lundi 12 septembre 2022

CETTE "DENTELLE" DONT PARLE CE MINISTRE DE L'EDUCATION DANS UNE PROVOCATION INSUPPORTABLE !

Rentrée : l’atterrissage dans la douleur des profs fraîchement diplômés

Une semaine après leurs débuts, l’heure est aux premiers constats pour les nouveaux titulaires. Entre affectation à la dernière minute, conditions de travail dégradées et bas salaires : la rentrée est synonyme, pour nombre d’entre eux, d’improvisation et de désillusion.

Yunnes Abzouz  /  Médiapart

11 septembre 2022 à 18h32 

 

La veille de la rentrée des classes, Solène, professeure des écoles tout juste titularisée à Paris, reçoit sur les coups de 21 heures un mail du rectorat. Lapidaire, le courriel lui indique que son affectation a été modifiée, sans concertation. Elle apprend que dès le lendemain, elle devra tenir la craie devant une classe de CE1. 

Elle qui s’était faite à l’idée de remplacer des collègues absents sur de très courtes durées, souvent à la journée, un peu partout dans Paris, se retrouve pour sa première année d’enseignement à effectuer des remplacements beaucoup plus longs, une fois par semaine dans quatre classes différentes... Ce qui implique de composer un programme cohérent sur l’année, en concertation avec les professeurs habituels.

« Si j’avais connu mon affectation plus tôt, j’aurais pu préparer un programme, ou au moins quelques cours, tempête Solène. Là, je commence l’année avec presque rien. »

À quelques heures de se trouver face aux élèves, la jeune professeure doit improviser, sans autre prétention que de faire bonne figure. 

« C’est impossible de se familiariser avec quatre méthodes de travail différentes en si peu de temps. Pour l’instant, je ne prends vraiment pas plaisir à enseigner », raconte, désabusée, la néo-enseignante. Par ailleurs, elle ne percevra pas le supplément de salaire, d’environ 200 euros, qui allait de pair avec sa première affectation en compensation des va-et-vient quotidiens entre des écoles dispersées aux quatre coins de son académie. Une somme sur laquelle elle comptait pour rembourser son prêt étudiant.

Une enseignante dans une salle de classe d’école primaire, à Paris, en 2022. © Magali Cohen / Hans Lucas via AFP
 

Affectation à la dernière minute, conditions de travail dégradées, défiance des parents et bas salaires : la rentrée a été synonyme d’atterrissage en douleur pour Solène et nombre d’autres professeur·es débutant·es, confronté·es pour la première fois aux réalités du métier. 

Ceux qui débutent dans la profession ont besoin d’être rassurés.

Guislaine David, porte-parole nationale du SNUipp-FSU

« Cette année, beaucoup de jeunes collègues ont attendu deux mois leur affectation et l’ont reçue la veille de la rentrée », confirme Guislaine David, porte-parole nationale du SNUipp-FSU, principal syndicat du premier degré. Une affectation qu’ils et elles ont l’obligation d’accepter en raison de leur devoir de service inhérent au statut de fonctionnaire. En guise de compensation, ils perçoivent une indemnité lorsqu’ils sont envoyés à plusieurs kilomètres de leur domicile.

La représentante syndicale insiste : « Ceux qui débutent dans la profession ont besoin d’être rassurés. Quand on les prévient à la dernière minute, ou lorsqu’on les envoie loin de chez eux, dans des classes surchargées, on les met tout de suite en difficulté. »

Au point que certain·es néo-enseignant·es songent déjà à la démission, une semaine seulement après la rentrée. Ce phénomène n'est pas tout à fait nouveau, mais s’est nettement accéléré ces dernières années. En une décennie, le nombre de jeunes démissionnaires a été multiplié par six, selon le ministère de l’éducation nationale.

Professeur débutant : premier arrivé, dernier servi

Contre leur gré, les jeunes enseignantes et enseignants ont été pris dans les flots tempétueux de cette rentrée, marquée par la pénurie de professeur·es. Dans les académies les plus en tension, nombreuses sont ceux à ne pas avoir obtenu une classe fixe à l’année, devant se contenter de jouer le rôle de remplaçante ou de remplaçant. 

Ce sentiment d’injustice s'est nourri des déclarations du recteur de l’académie de Créteil, qui admettait, lors de la visite du ministre Pap Ndiaye, « fidéliser les contractuels et les faire passer avant les titulaires ». Avant de reconnaître que « ce mode de gestion est un peu contradictoire par rapport à ce qui se fait dans la fonction publique ». Une stratégie de flux tendu assumée par le recteur d’une des académies les plus déficitaires en nombre de professeur·es.

La pénurie crée en effet une concurrence entre contractuel·les et jeunes titulaires, les professeur·es plus ancien·nes obtenant souvent leurs premiers choix. Toutes et tous préfèrent avoir une classe attitrée à l’année, reléguant les postes de remplaçant·e dans leurs derniers vœux. 

Élèves handicapés : une rentrée confisquée

Et à ce petit jeu, ce sont souvent les contractuel·les qui gagnent. Recruté·es en CDD, parfois après un simple entretien de motivation, ils et elles ont plus de « chance » de claquer la porte de l’Éducation nationale que les titulaires, qui ont obtenu leur diplôme après un concours et deux ans d’études. 

« Évidemment que ça génère de la colère de voir un contractuel nous passer devant alors qu’on a réussi un concours très difficile, tandis que lui n’a pas eu à le passer », confesse Margaux*, professeure du premier degré dans le XXe arrondissement de Paris. 

À cela s’ajoute un sentiment de déqualification du métier : « Quand il suffit d’une formation de quatre jours pour devenir enseignant, on donne l’impression que c’est facile, ajoute Guislaine David (SNUipp-FSU). Or, on n’apprend pas à enseigner la lecture à des élèves de CP en quatre jours. »

Toutefois, par-delà la colère, la solidarité entre enseignant·es, peu importe leur statut, finit souvent par l’emporter. « Même si je refuse de cautionner ce système, je ne peux pas laisser un collègue en galère », assure Karine*, enseignante en CM1-CM2, qui compte « filer des cours clés en main » à une contractuelle de son école qu’elle a trouvée en larmes en salle des profs. « Ça nous oblige à aller au-delà de nos missions, mais on le fait pour le bien des enfants. »

Les conditions de travail grèvent le moral des nouveaux

Il n’y a pas que la dévalorisation de leur métier qui alimente les envies de départ, les conditions de travail aussi. Le décalage entre les objectifs fixés par les formateurs et formatrices et la réalité des moyens pour les réaliser en frappe plus d’un·e. 

Il n’a fallu qu’une semaine à Romain* pour « revoir [ses] ambitions à la baisse et accepter de se concentrer sur des choses plus simples ». Nouveau professeur à Lille dans une classe à double niveau en REP+ (réseau d’éducation prioritaire), il déplore le trop grand nombre d’élèves dans sa classe. « Avec 20 élèves, dont une bonne partie en difficulté, je peux difficilement consacrer du temps à chacun comme on me le demande. » 

Les parents savent que j’ai peu d’expérience, donc je n’ai pas le droit à l’erreur et ça me stresse un peu.

Romain, professeur en élémentaire à Lille

Ancien cadre dans l’industrie et petit-fils d’instituteur, il a souhaité se reconvertir afin, dit-il, de « se sentir utile à la société ». Après une semaine de découverte du métier, ce sentiment reste intact. Il a appris son affectation deux jours avant la rentrée, un délai trop court pour concocter un programme. 

Sa rentrée, passée à rattraper le retard de son affectation tardive et à fureter pour récupérer les fournitures manquantes de sa classe, n’a pas suffi à le décourager. Lui qui avait déjà quelques stages à son actif était préparé aux conditions difficiles du métier. Les parents restaient sa seule crainte : « Avec eux, je sais que je marche sur des œufs. Ils savent que j’ai peu d’expérience, donc je n’ai pas le droit à l’erreur et ça me stresse un peu. »

Si Romain ne partage pas avec ses jeunes collègues les doutes sur leur avenir dans la profession, il s’accorde au moins sur le décalage entre le salaire et la charge de travail : « Entre les heures de classe et le temps qu’on passe chez nous à préparer les cours, on mérite plus que notre salaire net de 1 800 euros. » Fin août, Pap Ndiaye reconnaissait lui-même, sur RTL, que « les salaires ne sont plus à la hauteur des travaux et des efforts demandés »

Yunnes Abzouz

 

 

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