La Nupes resserre ses liens dans un « parlement » élargi
La Nouvelle Union populaire, écologique et sociale poursuit sa dynamique d’élargissement en se dotant d’un parlement. Visant les 500 membres, celui-ci se présente comme un outil de liaison afin de bâtir une « culture politique commune ».
La grande tente de la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes) s’agrandit encore. Le 30 mai, la fédération de la gauche et des écologistes – formée par La France insoumise (LFI), Europe Écologie-Les Verts (EELV), le Parti communiste (PCF) et le Parti socialiste (PS) – a acté la naissance du parlement de la Nupes, dans une salle bondée du Xe arrondissement de Paris.
Il s’agit d’une version réactualisée du parlement de l’Union populaire, l’organe qui avait mis en scène la dynamique d’élargissement du mouvement de Jean-Luc Mélenchon à grand renfort de tribunes, et qui avait alimenté des prolongements thématiques de son programme pendant la campagne présidentielle. Sa composition reflète et renforce l’union encore balbutiante des gauches réconciliées – au prix de quelques contorsions.
Il comprend toujours une moitié de personnalités issues du monde politique, et une moitié de personnalités venues d’ailleurs (syndicalistes, associatifs, artistes, intellectuel·les), sous la présidence de l’ancienne porte-parole d’Attac, Aurélie Trouvé. Mais il a quasiment doublé de volume (l’objectif étant d’atteindre les 500 membres), et la diversité des profils témoigne de l’élargissement de la coalition.
Si l’équipe d’animation du parlement n’a quasiment pas changé (mis à part la relégation au rang de simple membre du maire communiste de Stains, Azzédine Taïbi, dissident de la Nupes dans sa circonscription, et malgré tout présent), une escouade presque exclusivement féminine de six vice-président·es s’y est ajoutée : Marie Toussaint (EELV), Corinne Narassiguin (PS), Éliane Assassi (PCF), Sophie Taillé-Polian (Génération·s), Manon Aubry et Éric Coquerel (LFI).
Un front toujours plus large
Cette dynamique d’union a déclenché une nouvelle salve de ralliements venus de la société civile. C’était l’objectif initial que s’était fixé Aurélie Trouvé au lancement de la première mouture de cette instance, en début d’année : créer un espace qui fédère les sphères partisanes et le mouvement social au sens large. Une idée que l’autrice du Bloc arc-en-ciel (La découverte, 2021) n’a pas perdue de vue.
« La mission de ce nouveau parlement de la Nupes, c’est aussi de construire une culture politique commune, qui nous permette de gagner la bataille culturelle, de diffuser nos valeurs, entre militants de nos différentes forces politiques, mais aussi avec celles et ceux qui se battent pour un autre monde dans leurs entreprises, dans la rue, dans leurs fermes, dans leurs bouquins, dans leurs films », énumère-t-elle.
Le sénateur communiste Pierre Laurent, à qui l’outil rappelle le conseil national de campagne qu’il présidait, en 2012, à l’époque du Front de gauche, approuve : « L’unité additionne plus que les seules forces qui la composent. Il faut progresser pas à pas sur ce chemin unitaire, car des épreuves se présenteront forcément devant nous », observe-t-il. Histoire de rappeler au leader de LFI le fil rouge de leur histoire commune, il lui a même conseillé un livre de Georges Marchais, Le Défi démocratique, paru en 1973, qui comprend un chapitre sur l’« union populaire ». Le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, lui, était absent, occupé à labourer ses terres à Saint-Amand-les-Eaux (Nord), où il est candidat.
Le populisme de gauche est-il une stratégie durable ?Parmi les nouveaux membres du parlement figurent ainsi des intellectuel·les de la gauche critique – les historiennes Laurence De Cock, Mathilde Larrère et Ludivine Bantigny, le sociologue Ugo Palheta, les économistes Éloi Laurent et Thomas Coutrot et la sociologue Monique Pinçon-Charlot –, des personnalités venues du monde de la culture – l’écrivaine Chloé Delaume, l’écrivain Éric Vuillard, les réalisatrices Françoise Davisse et Marie-Monique Robin – ou encore des syndicalistes – Karl Ghazi, de la CGT – et des militantes et militants associatifs – Geneviève Savigny, ex-secrétaire nationale de la Confédération paysanne, Kevin Vacher, militant pour le logement à Marseille ou encore Chloé Ridel, présidente de l'association Mieux voter.
Autant de forces vives qui, après la performance de l’Union populaire à l’élection présidentielle (22 %) et la formation en un temps record d’une union inédite autour d’un « programme partagé de gouvernement », mettront leur poids dans le « troisième tour » lors des élections législatives, les 12 et 19 juin. Face à la levée de boucliers suscitée par la Nupes et sa promesse de « reparlementariser » la vie politique française, les membres du parlement auront vocation à faire de la pédagogie sur les 650 mesures du programme, et à jouer un rôle de relais médiatique et affinitaire de la gauche unie.
Cette cohabitation est cependant, à certains égards, tout aussi insolite que le rapprochement fulgurant opéré ces dernières semaines entre le secrétaire national du PS, Olivier Faure, et Jean-Luc Mélenchon. Siègeront ainsi sous la bannière en forme de « V » de la Nupes des tenants d’une ligne anticapitaliste comme Ugo Palheta et Ludivine Bantigny, des partisans d’une social-démocratie rénovée comme Denis Quinqueton (de la fondation Jean-Jaurès) et d'une « république écologique » comme Chloé Ridel, ou encore d’anciens thuriféraires de la primaire populaire, à l’instar de Marie-Monique Robin.
Interrogé au sujet de la cohérence de cet assemblage, Paul Vannier, ex-négociateur en chef de La France insoumise, affirme qu’il tient par la force des 650 mesures du programme qui marque selon lui un déplacement à gauche du centre de gravité politique : « Nous avons élargi notre cadre politique sur une orientation de rupture. Le parlement de la Nupes cultive désormais cette diversité. Plus ses deux bords extrêmes sont éloignés, plus on s’approche du but : être majoritaire dans le pays. » Les prochaines semaines diront à quel point cet arc est élastique.
« Je sais très bien que la pérennité de ce parlement n’est pas acquise. [...] Oui ou non voulons-nous que ce parlement continue après les élections [législatives – nldr] ? Chacun dira librement ce qu’il en pense. Pour ce qui concerne le mouvement insoumis, nous en sommes évidemment partisans », a expliqué Jean-Luc Mélenchon dans un discours d’une demi-heure concluant la présentation.
L’artisan de l’union y a intérêt : ce parlement pourrait être le creuset d’un « bloc populaire » qu’il souhaite le plus stable possible. D’ailleurs, au-delà d’un simple objectif de communication vers l’extérieur, il aura aussi pour mission de faire du liant en interne, et de résoudre les 5 % de mesures du programme partagé qui font encore l’objet de désaccords – sur l’Europe, le nucléaire, la géopolitique… « Il faut qu’on déplie chacune des propositions du programme, jusqu’à leur sève », défend l’historienne Laurence De Cock, satisfaite de pouvoir désormais « discuter avec tout le monde dans la même structure ».
Lisser les différends, et faire contre-pouvoir
Croisé lors de cette soirée de lancement, le président du département de Seine-Saint-Denis, Stéphane Troussel, ex-porte-parole d’Anne Hidalgo et qui avait pris ses distances à la fin de la campagne, est rassuré par cette proposition : « Les treize jours de négociations étaient nécessaires et indispensables, mais il va falloir poursuivre ce travail de frottement idéologique si on veut que ça aille plus loin qu’un accord électoral. Et c’est encore mieux de le faire avec, et devant la société civile », estime-t-il.
Jean-Luc Mélenchon lui-même compte sur ces liens avec le mouvement social. « Je sais qu’on ne peut changer la société aussi fondamentalement que nous en avons l’ambition sans une implication populaire de masse, qui intervient directement dans les affaires de l’État et dans les mobilisations collectives », expose l’homme fort de la présidentielle, évoquant son souvenir du « succès de 1981 ». Et d’ajouter plus tard : « Je souhaite de toutes mes forces que ce parlement soit constructif et insolent à l’égard du pouvoir, même si c’est nous qui l’exerçons. »
Dans l’assistance, la jeune musicienne Léonie Pernet, qui a rejoint le parlement de l’Union populaire pendant la campagne présidentielle, compte bien sur la pérennité de cette recomposition de la gauche : « J’ai une espérance énorme en cette union et en ce programme. Avec ce parlement qui mélange syndicalistes, artistes, intellectuels, c’est la périphérie des partis qui se mêle, et ça ne s’arrêtera pas à la mi-juin. Je veux qu’on continue d’écrire cette histoire collectivement après. Le futur est ici. » Pour assumer sa part du combat, elle soutiendra sur scène, le week-end prochain à Rouen, son amie Alma Dufour, candidate aux législatives en Seine-Maritime.
Insensible aux procès en « péril rouge » intentés par les macronistes, la Nupes poursuit donc son chemin prudemment, à tâtons, mais jusqu’à présent sans trébucher. Pour éclairer la voie, Jean-Luc Mélenchon joue encore une fois la carte de l’histoire. Dans son hommage au « beau mot » d’« union populaire », en conclusion de son discours, il déclare que « fondamentalement, nous n’allons pas seulement faire une union populaire politique, mais une union populaire sociale ».
Des mots qui résonnent avec ceux de François Mitterrand qui, lors de son discours d’investiture, le 21 mai 1981, qualifiait son élection de « troisième étape d’un long cheminement, après le Front populaire et la Libération, [où] la majorité politique des Français démocratiquement exprimée vient de s’identifier à sa majorité sociale ».
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