Le Tanzanien Abdulrazak Gurnah, prix Nobel, anticolonialiste, antiracialiste
AFP, publié le samedi 18 juin 2022 à 15h11
Abdulrazak Gurnah, écrivain tanzanien prix Nobel de littérature 2021, a vu dans sa jeunesse les dégâts aussi bien du colonialisme que de la "politique raciale". Elles l'ont façonné comme romancier.
De passage à Paris, cet auteur tanzanien et britannique, tiré d'un certain anonymat à 72 ans par la prestigieuse récompense décerné à Stockholm, se prête de bonne grâce à une promotion au pas de charge de ses romans, traduits aux éditions Denoël.
Sa vie d'adulte en Angleterre est bien connue, décrite dans ses romans à travers d'autres personnages: son arrivée dans ce pays froid comme demandeur d'asile, la pauvreté, et l'ascension grâce aux études.
Mais sa jeunesse sur son île natale de Zanzibar, dans l'océan Indien? Il avait évoqué, dans son discours de réception du Nobel, l'écolier avide de lecture et d'écriture qui préfigurait le romancier.
"Du côté de mon père, ils étaient Yéménites. Du côté de ma mère, ce sont des gens de Mombasa, de la côte", dit-il quand on l'interroge sur ses origines.
- Considéré comme étranger -
Abdulrazak Gurnah est le neveu d'un riche négociant (en poisson, dattes, épices, etc.) dont le commerce employait toute la famille sous le protectorat britannique à Zanzibar, qui dura jusqu'en 1963. Il se décrit comme issu de la classe moyenne.
Mais en 1964, une révolution d'inspiration marxiste, cubaine, allait conduire à des expropriations et des persécutions contre la population originaire de la péninsule arabique.
"C'était une époque difficile pour tout le monde, en particulier les gens que le gouvernement considérait comme étrangers. Cela faisait partie d'un processus de racialisation, tout à fait injuste", raconte-t-il à l'AFP.
Sans avenir sur son île, ni dans le nouvel État de Tanzanie sur le continent, il part pour la Grande-Bretagne, où il connaît la misère, et s'élève grâce aux études. Il devient universitaire avant d'être écrivain, publiant son premier roman à 39 ans.
Son œuvre est traversée des questions de racisme, d'héritage colonial, d'exil et d'identité, à travers d'autres personnages d'immigrés africains comme lui.
Quand il a reçu le Nobel, très peu de Tanzaniens le connaissaient. Après s'être réjouis, ils se sont demandé pourquoi? Lisaient-ils assez? Quels dégâts avait faits la révolution de 1964?
- "Tous Zanzibarites" -
"Les Arabes m'ont aussi fêté comme écrivain yéménite. J'ai dit: bien, ça me va, si vous voulez. Ce n'est pas comme ça que je me sens, mais ça me va", relève-t-il.
"Avant tout je me vois comme Zanzibarite", insiste l'écrivain. Il se remémore l'adhésion de sa famille au Parti nationaliste de Zanzibar, dont le leitmotiv était "Nous ne sommes pas Indiens, Arabes, Africains, nous sommes tous Zanzibarites. (...) On ne veut pas être racialisés. Bien sûr la politique raciale l'a emporté, mais je veux toujours adhérer" à cet idéal, souligne-t-il.
L'autre pilier, c'était l'anticolonialisme. Il anime toujours le romancier.
Dans son discours Nobel, il affirmait: "Nous étions, ceux de notre génération, enfant du colonialisme d'une telle manière que nos parents ne l'étaient pas, ni ceux qui nous ont suivis". Dès l'école, en anglais, alors que sa langue maternelle était le swahili, et que la culture ancestrale de Zanzibar s'effaçait.
Au terme de longues décennies de domination britannique, "nous étions confrontés aux réalisations de la culture coloniale. (...) Les gens comme nous ont dû travailler plus pour comprendre et définir leur relation avec la culture coloniale", considère Abdulrazak Gurnah.
Aujourd'hui, il comprend la jeune génération qui veut abattre les statues de colons, britanniques ou autres: "La symbolique est bonne. Et elle provoque tous ces gens de droite qui sortent du bois et commencent à saigner, pleurer, geindre. Bien. Cela veut dire que la question est maintenue en vie".
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