mercredi 1 juin 2022

LE RETOUR DE VALLS EN FRANCE, "SYMPTÔME D'UN CLIMAT DELETERE"

Législatives : en Espagne, Manuel Valls en mal d’aficionados

Le futur ex retraité de la vie politique Valls est de retour dans la péninsule ibérique, investi par LREM dans la 5e circonscription des Français de l’étranger. Freiné par un dissident et par sa propre impopularité, l’ancien premier ministre s’épuise dans une campagne chemin de croix.

Manuel Magrez et Tom Bertin /  Médiapart

31 mai 2022 à 19h01 

 

Madrid (Espagne).– Retour vers le no future ? Après presque quatre ans d’exil à Barcelone, sa terre natale, l’ancien premier ministre Manuel Valls rêve de retour dans le paysage politique français. Sous la bannière de La République en marche (LREM), il brigue la 5e circonscription des Françaises et Français établis hors de France (Espagne, Portugal, Andorre et Monaco). Sur le papier, la victoire d’un candidat soutenu par Emmanuel Macron dans cette circonscription où le président sortant a recueilli 38 % des suffrages exprimés au premier tour relèverait presque de la formalité.

Mais depuis son investiture, directement arbitrée à l’Élysée, rien ne va plus dans la galaxie macroniste. Début mai, premier caillou dans la chaussure du candidat officiel Valls : Stéphane Vojetta, le député sortant LREM, lâché au profit de l’ancien premier ministre. Vojetta refuse d’abandonner son siège et ajoute sa candidature aux onze existantes. Devenu dissident, il s’est lancé sans étiquette, mais toujours en soutien de la majorité présidentielle.

« Ma responsabilité est de réparer une erreur faite par ma famille politique avec cette investiture », explique Stéphane Vojetta devant des expatrié·es dans un parc de Madrid, un lundi soir de mai. Selon lui, cette erreur pourrait même coûter le siège à la majorité, au profit d’« oppositions en embuscade ». La motivation affichée par cet entrepreneur installé depuis près de 20 ans dans la capitale espagnole ? Sauver la majorité d’un échec certain de son candidat plus que mal aimé. « Il est impopulaire sur le territoire partout en Espagne », constate-t-il.

Manuel Valls dans un hôtel du nord de Madrid, le 12 mai 2022. © Photo Manuel Magrez pour Mediapart

À Madrid, les quelques réunions publiques de Stéphane Vojetta ont réuni « une cinquantaine, voire une soixantaine de personnes », assure son entourage . Dans l’assemblée réunie ce soir-là au milieu du parc qui jouxte le consulat de France, les dizaines de personnes aux pulls impeccablement noués autour des épaules ne laissent aucun doute sur leur vote en faveur d’Emmanuel Macron.

Comme un cri du cœur, « c’est un opportuniste » sort presque automatiquement de la bouche des Marcheuses et Marcheurs madrilènes interrogés, qui reprochent à Manuel Valls ses errances de professionnel de la politique des deux côtés des Pyrénées, notamment sa démission de son poste de conseiller municipal de Barcelone à l’été 2021.

Un départ qu’il paye cash dans cette campagne. Les militant·es macronistes de sa terre d’origine ne le suivent plus, et pour cause : sa désertion a « déçu, mais sans étonner ». Baudouin de Marcellus, conseiller consulaire qui avait milité à titre personnel pour sa candidature, ne lui donnera pas de seconde chance. « Il revient en disant qu’il connaît le terrain, qu’il nous connaît, alors qu’il n’est jamais venu nous voir », cingle-t-il.

Primaire macroniste

Guillaume Rostand, président de la French Tech de Barcelone, qui compte 300 entreprises et presque autant de membres, assure n’avoir ni animosité ni aigreur à l’encontre de Manuel Valls, mais il ne comprend pas son investiture. « C’est un peu grand-guignolesque quand même de le voir arriver à Barcelone, repartir et revenir, lance ce directeur commercial. On a l’impression qu’il ne se rend pas compte du potentiel piège dans lequel il se met. Je lui dirais presque : “Manu, n’y va pas.” »

A Barcelone, l’opacité de la pré-campagne de Valls suscite déjà des remous

Avec ou sans Stéphane Vojetta, les adhérentes et adhérents actifs de LREM ne sont pas convaincus par l’arrivée de ce « candidat parachuté » et doutent de sa sincérité. « On imagine bien qu’il ne va pas rester sur la circo, qu’il aspire à autre chose », lance Élodie Korn, militante macroniste madrilène depuis 2016. Un autre, venu assister à une réunion publique par curiosité, décrit une « rancœur de Manuel Valls contre les Marcheurs et ceux qui ne le soutiennent pas ». « Il a prononcé des mots qui ne m’ont pas plu, dit-il. Il a dit qu’il n’aiderait pas ceux qui ne comptent pas voter pour lui. »

Manuel Valls prépare la prise de Barcelone par la droite

Pour cet homme, cette déclaration démontre « une certaine nervosité » chez le candidat investi, qui s’annonçait pourtant confiant au démarrage de sa campagne. Mais comment l’être quand les villes clés de la circonscription sont promises à son rival ? Alors qu’il est déjà presque « grillé » dans sa ville de Barcelone, selon l’expression de responsables locaux, « le comité LREM de Madrid est à 100 % pour Stéphane Vojetta », affirme Élodie Korn. L’entourage de Manuel Valls concède son impopularité au sein du réseau LREM de certaines villes espagnoles, mais estime que « ça ne va pas beaucoup plus loin ».

Dans cette investiture, la forme fait encore plus grincer des dents que le fond. « Il est arrivé du jour au lendemain. Il a sauté des étapes. Il aurait d’abord dû travailler son image, aller à la rencontre des électeurs et ensuite se présenter », s’agace Paolo Pacheco, animateur de la section LREM de Malaga, qui remarque un dénigrement « presque automatique » chez les électeurs et électrices à propos de Valls. Malgré tout, Stéphane Vojetta tempère et assure n’avoir « rien de personnel » contre celui qu’il soutiendra au second tour en cas de défaite.

Malgré leurs idées et leurs programmes similaires, les deux macronistes se sont livré une bataille indirecte tout au long d’une campagne de premier tour au fort goût de primaire. Valls met en avant son investiture, dont il estime qu’elle lui offre une sorte de légitimité, au point de la scander à chaque intervention et de titrer ses affiches : « Le seul candidat soutenu par Emmanuel Macron. »

Le Portugal pour compenser le désamour espagnol ?

Ce chemin, il s’est articulé autour de quelques rencontres très organisées dans les principales villes de la péninsule ibérique, notamment celles du Portugal, où l’ancien premier ministre a tenté de mobiliser un électorat moins remonté contre lui. Là-bas, il mise tout sur son aura d’ancien chef de gouvernement. « J’ai toujours rêvé d’être connu, d’être une voix forte qui incarnera cette circonscription », affirme-t-il, fièrement.

La mobilisation des Français et Françaises du Portugal, où le suppléant de Manuel Valls est installé, est la principale inconnue du scrutin. « Le pays sera peut-être un peu plus sensible au fait qu’un ancien premier ministre vienne, car son passé est moins connu et c’est un pays moins en vue », observe Nicolas Salvado, rédacteur en chef d’Equinox, média francophone de Barcelone.

Loin des dorures de Matignon, il fait tout pour entretenir son standing : réservation d’une salle de cinéma trop grande pour l’audience attendue, cocktails, apparition en costume-cravate pour accueillir quelques journalistes au 29e étage d’un clinquant gratte-ciel madrilène… Manuel Valls ne cesse de rappeler son parcours. « J’ai du poids politique, je suis un ancien premier ministre », clame-t-il à l’envi, comme pour souligner qu’un homme politique de sa trempe n’est pas censé être ici, et que c’est une chance pour les électeurs et les électrices.

Valls est le candidat de Macron et Vojetta est celui des électeurs de Macron.

Paolo Pacheco, militant LREM

Ses opposants le concèdent : son image, aussi négative soit-elle, donne un regain d’intérêt à cette circonscription méconnue. « Ça nous médiatise et permet une augmentation de la participation électorale », se réjouit Renaud Le Berre, candidat de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), qui ne se prive pas de rappeler avec un certain agacement « qu’il y a quelques années, Manuel Valls voulait supprimer les représentations des Français de l’étranger ».

Du côté de l’équipe de Stéphane Vojetta, on ne veut ni prononcer son nom ni même parler de lui. Plein d’amertume, Paolo Pacheco fait une exception : « Valls est le candidat de Macron et Vojetta est celui des électeurs de Macron. » Pour l’équipe du dissident, avoir fait revenir l’ancien premier ministre est contraire au projet macroniste de renouvellement de la classe politique.

Opposition de styles, forte abstention prévue

Vojetta prône davantage de proximité, loin de l’élite politique dont se revendique Manuel Valls. Dans ses meetings, le député sortant connaît tout le monde. Les bises et les tutoiements fusent et dessinent les contours d’une campagne « à la bonne franquette » où l’on affiche une certaine sérénité. « Pour moi, c’est impossible que Valls passe au second tour », affirme-t-il.

En cas de succès, Stéphane Vojetta souhaiterait rallier à nouveau la majorité présidentielle, dans laquelle il dit compter encore beaucoup de soutiens. Pourtant, l’état-major d’Ensemble s’est montré ferme dans un communiqué de soutien à Manuel Valls publié le 23 mai : « Si d’autres candidats se revendiquent comme appartenant à la majorité présidentielle, il s’agit alors d’une usurpation. Des procédures seront engagées à leur encontre », ont écrit les responsables de la coalition autour de LREM.

Chez les vallsistes, on tente de montrer que le candidat officiel peut être utile à « la circo ». « Stéphane Vojetta à l’Assemblée, ce sera un député isolé et sans groupe, analyse un proche de l’ancien premier ministre. Manuel Valls a des contacts, il peut peser pour représenter les Français de l’étranger. » Il en veut pour preuve le dernier fait d’armes de l’ancien premier ministre : « Des ordonnances qui avaient des conséquences sur les lycées français étaient en passe d’être signées. Manuel a appelé la première ministre et elles sont mises sur pause. »

Quoi qu’il en soit, la gauche a peu de chances de devenir un obstacle supplémentaire sur la route de Manuel Valls, même s’il ne cesse de pointer du doigt « le mélenchonisme » et son candidat dans la péninsule ibérique. Personne ne s’y trompe, pas même le président de la French Tech de Barcelone Guillaume Rostand : « On est presque des clichés, nous sommes des gens aisés, plutôt de centre-droit », lâche ce Français établi à Barcelone depuis 10 ans, qui juge « cette circonscription acquise à LREM ».

Si personne n’ose s’avancer sur le résultat du premier tour, tous ont une certitude, résumée par le journaliste Nicolas Salvado : « Le grand gagnant sera, comme toujours dans cette circonscription, l’abstention. Atteindre 20 % de participation, ce serait déjà inespéré. » Ce qui relativisera, quel que soit le résultat, l’importance de la victoire de Manuel Valls, ou l’ampleur de sa défaite.

Manuel Magrez et Tom Bertin

 

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