jeudi 22 décembre 2022

AINSI VA LA FACULTE DE NUISANCE DE LA CHAÎNE BOLLORE, ET LE COMPORTEMENT INDIGNE DE SES AFFIDES !

Un journaliste évincé de CNews après avoir dénoncé les propos homophobes de sa responsable

La responsable des plannings au sein de la chaîne d’info est décriée par de nombreux journalistes pour ses méthodes brutales. En novembre dernier, le pigiste, qu’elle a qualifié de « fiotte », a été écarté après avoir dénoncé ses propos.

David Perrotin

22 décembre 2022 à 16h24

Au sein de la chaîne CNews, il y a les présentateurs vedettes obsédés par les faits divers et relais permanents des discours d’extrême droite. Et puis il y a les petites mains qui fabriquent les émissions, des pigistes précaires ou des étudiants en alternance la plupart du temps. La rédaction en chef s’appuie en effet sur un stock de journalistes qu’elle mobilise quand elle veut au gré des besoins pour alimenter la chaîne au quotidien.

À la tête de cette organisation, c’est Isabelle Cheikh, responsable des plannings, qui a le dernier mot sur le devenir de ces journalistes précaires, payés à la pige ou appelés pour des contrats courts. C’est elle notamment qui valide leurs embauches et qui décide de mettre ou non un terme à leur collaboration. 

Capture d'écran du logo de la chaîne. © Cnews

Depuis novembre 2020, Benjamin*, en alternance chez CNews, travaille dans différents services et notamment pour Pascal Praud et son émission quotidienne en tant qu’assistant d’édition. Satisfaite de son travail, la direction de la chaîne lui propose un CDD d’un an. Lui et Marie-Liesse Genoni, responsable des ressources humaines de la chaîne, conviennent début septembre qu’il poursuivra des piges jusqu’à fin novembre 2022, date à laquelle son contrat débutera. 

Mais d’après plusieurs témoins interrogés par Mediapart, les choses prennent une autre tournure fin septembre. À cette période-là, Benjamin discute avec plusieurs journalistes devant la machine à café de la rédaction. Ils balaient des sujets futiles et évoquent les causes de la perte de cheveux. De passage à la cafétéria, Isabelle Cheikh se mêle à la conversation et fait un lien entre l’excès de testostérone et le besoin de greffe de cheveux. Brutalement selon des personnes présentes, elle finit par cibler Benjamin en précisant que lui n’a pas besoin de greffe « puisque c’est une fiotte ».  

Si la discussion est légère, personne ne comprend la raison de cette insulte homophobe. « Benjamin, qui n’a jamais caché à la rédaction qu’il était gay, est revenu à son bureau très choqué. Il ne voulait pas laisser passer cette insulte, surtout venant d’une responsable hiérarchique », témoigne l’un de ses collègues auprès de Mediapart. 

Je ne sais pas ce que je vais devenir. Il faut que je pense à payer le loyer et tout. Et si elle fait ça, c’est que Serge Nedjar a tranché.

Le journaliste écarté par la chaîne.

Le journaliste décide d’alerter la direction des ressources humaines. Il sollicite un rendez-vous avec Marie-Liesse Genoni, responsable RH de CNews. « Il est allé la voir début octobre pour lui signaler les propos homophobes et pour dire qu’il craignait de signer un CDD et d’être à la merci d’Isabelle Cheikh », rapporte un autre journaliste. D’après nos informations, Marie-Liesse Genoni dit prendre les choses au sérieux et promet de réagir s’agissant de l’insulte. Pour le CDD, elle aurait accepté qu’il ne signe plus immédiatement ce contrat et qu’il continue à venir en tant que pigiste. Dans la foulée, Benjamin reçoit une dizaine de dates de planning pour le mois de novembre qu’il accepte toutes. 

Le journaliste subitement écarté 

Une semaine plus tard pourtant, l’intégralité de ses piges est finalement annulée par la chaîne. « Un mouvement de planning » expliquerait simplement pourquoi les sept dates qu’il avait acceptées sept jours plus tôt sont supprimées.   

Dans des messages consultés par Mediapart, Benjamin fait immédiatement part de sa détresse à Yvan*, un collègue de la rédaction. « Je suis deg […] je suis dans la merde financièrement maintenant », réagit le pigiste le 18 octobre dernier, juste après avoir été informé de la suppression de ses dates. « Ne te laisse pas déstabiliser. Tu es plus résistant qu’elle [Isabelle Cheikh] », répond son collègue. Et Benjamin d’ajouter : « Ça va être compliqué, on le sait tous les deux. Je suis à bout. J’en peux plus. Je ne sais pas ce que je vais devenir. Je suis à deux doigts de faire une crise d’angoisse. […] Il faut que je pense à payer le loyer et tout. Et si elle fait ça, c’est que Serge Nedjar [le patron de CNews– ndlr] a tranché. »

Il paie le fait d’avoir alerté sur son comportement et d’avoir dénoncé ses propos homophobes.

Un journaliste de CNews.

En réponse, son collègue tente de le rassurer et lui conseille même de « porter plainte » et de saisir les prud’hommes. « Je comprends que ce soit angoissant comme perspective mais je crois qu’il faut se concentrer sur les causes et pas sur les conséquences, l’argent suivra, utilise ce qu’il se passe pour avancer », écrit-il notamment. « Tu as dénoncé la cheffe du planning pour des faits graves. Le planning vient d’annuler l’ensemble de tes dates pour une fausse raison. Donc, c’est une conséquence directe de rétorsion. Donc, c’est un nouveau fait de harcèlement au travail de cette cheffe. Et maintenant ce n’est plus seulement grave, c’est aussi inacceptable », poursuit son collègue. « Tu as tous les éléments pour ne pas faire accepter cette situation qui ne peut pas l’être par qui que ce soit dans une entreprise », ajoute-t-il avant de conclure : « Je ne pense pas que Serge soit si bête. Il ne va pas laisser faire ça. »

Plusieurs journalistes de la chaîne ont tenté de plaider la cause de Benjamin. D’après nos informations, Pascal Praud lui-même est allé discuter avec Serge Nedjar pour louer les qualités de ce journaliste. Mais le patron de CNews a finalement « laissé faire ça ».  Alors que le travail de Benjamin était unanimement apprécié et qu’il était régulièrement sollicité, le journaliste n’a plus jamais été rappelé par CNews depuis.

« Pour moi, il est clairement victime d’une mesure de rétorsion. Marie-Liesse, la RH, et Isabelle Cheikh sont très proches. Elles déjeunent ensemble, fument des clopes ensemble. Il paie le fait d’avoir alerté sur son comportement et d’avoir dénoncé ses propos homophobes », explique un journaliste de CNews. Contacté par Mediapart, Benjamin « confirme les faits », mais ne souhaite faire « aucun commentaire ». Des représentants du personnel de la chaîne, qui ont confirmé l’incident à Mediapart, tentent désormais de convaincre le pigiste de saisir les instances pour qu’une enquête interne puisse être ouverte. 

Sollicités à plusieurs reprises, Serge Nedjar et Thomas Bauder, le directeur de l’information à CNews, n’ont pas souhaité nous répondre. Isabelle Cheikh, elle, dément les faits sans vouloir apporter plus de précisions. « Je ne confirme pas ces propos et je vous renvoie vers le service des ressources humaines », déclare-t-elle. Également contactée à plusieurs reprises, la DRH Marie-Liesse Genoni n’a pas souhaité nous répondre. Auprès de Mediapart, un animateur, proche de la direction de CNews, confirme le départ du pigiste mais refuse d’y voir « un lien » avec les propos tenus par la responsable. « Il y a parfois des gens de qualité dans une rédaction mais pas de place pour eux », se contente-t-il de répondre. 

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D’après plusieurs témoignages, la responsable des plannings dément en interne avoir tenu ces propos et affirme que les piges de Benjamin ont été annulées simplement parce qu’il avait refusé son CDD. Une justification démentie par de nombreux pigistes actuels de la chaîne. « C’est une fausse excuse. On est nombreux à refuser des CDD car les piges sont mieux payées et moins engageantes. On n’est pas écartés pour autant », explique un journaliste. Dans ses messages envoyés à Benjamin, son collègue Yvan le confirmait d’ailleurs. « Ce n’est pas à cause du refus du contrat que tes piges sont annulées », écrivait-il, tout en listant les autres pigistes toujours en poste après avoir pourtant refusé plusieurs propositions de contrat.  

Une alerte « salarié en danger » déclenchée 

En interne, de nombreux journalistes interrogés par Mediapart critiquent les méthodes, dénoncées à plusieurs reprises par le passé, de cette secrétaire générale. Quelques jours après avoir qualifié Benjamin de « fiotte », elle s’en était d’ailleurs prise à un autre présentateur en lui disant « toi, ta gueule » lors d’une discussion dans l’open space devant une trentaine de personnes. Contacté, le journaliste en question n’a pas souhaité faire de commentaire. « Cela ne s’est pas passé comme ça et je me suis excusée par la suite », balaie Isabelle Cheikh avant de mettre fin à la conversation.

Lorsque tu es pigiste, ils n’hésitent pas à nous rabaisser et à nous faire comprendre qu’on a une épée de Damoclès sur la tête. À la moindre occasion, on peut être rayé du planning.

Anna*, qui a travaillé plus de trois ans pour CNews, décrit un système « extrêmement dur et humiliant » pour les pigistes. « À plusieurs reprises, je suis sortie du bureau d’Isabelle Cheikh ou de Thomas Bauder en pleurant. Lorsque tu es pigiste, ils n’hésitent pas à nous rabaisser et à nous faire comprendre qu’on a une épée de Damoclès au-dessus de la tête. À la moindre occasion, on peut être rayé du planning », témoigne-t-elle. « Lorsque j’ai quitté la rédaction il y a deux ans, ça a été une renaissance pour moi », confirme Stéphane*, un ancien de la chaîne info. « J’ai été pris dans un système sans m’être rendu compte de la dérive éditoriale de la chaîne. On est tellement bercés dans l’ambiance de cette ligne édito qu’à la fin elle est presque ancrée en nous. Cela nous déteint dessus. »

Lui non plus n’a pas oublié les méthodes de la direction. « C’est presque du chantage au quotidien. Isabelle Cheikh ne laisse jamais la possibilité de lui refuser quoi que ce soit et fait comprendre qu’elle, comme Serge Nedjar, a le droit de vie ou de mort sur les journalistes. »  Carine*, pigiste jusqu’en mars dernier, évoque un « climat détestable ». « C’est un chantage quotidien et des humiliations permanentes. On nous fait comprendre que si nous ne sommes pas disponibles quand ils le souhaitent, on peut faire une croix sur un CDD, explique-t-elle. Aujourd’hui, ceux qui le peuvent font tout pour travailler ailleurs. Je suis partie et j’espère ne jamais avoir besoin d’y retourner. »  

Une enquête du site Les Jours pointait déjà en 2017, après la longue grève menée par les salariées d’I-Télé, le traitement réservé à ces journalistes précaires au sein de la chaîne. « Le recours aux pigistes est général mais erratique, avec une volonté d’écarter ceux qui ont participé à la grève, l’œuvre d’Isabelle Cheikh, secrétaire générale de la rédaction, et responsable de tout ce qui est planning et recrutements », révélait le média. « Surtout, au-delà d’un certain quota de piges, il y a une carence. Du coup, dès qu’ils commencent à être à l’aise, les journalistes sont remplacés par d’autres, moins expérimentés… »

Dès 2019, de nombreuses alertes concernant CNews ou cette responsable des plannings sont d’ailleurs remontées lors de réunions du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). « Raphaël Lissac [un représentant des salariés – ndlr] tient à remettre sur la table le rôle de la responsable du planning, qui, face aux problématiques qu’elle connaît, se permet de répercuter la pression qu’elle vit sur les salariés en les obligeant à travailler alors qu’ils n’ont pas à le faire. Ils doivent accepter ses propositions au niveau de la charge de travail », peut-on lire dans un compte rendu datant du 12 mars 2019. Le syndicaliste Raphaël Lissac ajoutait à propos d’Isabelle Cheikh : « Cette personne intervient de manière très particulière, avec un ton très comminatoire pour ne pas dire plus. Cet élément perturbateur doit être pris en compte pour comprendre l’ambiance de travail au sein de l’entité. »

À cette même époque, l’une de ses assistantes a d’ailleurs dénoncé une situation de harcèlement et une alerte « salariée en danger » a été déclenchée. Une enquête menée par la direction des affaires sociales du groupe Canal+ avec les membres du CSE (comité social et économique) a été menée. Dans ses conclusions, la direction reconnaissait une situation de « harcèlement moral ».

Quelles suites ont-elles été données ? Isabelle Cheikh a-t-elle été sanctionnée ? Là encore, personne au sein de CNews n’a souhaité commenter cette affaire. Mais d’après nos informations, c’est la salariée victime de harcèlement qui a été déplacée en novembre 2019 vers une autre chaîne du groupe. Isabelle Cheikh, elle, est restée à son poste et a conservé la confiance de la direction. 

David Perrotin

 

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