pouvoir) dans un cas, en qualité de maire de Tourcoing dans l’autre.

Dans les deux cas, enfin, les deux femmes ont ensuite verbalisé, dans des SMS qu’elles lui ont directement envoyés, le fait que Gérald Darmanin aurait « abusé de sa position », et de leurs situations respectives, pour obtenir des faveurs sexuelles. 

« Abuser de sa position ! Pour ma par cet être un salle con !!!! Surtout quand on et dans la peine, la politique te correspond bien !!! », lui a écrit la sympathisante UMP, le 17 décembre 2009, neuf mois après leur rapport sexuel. « Quand ont sait l, effort qu, il ma fallu pour baiser avec toi !!!! Pour t, occuper de mon dossier ». « Tu as raison je suis sans doute un sale con. Comment me faire pardonner ? », lui a répondu Gérald Darmanin.

Le 18 janvier 2010, cette femme fustige à nouveau ses pratiques dans un autre SMS : « Je vais m, occupé activement !!!!!! de dénoncer tes pratiques douteuse ta lettré au ministère de l,intérieur et un faux !!!! » « Que raconte tu... C’était une lettre au ministere de la jsutice d’abord. » Puis il lui propose de se voir et de lui apporter « une nouvelle copie de [son] intervention ».

De son côté, l’habitante de Tourcoing Sarah reproche à Gérald Darmanin, dans un SMS, le 29 novembre 2017, de n’avoir fait que « parl[er] », tout en ayant des relations sexuelles avec elle. « Sa s appeler de l’abu!! ta rien d un homme encore moins d un ministre !!! tu t’es bien foutu de moi !!! J’aurais su au tous début jamais je t’aurais adressé la parol !!! Ni soutenu !!! [sic] »

En décembre 2017, elle lui envoie une série de SMS virulents : « Ce que tu ma dit sur le logement sur les amende sur ma recherche d emplois j ai étais bien naïve parsque je sais que tu ne peu rien faire !! je vais en parlé avec des autres service !!! [sic] » ; « Incapable Menteur et manipulateur !! » ; « Abu de pouvoir !!! [sic] », écrit-elle, en évoquant à nouveau, de manière crue, les rapports sexuels dont il aurait profité.

Le ministre a contesté tout viol et tout abus de pouvoir, mais il a reconnu, lors de ses auditions, les relations sexuelles avec ces femmes, ainsi que ses lettres d’intervention, et il n’a jamais contesté les échanges de SMS. 

Pascale Pascariello, Antton Rouget et Marine Turchi

 

Aucun commentaire: