mardi 22 novembre 2022

ALERTE MAXIMALE SUR L'ETAT DE LA JUSTICE

La justice française pose une journée d’arrêt maladie 

Un an après la tribune qui avait déclenché un mouvement social inédit dans la magistrature, le monde judiciaire se met à nouveau en grève mardi pour réclamer « un plan d’action » et davantage de moyens. 

Camille Polloni  / Médiapart

21 novembre 2022 à 18h18

 

Mardi 22 novembre, les audiences censées se tenir dans les tribunaux français risquent d’être massivement renvoyées. À l’appel des principales organisations de magistrat·es, d’avocat·es et de fonctionnaires des services judiciaires, des rassemblements sont prévus devant les palais de justice, sur tout le territoire. 

Cette journée de grève et de mobilisation nationale contre « une justice au rabais » vise à dénoncer « des audiences surchargées qui se terminent trop souvent au milieu de la nuit, des délais au-delà du raisonnable, des jugements non expliqués, des décisions exécutées plusieurs mois – voire années – après », selon le communiqué commun diffusé par une vingtaine de syndicats et associations qui en rappellent les causes : des recrutements « largement insuffisants » malgré les efforts budgétaires et l’absence de « plan d’action clair » pour répondre à « l’urgence de la situation »

Manifestation à Paris des magistrats greffiers et avocats contre une justice à bout de souffle, le 15 décembre 2021. © Photo Sébastien Calvet / Mediapart
 

La date n’est pas le fruit du hasard. Le 23 novembre 2021, il y a tout juste un an, était publiée dans Le Monde la « tribune des 3 000 », point de départ d’un mouvement inédit. Ce texte faisait suite au suicide d’une juge de 29 ans, Charlotte Guichard, au mois d’août. Les magistrat·es à l’origine de la tribune racontaient leur « souffrance éthique » face à l’alternative à laquelle ils et elles sont confrontées quotidiennement : « Juger vite mais mal, ou juger bien mais dans des délais inacceptables. » « Un an après, rien n’a changé », constatent aujourd’hui les organisations professionnelles. 

La situation s’est même aggravée. Les états généraux de la justice, organisés par Éric Dupond-Moretti (désormais renvoyé devant la CJR pour « prise illégale d’intérêts »), ont acté « l’état de délabrement avancé » de l’institution, qui « ne parvient plus à exercer ses missions dans des conditions satisfaisantes » et formulé de nombreuses propositions. Depuis, regrette l’intersyndicale, « les annonces et les coups de com’ se succèdent » sans trouver de débouchés concrets. 

La question des conditions de travail des magistrats, greffiers et personnels administratifs est pourtant revenue, cette année, au cœur du débat public. Espérant obtenir une expertise sur « les risques graves » causés par le sous-effectif chronique, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ministériel (CHSCT-M) de la Place Vendôme et les organisations syndicales ont saisi le tribunal administratif

En parallèle, la réforme de la police judiciaire a suscité une levée de boucliers générale cet automne, en particulier dans le domaine du crime organisé

Bien qu’en hausse de près de 8 % pour la troisième année consécutive, le budget « historique » de la justice pour 2023 ne semble satisfaire que le garde des Sceaux. Le Syndicat de la magistrature maintient notamment que « les besoins sont colossaux » et la répartition de ces fonds est « discutable ». La promesse de créer 1 500 postes de magistrats d’ici à 2027 (dont 200 en 2023) et de revaloriser leurs salaires n’éteint pas les critiques. 

D’après les derniers chiffres de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice, la France compte deux fois moins de juges par habitant que les autres pays du Conseil de l’Europe, trois fois moins de procureurs, mais aussi moins de personnel autour des magistrats. Le référentiel sur la charge de travail de ces derniers, attendu de longue date pour définir les besoins de chaque juridiction, est promis pour le mois de décembre. 

Un hommage à Marie Truchet, morte en pleine audience

Le 18 octobre, un événement tragique a encore assombri ce tableau. Alors qu’elle présidait les comparutions immédiates au tribunal correctionnel de Nanterre, Marie Truchet, une juge de 44 ans, est morte en pleine audience. Son décès a tant choqué les acteurs du monde judiciaire qu’il a immédiatement été associé à ses conditions de travail, sans attendre les résultats de l’autopsie.   

Il faut dire que la situation du tribunal judiciaire de Nanterre, à elle seule, illustre bien l’état dans lequel se trouve la justice française. Réparti sur trois bâtiments, il subit les postes vacants, le manque de matériel chronique, les logiciels périmés, les températures pouvant dépasser les 35 degrés dans certaines salles. 

Le 13 décembre 2021, une assemblée plénière alertait déjà sur « l’épuisement de l’ensemble des acteurs », dans un contexte où certains services « fonctionnent à effectifs réduits, parfois jusqu’à 50 %, et ce depuis plusieurs années ». Les difficultés sont particulièrement marquées aux affaires familiales et aux prud’hommes. Elles s’accentuent au pôle correctionnel, où les audiences tardives, les cabinets d’instruction débordés et et les délais d’audiencement indécents sont devenus la règle. 

Un mois et demi plus tard, les personnels du tribunal renonçaient publiquement à « 121 tâches qu’il est impossible d’effectuer » faute de personnel. « Il manque à Nanterre 69 magistrats, 13 procureurs et 120 personnels de greffe pour être doté en personnels comme la moyenne des tribunaux français, moyenne pourtant très inférieure à celles des tribunaux des autres pays d’Europe. » À Nanterre, la journée de mobilisation, dédiée à la mémoire de Marie Truchet, prendra une résonance particulière. 

Camille Polloni

 

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