À Perpignan, l’extrême droite s’offre trois jours de célébration de l’Algérie française
À quelques jours des 60 ans de l’indépendance de l’Algérie, le maire Louis Aliot (RN) met à l’honneur l’Organisation armée secrète (OAS) et les responsables du putsch d’Alger pendant un grand week-end d’hommage à « l’œuvre coloniale ».
Le menu est copieux et pour le moins indigeste. Pendant trois jours, la ville de Perpignan, qui a versé pour l’occasion 100 000 euros au Cercle algérianiste, une association de nostalgiques de l’Algérie française, organise jusqu'au dimanche 26 juin un événement où elle se proclame « capitale des Français d’Algérie ».
Au programme : célébration de l’œuvre colonisatrice et « civilisatrice » de la France, mise à l’honneur des responsables de l’Organisation armée secrète (OAS) et des généraux putschistes… Le tout sous la tutelle du maire Rassemblement national (RN) Louis Aliot. À l’occasion d’un « dîner des 60 ans » [de l’exode des Français d’Algérie - ndlr], l’édile, issu d’une famille de pieds-noirs, « élèvera au rang de citoyen d’honneur de la ville » trois responsables du putsch d’Alger.
Après une exposition relativement modeste l’an dernier sur « les victimes oubliées de la guerre d’Algérie » dans une salle jouxtant la mairie, le maire d’extrême droite a, cette fois, voulu faire les choses en grand. L’événement se déroule au palais des congrès, avec dix-neuf expositions dans cinq lieux de la ville.
Il se terminera, dimanche matin, par une « procession » du palais des Congrès jusqu’à la cathédrale, « en présence des statues de Notre-Dame de Santa Cruz, Notre-Dame d’Afrique », suivie d’une « prière pour les nôtres ».
Après de multiples demandes, Mediapart n’a pas été accrédité pour assister à l’événement. « Nous sommes complets et les dernières places qui restent seront réservées à nos adhérents », nous a répondu une responsable du Cercle algérianiste.
Pendant le week-end, Perpignan réunit tout le ban et l’arrière-ban des défenseurs d’une Algérie éternellement française, les représentants d’une histoire mythifiée de l’œuvre coloniale en Algérie.
Dans ce monde qui se vit comme assiégé – un an après la publication, par exemple, du rapport Stora, le journaliste du Figaro Magazine Jean Sévillia, auteur de nombreux articles et ouvrages sur le sujet, viendra débattre avec l’essayiste Jean-Yves Faberon, auteur du nostalgique D’Algérie (L’Harmattan), d’une question qu’on pressent comme de plus en plus brûlante : « Face à la montée de la déconstruction de l’histoire de l’Algérie française, peut-on espérer un jour endiguer le phénomène ou faut-il le voir comme une fatalité ? »
Dans ce cercle fâché avec le travail des historiens qui, année après année, est venu battre en brèche l’histoire mythifiée de la colonisation, avec son éternelle imagerie de « routes, hôpitaux, écoles » construits pour le plus grand bonheur d’une population algérienne, étonnamment ingrate, s’est mise en place une histoire parallèle qui se raccroche aux derniers alliés. La recherche historique les trahit ? Pourquoi ne pas interroger l’armée – ou une partie de l'armée – sur ce passé en train de s’estomper ?
« En quoi l’armée peut-elle être un outil de transmission de la mémoire de la guerre d’Algérie ? », interroge ainsi, de manière révélatrice, l’une des tables rondes du week-end. Y ont participé Christophe Assémat, présenté comme un « docteur d’État en science politique ». Ce militaire, auteur d’un roman sous pseudonyme, Frères de solitude (éditions de l’École de guerre), est le fils de Jean Assémat, fondateur avec Roger Trinquier l’Union nationale des parachutistes (UNP), le théoricien de la « contre-subversion » et le défenseur de l’emploi de la torture en Indochine comme en Algérie.
À la même table, se trouvait le père Kalka, aumônier du 1er régiment de chasseurs parachutistes. L’homme se livrait en 2016 à une attaque en règle contre l’islam lors d’une cérémonie d’un club de parachutistes organisée aux Invalides en 2016. Selon un compte-rendu de l’association, il aurait expliqué : « Nous avons peur, ne serait-ce que d’émettre une simple critique à l’adresse de l’islam. Vous pouvez insulter les chrétiens, les bouddhistes, les juifs, les hindous... Vous pouvez cracher sur la Madone et Jésus, mais malheur à celui qui critique l’islam. » Avant d’ajouter : « L’action est l’indispensable complément de la prière […]. La piété dans l’inaction s’apparente à une bigoterie de fiotte. »
La soirée de vendredi s’est terminée en musique, avec un concert du Jean-Pax Méfret, le barde de l’OAS, organisation dont le chanteur né en Algérie, adulé de Zemmour, a fait partie, avant de devenir journaliste au journal d’extrême droite Minute, puis au Figaro Magazine. À son répertoire, des chants de l’Algérie perdue, dont « Les Barricades » – « le drapeau taché du sang d’Hernandez, la foule crie : “Algérie française !” » –, qu’a applaudi Louis Aliot, présent au premier rang.
Les putschistes d’Alger vont devenir citoyens d’honneur de la ville
La journée de samedi doit se clore sur une cérémonie où le maire RN déclarera « citoyens d’honneur » Hélie Denoix de Saint Marc et les généraux Edmond Jouhaud et André Zeller, les organisateurs du coup d’État d’Alger de 1961 pour s’opposer à l’indépendance de l’Algérie.
Pour clore cette « OAS-pride », un square de la ville va porter le nom de Mourad Kaouah, député de l’Algérie française, proche de Jean-Marie Le Pen et figure du Front national en Catalogne.
En protestation, le Collectif pour une histoire franco-algérienne non falsifiée a organisé un contre-événement, avec un rassemblement le samedi dont le mot d’ordre était : « Perpignan capitale de la fraternité entre les peuples algérien et français ».
Pour Josie Boucher, une des responsables du collectif, il s’agit de dénoncer « une propagande qui consiste à glorifier ce qu’a fait la France en Algérie, une insulte au peuple algérien ».
L’instrumentalisation politique des pieds-noirs est une vieille histoire à Perpignan, que Louis Aliot porte à son paroxysme. Déjà, sous le mandat précédent du maire Les Républicains Jean-Marc Pujol, le collectif s’était battu contre l’inauguration d’une stèle à la gloire de l’OAS dans le cimetière de Perpignan, puis contre la création, avec les subsides de la mairie, du Centre de documentation des Français d’Algérie, qui célèbre, selon le collectif, « le bon temps des colonies ». Le journal L’Indépendant rappelait récemment que Louis Aliot a octroyé une aide de 3,7 millions d’euros pour agrandir le couvent où se trouve le centre de documentation.
Jacques Pradel, porte-parole de l’association des Pieds-noirs progressistes, une organisation qui entend empêcher l’extrême droite de confisquer la parole des rapatriés d’Algérie, participera à l’événement. « Le Cercle algérianiste est nostalgique non pas de l’Algérie mais de l’Algérie coloniale. Ils me font l’effet de gens qui ont arrêté de penser dans les années 1960 », regrette-t-il, soulignant que « jusqu’à aujourd’hui, cette association avait pris soin de ne pas trop afficher son soutien à l’OAS. Là, on a le sentiment que plus rien ne les retient. »
« Comment peut-on imaginer parler de l’Algérie sans prendre en compte le travail des historiens ? », s’interroge-t-il encore.
Ce dimanche, l’historien Gilles Manceron fera à une conférence pour démonter « le récit mensonger qui est forgé à Perpignan, notamment sur l’OAS, en présentant comme des résistants à un général traître à la France des factieux, des gens qui désobéissent à la France et à la République ».
Dans la ville RN, les falsificateurs de l’histoire ont les honneurs de la mairie et occupent le palais des congrès. Les vrais historiens se contenteront de quelques tréteaux sur la place du Castillet.
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