dimanche 20 novembre 2022

UNE PENURIE DE MEDICAMENTS INQUIETANTE

ENTRETIEN. Tensions d’approvisionnement pour 600 médicaments : « La situation est préoccupante »

Au premier semestre, un dixième des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur ont été en rupture d’approvisionnement, indiquent Les entreprises du médicament (Leem), le principal lobby du secteur qui juge la situation inquiétante à l’approche de la saison hivernale.

Les tensions d’approvisionnement sur l’amoxicilline pourraient durer jusqu’en mars 2023.
Les tensions d’approvisionnement sur l’amoxicilline pourraient durer jusqu’en mars 2023. | FRANCK DUBRAY / OUEST FRANCE

S’achemine-t-on vers une pénurie de médicaments en France ? Vendredi 18 novembre 2022, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a tiré la sonnette d’alarme, en indiquant que l’amoxicilline, le principal antibiotique prescrit aux enfants, notamment pour traiter les angines et les otites, « fait l’objet de fortes tensions d’approvisionnement en France (surtout les formes buvables), qui pourrait durer jusqu’en mars 2023 ».

Mais, quand on regarde de près, le tableau mis quotidiennement à jour sur le site de l’ANSM, on s’aperçoit que les difficultés d’approvisionnement concernent 600 médicaments dits d’intérêt thérapeutique majeur. Faut-il s’en inquiéter ? On fait le point avec le docteur Thomas Borel, directeur scientifique du Leem (Les entreprises du médicament), syndicat du milieu pharmaceutique.

Doit-on s’inquiéter de la pénurie actuelle de médicaments ?

La situation est préoccupante, en effet. Douze mille médicaments sont actuellement commercialisés en France. On parle ici de spécialités, c’est-à-dire, de substances actives qui peuvent avoir jusqu’à vingt-cinq déclinaisons. La moitié, donc 6000, sont classés « médicaments d’intérêt thérapeutique majeur ». Ce sont eux que l’ANSM surveille particulièrement. Au premier semestre de l’année 2022, plus de 600 ont été signalés en rupture d’approvisionnement par les labos.

Un dixième donc, c’est énorme !

En 2021, 900 ruptures d’approvisionnements avaient été signalées sur toute l’année. Là, on est à 600 sur un semestre, il y a donc clairement une aggravation de la situation. La plupart du temps, ce n’est pas grave : on a une alternative disponible, un générique, par exemple. Mais il peut arriver qu’on ait aussi des problèmes d’approvisionnement avec le médicament alternatif, voir qu’il n’y ait pas d’alternative du tout. Ça peut se régler rapidement. Ou durer.

D’où vient le problème ?

On sort d’une période compliquée. Pendant le Covid, les entreprises ont dû se débrouiller pour trouver des produits. Mais, il faut le redire, pas un seul traitement n’a alors manqué en France. Aujourd’hui, la situation est plus aiguë, en raison des tensions géopolitiques, de l’inflation des coûts de l’énergie et des matières premières : les molécules, mais aussi l’aluminium, les excipients, le verre, le carton. Les coûts de production sont plus importants ; la relance des usines après le Covid entraîne des retards.

Les autorités ont décidé de rationner les commandes que chaque pharmacie peut passer. Est-ce suffisant ?

Ce contingentement est nécessaire, mais il est insuffisant. Il faut s’assurer que les prescriptions soient bien adaptées ; ce n’est pas toujours le cas. On prescrit toujours trop d’antibiotiques, par exemple. Il faut également veiller à ce que le marché ne soit pas déstabilisé : même si le phénomène est limité, grâce aux règles européennes, des grossistes peuvent être tentés d’acheter en France des produits qu’ils revendent plus cher ailleurs. Il faut également veiller à ce que le volume de médicaments soit correctement réparti sur l’ensemble du territoire.

N’est-il pas temps de relocaliser en France la production de médicaments ?

Pourquoi 80 % des médicaments sont-ils aujourd’hui produits en Asie ? La raison est double : le coût des matières premières et de la main-d’œuvre y est moins élevé, tout comme les normes environnementales, qui sont devenues – et on peut s’en féliciter – drastiques en France. Bien sûr qu’il faut relocaliser une partie de la production, mais on ne pourra pas le faire à 100 %. Avant toute chose, il faut prioriser les molécules, que le gouvernement et les sociétés savantes dressent une liste d’antibiotiques, comme l’amoxicilline, par exemple. L’Europe a entamé ce travail il y a trois ou quatre ans, il est temps d’aboutir.

 

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