vendredi 4 novembre 2022

"NECESSITE DE REEQUILIBRER LES DEPENSES SELON LES FILIERES, POUR REPONDRE A L'EXIGENCE D'EGALITE SOCIALE ET DE GENRE".

L’État investit nettement moins dans les études des femmes que dans celles des hommes

Parce qu’elles sont largement moins nombreuses dans les filières scientifiques et les plus sélectives, mieux dotées budgétairement que les autres, les femmes bénéficient d’un quart de financement public en moins que les hommes au cours de leurs études supérieures. C’est ce que démontre une note récente de l’Institut des politiques publiques.

Mathilde Goanec /  Médiapart

3 novembre 2022 à 18h45 

 

L’État investit 18 % de moins dans l’enseignement supérieur pour les étudiantes que pour les étudiants. Ce chiffre est issu d’une note rédigée par le pôle éducation de l’Institut des politiques publiques (IPP), publiée le 31 octobre 2022. Des disparités qui ne s’expliquent pas par la durée des études, mais bien « par le choix de filières et de spécialités disciplinaires », explique son autrice, Cécile Bonneau, doctorante à l’École normale supérieure (ENS) et à l’École d’économie de Paris.

Les femmes restent en effet « largement sous-représentées » dans les voies reines de l’enseignement supérieur. Elles constituent ainsi « moins de 40 % des effectifs » des grandes écoles, des instituts universitaires de technologie et des classes préparatoires aux grandes écoles et « environ un cinquième des effectifs » dans les formations universitaires en mathématiques, ingénierie et informatique. Or ces filières et disciplines bénéficient « des ressources les plus élevées ».

Plus d’heures de cours, meilleur taux d’encadrement, meilleur suivi des étudiants, ces chiffres confirment que se creusent, non seulement les écarts entre les enfants des classes populaires et les autres (lire ici notre entretien avec les deux auteurs de L’université qui vient sur ce sujet), mais aussi l’inégalité femmes-hommes, avec des conséquences jusque sur le marché du travail. Une inégalité qui perdure également dans les dépenses privées engagées par les familles.

Mediapart : Cécile Bonneau, vous écrivez que les dépenses d’enseignement supérieur consacrées aux étudiantes sont inférieures de 18 % à celles allouées à leurs homologues masculins. Est-ce que ces résultats vous ont étonnée ?

Cécile Bonneau : Pas vraiment, dans le sens où ce sont des résultats mécaniques. Il est connu de longue date qu’il y a une forte ségrégation genrée dans l’enseignement supérieur mais également dans les filières sélectives. On pouvait dès lors avoir l’intuition que cela aurait des conséquences en termes de dépenses publiques. Mais si l’on relie dans une même étude le biais du genre et le coût des formations, c’est quand même particulièrement marqué.

Des étudiantes dans la bibliothèque de l’université d'Angers, en 2021. © Photo Jean-Michel Delage / Hans Lucas via AFP

L’inégalité de financement est d’autant plus frappante que les femmes sont pourtant majoritaires à entrer dans l’enseignement supérieur ?

Oui, c’est même très net, puisque parmi les étudiants qui poursuivent après le baccalauréat, 60 % sont des femmes. Mais elles sont davantage orientées vers des filières moins sélectives, et plutôt vers les sciences humaines, comme les langues ou le droit. La seule exception, ce sont les études de médecine. Si on entre dans le détail, en classe préparatoire, elles sont aussi plus nombreuses en prépas littéraires, certes très bien dotées financièrement, mais aux effectifs beaucoup plus faibles que les prépas scientifiques.

La sous-représentation des femmes dans les filières prestigieuses et sélectives, déjà notoire, constitue donc une sorte de double peine, si l’on s’attache aussi à regarder le financement de ces filières ?

Nous avons en France un des seuls systèmes au monde où cohabitent deux voies académiques. L’université d’un côté et les classes préparatoires et grandes écoles de l’autre. Or on n’y investit pas du tout les mêmes montants, en défaveur nette des formations universitaires. Cela pose effectivement question si l’on s’attache à réduire les inégalités sociales, mais aussi les inégalités de genre .

En écho à un papier publié il y a quelques semaines (voir ici) et malgré les récents correctifs sur la réforme du bac, comment la faible proportion des lycéennes faisant des mathématiques perdure-t-elle et se durcit-elle, avec des conséquences sur la dotation financière selon le genre ?

Notre système éducatif éloigne les femmes des mathématiques, il n’y a pas de doute là-dessus. La cause est complexe. Il y a d’abord une responsabilité des stéréotypes de genre véhiculés par la famille, l’entourage, la société. À l’école, le décrochage commence très tôt et se renforce tout au long du collège. Au lycée, quand les filières existaient encore, les filles étaient déjà moins nombreuses en première et terminale scientifiques (le « bac S »). La réforme du bac a fait dégringoler les maths pour tout le monde et pour les filles en particulier.

Nous savons que ce n’est pas une question d’aptitude par nature. Ce n’est pas non plus de la discrimination de la sphère scolaire en faveur des garçons. Cela semble vraiment lié au fait que les filles candidatent moins vers les filières scientifiques, surtout quand ces filières sont compétitives et sélectives. Enfin, elles y performent moins bien. Or notre système d’enseignement supérieur est très friand de l’évaluation par le concours et la compétition. Ce système n’est donc pas neutre en matière de genre.

Il y a des effets structurels lourds, mais 18 % de différence entre le financement des étudiantes et des étudiants, c’est énorme.

On ne peut pas dire que l’État, consciemment, volontairement, investirait plus dans les filières masculines. De fait, il y a sans doute de vraies différences de coûts, légitimes, qui se transformeraient encore une fois mécaniquement en disparités en fonction du genre. En revanche, si on regarde filière par filière, il n’est pas sûr que ce soit juste d’investir trois fois plus dans des filières sélectives du type grandes écoles qu’à l’université. Pour le dire simplement, on peut comprendre qu’une licence de physique par exemple, qui nécessite des équipements, coûte plus cher qu’une licence de droit. Mais le fait qu’on mette trois fois plus d’argent sur l’étudiant en classe préparatoire que sur l’étudiant en licence à la fac pose question.

Enfin, si on se réfère à une note récente du Conseil d’analyse économique, les disparités de coût sont liées essentiellement aux taux d’encadrement et aux volumes horaires alloués. Si on suit 20 heures de cours par semaine en amphithéâtre, cela coûtera forcément moins cher que 30 heures de cours, dont la moitié en travaux dirigés, un format dont les filières scientifiques accueillant surtout des garçons sont friandes.

La note souligne la nette différence d’investissement public, mais également le fait que les familles elles-mêmes dépensent moins pour les études de leurs filles que pour celles de leurs garçons.  

Notre base de données a beaucoup de limites, il s’agit d’un échantillon de 5 000 personnes, loin de l’énorme base de données que possède le ministère de l’enseignement supérieur. Par contre, elle présente l’avantage de présenter les dépenses publiques, ce que les parents payent pour leurs jeunes adultes, ce qui est assez inédit. Oui, les familles dépensent plus pour les garçons, et c’est totalement lié au fait que les hommes sont inscrits dans des filières plus coûteuses. Mais quand même, cela reste assez marquant : si on regarde les jeunes adultes sans discriminer en fonction du caractère étudiant ou non, les parents dépensent autant en moyenne pour leurs enfants, quel que soit le genre. Mais si on resserre la focale sur la population étudiante, et alors que les femmes sont bien plus nombreuses à faire des études supérieures, elles reçoivent quand même moins par tête que les hommes.

Pour reprendre la conclusion de la note, ces différences de traitement ont des conséquences sur les inégalités femmes-hommes sur le marché du travail, dont la France n’arrive guère à se défaire ?

En effet, il faut là encore se pencher sur les travaux du CEA. Cette note montre que le coût des formations est très corrélé à leur rendement salarial. Et donc on peut penser que ces disparités contribuent à perpétuer les inégalités salariales entre les hommes et les femmes en emploi. Il y a donc un fort enjeu à mener des politiques publiques pour augmenter la part des femmes dans les filières sélectives ou les filières scientifiques.

On ne pourra pas arriver à une égalité de coût, cela n’aurait sans doute pas beaucoup de sens d’ailleurs. Mais il y a une nécessité à rééquilibrer les dépenses selon les filières, pour répondre à l’exigence d’égalité sociale et de genre.

La difficulté, c’est qu’il s’agit quand même d’orientations choisies, donc il s’avère complexe de trouver la bonne politique publique pour corriger ce biais. Mais déjà à petite échelle, et sans que cela coûte grand-chose, on pourrait mettre à disposition des élèves et des étudiants une meilleure information sur les coûts de formation, que chacun sache combien l’État investit dans telle ou telle filière, et quel est leur rendement salarial. Pour que les garçons comme les filles fassent leur choix d’études en connaissance de cause.

Mathilde Goanec

 

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