« Retourne en Afrique » : à l’Assemblée, le RN montre son vrai visage
Les propos racistes du député RN Grégoire de Fournas ont été unanimement condamnés par les groupes de l’Assemblée nationale, à l’exception de celui d’extrême droite. De Renaissance à la Nupes, en passant par la première ministre, chacun demande une « sanction exemplaire ». Après des mois de « banalisation », « le vernis craque », soulignent plusieurs élus.
Alors que le député La France insoumise (LFI) Carlos Martens Bilongo interrogeait les ministres sur la situation des migrants secourus par le navire de SOS Méditerranée Ocean Viking, empêché d’accoster, le député du Rassemblement national (RN) Grégoire de Fournas s’est mis à crier depuis les bancs du groupe d’extrême droite. Immédiatement, la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a demandé qui avait prononcé cette phrase. En l’absence de réaction, elle a suspendu la séance.
Après une pause de quelques minutes et devant le refus du groupe RN de sortir Grégoire de Fournas – identifié entre-temps – de l’hémicycle, Yaël Braun-Pivet a finalement mis fin à la séance « compte tenu de la gravité des faits » et de « l’émotion légitime » qu’ils ont suscitée. Le bureau de l’Assemblée se rassemblera vendredi après-midi, pour décider des suites qui seront données à ces propos racistes. « On a décidé de ne plus siéger tant qu’il n’y aura pas de sanction », assure Sylvain Maillard.
« Je ne pensais pas entendre un jour ces mots au sein de l’Assemblée nationale. Mais le racisme nous rattrape toujours, même dans les lieux les plus prestigieux de la République », a réagi Carlos Martens Bilongo dans un communiqué. « Si un député peut cracher sans complexe au visage d’un autre député en raison de sa couleur de peau, en plein hémicycle, que va-t-il s’autoriser à faire si jamais sa formation arrivait au pouvoir ? », alerte-t-il, appelant à « faire bloc contre le poison raciste ».
Des propos condamnés unanimement
De la Nouvelle Union populaire et sociale (Nupes) à Renaissance, les président·es de groupes se sont accordés pour demander la « sanction la plus lourde », soit une exclusion temporaire du député d’extrême droite. « Le racisme n’a pas sa place dans l’hémicycle, ni nulle part dans notre pays. [...] Le Bureau de l’Assemblée nationale doit prononcer une sanction à la hauteur de cette ignominie », a tweeté le ministre en charge des relations avec le Parlement, Franck Riester.
À la sortie de l’hémicycle, la première ministre Élisabeth Borne a elle aussi évoqué la nécessité d’une « sanction exemplaire ». Quant au principal intéressé, il s’est exprimé sur BFM pour dire… qu’il ne voyait pas le problème. Selon lui, sa phrase concernait le bateau de SOS Méditerranée et non Carlos Martens Bilongo. « Cette phrase a été détournée par La France insoumise, a-t-il assuré. On est là dans une manipulation dont La France insoumise a l’habitude : déformer les propos de l’adversaire pour les diaboliser. »
Interrogé par Mediapart, son collègue du RN Sébastien Chenu, également vice-président de l’Assemblée, souhaite s’en tenir à sa réaction à l’AFP. « “Qu’ils retournent en Afrique” les bateaux de migrants est une position politique et le “qu’il retourne en Afrique” traduit par LFI est une polémique », précise-t-il par SMS. Ce n’est pas la première fois que Grégoire de Fournas exprime ce que son collègue qualifie de « position politique », comme en témoignent certains de ses posts sur les réseaux sociaux (il en a déjà supprimé certains). Par ailleurs, dans les deux cas, ses propos poseraient problème : s’ils concernaient Carlos Martens Bilongo, ils seraient racistes, s’ils concernaient les migrants, ils pourraient être qualifiés de xénophobes.
Dans l’hémicycle, « la réaction a été immédiate, et pas seulement sur les bancs de la Nupes, rapporte le député insoumis Jérôme Legavre, assis juste derrière Carlos Martens Bilongo. Les députés se sont levés, le terme de “raciste !” a traversé l'hémicycle et il y a eu une suspension de séance ». Sa collègue Marianne Maximi, également présente, est formelle sur le propos entendu : « On a tous entendu la même chose, et on a tous réagi en même temps, de la Nupes jusqu’à LR. »
Le patron de la droite d’opposition Olivier Marleix a d’ailleurs immédiatement réagi sur Twitter , en apportant son soutien à Carlos Martens Bilongo : « “Retourne en Afrique”. Voilà ce que vient de crier un député du RN à un autre député de la Nation. Il y a bien un ADN d’extrême droite. Le racisme, voilà ce qui différencie l’extrême droite de la droite. » Joint par Mediapart, son collègue Éric Ciotti confie qu’il n’était pas dans l’hémicycle au moment des faits, mais estime que les propos du député RN « méritent sanction ».
Du côté des bancs du RN, en revanche, « ils ont fait bloc avec leur député : c’est une révélation de plus de leur véritable nature », ajoute l’Insoumis Jérôme Legavre, encore « abasourdi » par ces propos d’une « violence inouïe ». Alors que les député·es demandaient que Grégoire de Fournas quitte l’Assemblée, « on a vu tout le groupe du RN, Sébastien Chenu en tête en l’absence de Marine Le Pen, faire bloc autour du député, le protéger. C’est la ligne du RN qui est ainsi assumée », constate Marianne Maximi.
La président du groupe d’extrême droite Marine Le Pen a d’ailleurs, elle aussi, balayé l’événement : « Grégoire de Fournas a évidemment parlé des migrants transportés en bateaux par les ONG qu’évoquait notre collègue dans sa question au gouvernement. La polémique créée par nos adversaires politiques est grossière et ne trompera pas les Français. » Une déclaration qui laisse peu de place à la réponse qu’elle pourrait donner au parti Renaissance qui lui a demandé « d’exiger [la] démission » du député RN.
La démission exigée, un climat de complaisance dénoncé
Pour le député écologiste Benjamin Lucas, qui siégeait en commission au même moment, cet épisode agit comme un révélateur : « C’est la démonstration que 89 députés à l’Assemblée nationale, ça banalise le racisme dans sa forme la plus primitive, violente, barbare. » Il estime qu’il ne faut pas se limiter à « la sanction individuelle la plus forte », mais aussi exiger « une mise au ban collective du groupe RN ». À ses yeux, l’extrême droite a déjà bénéficié de trop de complaisance au Palais-Bourbon.
L’élu cite notamment l’obtention de deux vice-présidences de l’Assemblée (Hélène Laporte et Sébastien Chenu). Le RN a aussi fait son entrée à la délégation parlementaire au renseignement et obtenu la tête de plusieurs groupes d’amitiés. Enfin, la présidente du Palais-Bourbon, Yaël Braun-Pivet, avait sanctionné une députée Renaissance Astrid Panosyan-Bouvet, le 11 octobre, pour avoir utilisé le terme « xénophobe » à l'égard du RN. Ce qui traduit, selon Olivier Faure, la « volonté de banalisation de l’extrême droite » de la majorité macroniste. « Désormais, ils considèrent que le RN est un parti comme les autres », regrette-t-il.
Le secrétaire national du Parti socialiste (PS) n’était pas présent dans l’hémicycle jeudi après-midi. Pour autant, il ne veut pas discuter de la phrase exacte prononcée par Grégoire de Fournas. « On ne va pas non plus demander la VAR [arbitrage vidéo – ndlr]. Dans les deux cas, c’est inadmissible, insiste-t-il. Il faut marquer le coup, on est dans une enceinte de la République. On ne parle pas d’une opinion politique, mais d’un propos raciste. Il n’y a aucune raison de laisser passer une chose pareille. C’est insupportable. »
Après cet épisode, les députés de la Nupes attendent désormais que la majorité présidentielle sorte de la stratégie dangereuse dans laquelle elle se fourvoie depuis plusieurs mois déjà. Certains macronistes ont récemment émis des doutes sur le fait de renvoyer dos à dos l’extrême droite et la Nupes. C’est notamment le cas de l’ancienne ministre Nadia Hai, aujourd’hui députée des Yvelines, qui confiait récemment à Mediapart : « Il ne faudrait pas que cela finisse par banaliser l’extrême droite. »
« Il y a un climat qui encourage le RN à aller aussi loin. Les députés de la majorité gouvernementale ont condamné immédiatement cette insulte, mais je n’oublie pas les lois adoptées sous le quinquennat précédent comme la loi séparatisme, ni certains propos de membres du gouvernement sur l’immigration », attaque l’Insoumis Jérôme Legravre. Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, avait déclaré, le 2 novembre : « S’il n’y avait plus de problème d’immigration en France, il n’y aurait plus de Front national. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire