Présidence du RN : derrière le favori Jordan Bardella, la « GUD Connection » en embuscade
Si l’eurodéputé est élu à la tête du Rassemblement national samedi, sa victoire pourrait aussi être celle de ce réseau d’anciens militants radicaux, proches de Marine Le Pen, qui a longtemps travaillé pour le parti avant d’en être tenu à l’écart en raison de l’affaire des financements de campagne.
En quelques années, le jeune homme de 27 ans – formé à ses débuts par Florian Philippot, qui l’a placé à la tête du collectif « Banlieues patriotes » – a connu une ascension éclair. Avant sa majorité, il a adhéré au Front national ; à 19 ans, il a pris les commandes de la fédération de Seine-Saint-Denis ; à 20 ans, il a été élu conseiller régional d’Île-de-France puis eurodéputé à 23 ans ; à 22 ans, il est devenu porte-parole du parti ; à 25 ans, premier vice-président ; à 26 ans, président par intérim. Aux dernières élections européennes et régionales, c’est lui qui a mené les listes du RN en Île-de-France.
Ces dernières années, Jordan Bardella est apparu comme une doublure parfaite de Marine Le Pen, un profil lisse et médiatique assurant la continuité tout en incarnant la stratégie de « dédiabolisation » du parti. Samedi, sa probable victoire ne sera pas seulement celle de l’ancienne patronne du RN, mais aussi celle d’un groupe qui fut au cœur du dispositif financier du parti : la « GUD Connection », ce réseau informel d’anciens militants de l’organisation étudiante Groupe Union Défense reconvertis en entrepreneurs, dont les structures travaillent pour les campagnes du parti depuis 2011.
Les piliers de ce groupe, Frédéric Chatillon et Axel Loustau, de vieux amis de fac de Marine Le Pen qui ont dirigé le GUD dans les années 1990, ne cachent pas leur soutien à Jordan Bardella. Sur les réseaux sociaux, ils ont affiché leur vote en sa faveur aux européennes et aux régionales. Depuis, ils n’ont de cesse de relayer ses publications, tout en observant un silence complet concernant son adversaire, Louis Aliot. Axel Loustau, qui a côtoyé Jordan Bardella sur les bancs du conseil régional, n’hésite pas à le qualifier, sur Twitter, d’« ami » ou de « camarade ». Les deux hommes sont d’ailleurs amis sur Facebook.
Au cœur de la machine financière du Rassemblement national jusqu’en 2017, le tandem Chatillon-Loustau a été écarté des postes officiels en raison de sa mise en cause dans l’affaire du financement des campagnes de 2012 (le premier a été condamné pour « escroquerie » en 2019 – la décision en appel sera connue en mars 2023 –, le second a été relaxé).
L’affaire du financement des campagnes du RNPrestataire communication du parti avec sa société Riwal, Frédéric Chatillon n’a, contrairement aux campagnes présidentielles de 2012 et 2017, pas obtenu de rôle officiel dans celle de 2022. En 2014, après l’ouverture de l’enquête judiciaire concernant le financement des campagnes, il s’est exilé à Rome, où il a lancé sa filiale Riwal Italia.
De son côté, Axel Loustau, élu conseiller régional d’Île-de-France en 2015, n’a pas été réinvesti en 2021. Il ne s’est pas non plus vu confier la direction de la cellule financière de la campagne présidentielle, comme ce fut le cas en 2017. Pire : en janvier 2022, il a, selon nos informations, été remplacé par Wallerand de Saint-Just au poste de trésorier de Jeanne, le microparti de Marine Le Pen. Tout comme deux autres membres de la bande, dont le trésorier adjoint Olivier Duguet, autre ancien gudard. Mais en coulisses, ils restent influents et ont trouvé une parade pour garder les contrats.
Comme nous l’avons raconté, c’est e-Politic, une agence de moins de dix salarié·es, qui a pris le relais de Riwal, lorsque la justice a interdit, dans le cadre de l’enquête sur le financement des campagnes, à la société de Chatillon de travailler pour le parti. E-Politic a vu le jour en juin 2014, domiciliée au QG des sociétés de la « GUD Connection », rue des Vignes, dans le très chic XVIe arrondissement parisien.
Un mois plus tard, la toute jeune entreprise a vu entrer à son capital la holding de Frédéric Chatillon, puis, deux ans plus tard, celle d’Axel Loustau. La gestion de l’agence a été confiée à leur ami Paul-Alexandre Martin, ex-numéro deux du Front national de la jeunesse (FNJ), âgé de 32 ans aujourd’hui.
Dans son livre dénonçant le « système Le Pen » (Bal tragique au Front national, Éditions du Rocher, 2019), l’ex-députée européenne FN Sophie Montel assurait qu’« on [leur] conseill[ait] avec insistance de travailler avec e-Politic ». Celle qui a quitté le parti avec fracas en 2017 soulignait que cette agence s’occupait « de la gestion des réseaux sociaux de la plupart des députés frontistes au Parlement européen » et qu’on la retrouvait « à chaque élection comme prestataire des candidats FN, à la présidentielle mais aussi, par exemple, aux régionales », avec des tarifs qui seraient « pour le moins élevés », selon elle.
Candidat zélé, Jordan Bardella a choisi e-Politic pour assurer la communication de ses campagnes. En 2019 par exemple, lors des élections européennes, l’agence a facturé 400 323 euros à sa liste, selon Le Monde. Elle a géré la communication numérique, la captation de discours, des campagnes de mailing et a même rédigé dix de ses discours. En 2021, lors des élections régionales, c’est à nouveau à e-Politic qu’il a confié la création de son site de campagne.
Plus récemment, pendant la campagne présidentielle, le président par intérim du RN aurait intercédé en faveur d’e-Politic, qui voulait proposer une campagne intitulée « Sans lui », détournant le site macroniste « Avec lui ».
Quel rôle joueront les piliers de la « GUD Connection » si Jordan Bardella l’emportait le 5 novembre ? Ni le candidat, ni Frédéric Chatillon, ni Axel Loustau, ni Paul-Alexandre Martin n’ont répondu à nos sollicitations (lire notre « boîte noire »).
La « GUD Connection », « l’État profond du RN »
Dans les sphères d’extrême droite, il ne fait aucun doute que la victoire du jeune candidat sera aussi celle des « gudards ». « L’arrivée de Bardella va sonner l’heure de leur retour », pronostique un membre de l’équipe de la campagne présidentielle, qui nuance cependant : « Bardella n’est marié qu’à lui-même, il n’a pas le même affect que Marine Le Pen à l’égard des gudards. Pour lui, c’est purement pratique. Il peut utiliser ce qui peut l’intéresser un moment, puis le jeter. »
Un autre, ancien proche de Florian Philippot, estime que « le soutien des gudards à Jordan Bardella n’est pas du tout lié à une ligne politique » mais à des questions financières. « Il s’agit de conserver les prestations pour le parti et faire valider les dépenses des sociétés du GUD. » Depuis que Marine Le Pen a pris les rênes du parti, en 2011, tous ceux qui ont tenté d’imposer d’autres prestataires phares ont échoué. « Le GUD règne comme il a toujours régné dans le marinisme. Il reste l’État profond du Rassemblement national : les gudards tiennent tout et peuvent tout faire sauter », poursuit le même.
«Néonazi»: le témoignage qui accuse un proche de Marine Le PenLe CV de ces radicaux est pourtant loin du profil apparemment lisse de Bardella. Chatillon comme Loustau ont régulièrement été soupçonnés d’antisémitisme. Ils n’ont jamais caché leurs liens avec les antisémites Alain Soral et Dieudonné, ils ont été accusés d’avoir participé à des soirées teintées de folklore nazi et ont multiplié les allusions en ce sens sur Facebook.
Frédéric Chatillon, qui a travaillé dans les années 1990 pour la librairie révisionniste Ogmios, a assuré, avec des camarades, la protection du négationniste Robert Faurisson à l’occasion de certains de ses procès, comme en 2009. Il s’est aussi amusé à s’afficher sur les réseaux sociaux faisant des « quenelles » – ce geste popularisé par Dieudonné, et considéré par certains comme un « salut nazi à l’envers ».
Au début des années 1990, il a rencontré à plusieurs reprises l’ancien Waffen-SS belge Léon Degrelle, qui voyait en Hitler « le plus grand homme de notre siècle ». Lors d’une de ces rencontres, en 1992, son acolyte Axel Loustau a demandé une dédicace à Degrelle, en lui glissant un « mon Général, c’est un très grand honneur », comme en attestent des images de la RTBF. Plus récemment, en 2011, Loustau a été photographié à son anniversaire en train de lever un bras bien tendu devant son gâteau.
S’ils ont tous deux contesté en bloc, auprès de Mediapart, ces accusations d’antisémitisme, ils n’ont en revanche jamais renié leur engagement au GUD et le célèbrent régulièrement, y compris sur les réseaux sociaux.
Comment, dans ce cas, expliquer leur soutien à Jordan Bardella ? Le jeune candidat n’est pas inconnu de Frédéric Chatillon, puisqu’il fut son gendre : en 2017-2018, il était en couple avec Kerridwen Chatillon, l’une des huit filles de l’ancien chef du GUD. À l’époque, le couple s’affichait publiquement sur les réseaux sociaux. Comme sur cette photographie prise en 2017, avec Jean-Lin Lacapelle, ami du tandem Chatillon-Loustau devenu eurodéputé et porte-parole du RN.
Parmi les huit filles de Frédéric Chatillon, Kerridwen est sans doute celle qui marche le plus dans les pas de son père. Elle a travaillé au Parlement européen auprès d’élu·es du parti en 2016-2017, puis au sein d’une société de la « GUD Connection », le Carré français, un espace gastronomique lancé à Rome. Elle s’est affichée dans plusieurs manifestations d’extrême droite radicale, comme l’a relevé le site antifasciste La Horde.
Elle a aussi fréquenté l’ancien militant du GUD Loïk Le Priol (plusieurs fois condamné pour des violences et principal suspect dans le meurtre de l’ancien rugbyman argentin Federico Martín Aramburú). Sur Facebook, on la voit tour à tour, en 2016, trinquant avec lui sur un bateau, le retrouvant, le soir du Nouvel An, au Carré Monti (un bar fréquenté par les néofascistes de CasaPound à Rome), ou jouant les modèles pour sa marque de vêtements « Babtou solide ».
Jordan Bardella a-t-il partagé ces fréquentations sulfureuses ? Questionnés par Mediapart, ni l’eurodéputé, ni Kerridwen Chatillon n’ont répondu. En mars, interrogé sur BFMTV, le candidat à la présidence du RN avait assuré qu’il « ne connai[ssait] pas du tout » Le Priol, et avait ajouté : « N’essayez pas de chercher des liens entre des gens qui étaient là, qui connaissent untel, etc. »
Depuis, Jordan Bardella s’est affiché en couple avec une autre « fille de » : Nolwenn Olivier, nièce de Marine Le Pen, et fille de Marie-Caroline Le Pen et Philippe Olivier, eurodéputé et pilier du parti. Parmi les cadres – actuels ou anciens – du parti, certains estiment que ces relations, évoquées dans la presse, ont pu faciliter l’ascension fulgurante du jeune élu. « Il a une ambition gigantesque, il a toujours joué “utile” dans ses relations personnelles », considère un ancien cadre du RN.
« Du fait de sa proximité avec sa fille, Bardella est rentré dans le clan Le Pen, affirmait aussi Sophie Montel au Journal du dimanche en 2019. À mon sens, c’est d’ailleurs pour ça qu’il a été sélectionné tête de liste. La tête de liste est responsable du compte de campagne et je ne les imagine pas un seul instant prendre une personnalité extérieure. »
Questionné sur ce sujet par Mediapart, Jordan Bardella n’a pas répondu. En 2018, il avait rétorqué au JDD qu’il n’avait « pas eu besoin de ça » pour gravir les échelons.
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