Hébergement d’urgence : «Nous sommes face au risque d’un recul politique majeur»
L’hébergement d’urgence passera-t-il l’hiver ? Le projet de loi de finances 2023 pourrait aboutir à la fermeture de 7 000 places supplémentaires, après un coup de rabot équivalent subi en 2022. Pascal Brice est le président de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), qui regroupe plus de 870 associations et organismes du secteur, représentant 90 % des centres d’hébergement et de réinsertion sociale de France. Alors que la trêve hivernale approche, le 1er novembre, il s’inquiète d’un retour de la «gestion au thermomètre», une «aberration», selon lui.
Combien de personnes vont appeler le 115 ce soir et se retrouver sans solution ?
Selon nos dernières évaluations, au moins 6 000 personnes appellent ce numéro d’urgence sociale chaque jour, mais n’auront pas de réponse positive. Parmi elles, 2 000 enfants. Mais ce chiffre est largement sous-estimé, puisque l’on sait que la moitié des gens à la rue n’appellent même plus le 115, faute de perspective. Si bien que l’on ne sait pas exactement combien de personnes sont à la rue dans notre pays [selon la Fondation Abbé-Pierre, on compte 300 000 personnes sans domicile en France, dont 27 000 sans abri, ndlr], même si nous savons donc que nos propres chiffres sont sous-évalués. Ça ne peut pas durer comme ça.
En regard de ce chiffre, quelle est l’offre d’hébergement d’urgence ?
Aujourd’hui, nous disposons de 193 000 places. En 2021, en sortie de crise sanitaire, ce chiffre était monté à 200 000. Un effort de l’Etat exceptionnel, historique, et qu’il faut saluer. Je compte sur la discussion budgétaire au Parlement, avec des amendements [des députées] Stella Dupont dans la majorité et Eva Sas dans l’opposition, mais nous sommes face au risque d’un recul politique majeur, puisque après la suppression de 7 000 places cette année, on pourrait en perdre de nouveau 7 000 en 2023. Il s’agirait d’une aberration, notamment en raison de l’extrême fragilisation de certains publics face à la hausse des prix de l’énergie. C’est un test pour le gouvernement, qui semble penser que le plein-emploi va régler le problème de la pauvreté. Une illusion, à mon sens. Je vois aussi un problème de méthode dans ce choix budgétaire. Le Covid avait mis fin à la gestion au thermomètre, consistant à fermer des places à la fin de la trêve hivernale. Là, on risque d’y replonger, alors que, du côté de la FAS, nous plaidons pour une approche pluriannuelle : déterminer, à long terme, les moyens nécessaires, quitte à fixer des clauses de revoyure.
Se pose aussi la question de la qualité de cet hébergement d’urgence, puisqu’on recourt beaucoup aux nuitées hôtelières…
En effet, on nous pousse à des paradoxes insupportables. En cherchant à conserver ces 200 000 places, cela nous conduit à recourir à ces nuitées hôtelières – qui représentent 45 % de l’hébergement d’urgence – alors qu’on sait que cette solution, en plus d’être très coûteuse pour les finances de l’Etat, ne permet pas un accompagnement social de qualité, sans oublier les conditions de vie difficiles dans certains de ces lieux. Mais sans solution de remplacement, on ne peut pas fermer ces places. On va par ailleurs faire face à un défi supplémentaire en Ile-de-France : avec l’horizon des Jeux olympiques de 2024, des hôtels ferment pour se rénover et accueillir les touristes dans deux ans. Enfin, le secteur de la solidarité est confronté à une crise sociale importante, due notamment à la faiblesse des rémunérations et au bureaucratisme des procédures. Comment comprendre, par exemple, que les écoutants du 115 n’aient pas bénéficié des revalorisations du Ségur de la santé ?
Si l’hébergement d’urgence craque, c’est aussi parce qu’en aval les solutions font défaut. Comment analysez-vous la situation ?
L’un des pans de la politique à développer, c’est le «logement d’abord» : sortir les gens de l’hébergement d’urgence pour les amener vers le logement, que ce soit dans des résidences sociales, des pensions de famille, avec ce que cela suppose d’atouts pour leur accompagnement. On compte 250 000 personnes aujourd’hui au sein de ces structures, un mouvement qu’il faut amplifier, pour que se réduise le recours à l’hébergement d’urgence. A cet égard, il faut permettre à des personnes sans papiers qui restent bloquées dans l’hébergement d’urgence, parfois longtemps, d’accéder à un titre de séjour. Si elles avaient des papiers pour travailler, elles en partiraient.
Dernier étage de la fusée, le logement social. Moins de 100000 logements sociaux sont construits chaque année, alors que la demande n’a jamais été aussi forte, avec 2,3 millions de personnes sur liste d’attente. Les efforts en la matière sont-ils suffisants?
Il y a une panne historique du logement social en France. Et quand l’Etat et les élus locaux se renvoient la balle, c’est d’une irresponsabilité totale. Malheureusement, je ne sens pas de prise de conscience à la hauteur.
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