dimanche 1 mai 2022

NOUVELLE CHARGE DES SYNDICATS DE MAGISTRATS, SUR UN PACTE MACRON/ SARKOZY : "LE SOUTIEN DE CE DERNIER AYANT POUR CONTREPARTIE L'ASSISTANCE DU PREMIER, VIA DUPOND-MORETTI, DANS LES PROCEDURES LE CONCERNANT"!

Affaire Dupond-Moretti : les syndicats de magistrats en appellent à la Commission européenne

L’USM et le SM demandent à Ursula von der Leyen d’intervenir pour que la France respecte l’indépendance de la justice, après les règlements de comptes avec des magistrats lancés par Éric Dupond-Moretti puis son maintien au gouvernement malgré sa mise en examen.

Michel Deléan  / Médiapart

28 avril 2022 à 15h50 

 

Au lendemain de la réélection d’Emmanuel Macron, dire que les magistrats prient pour qu’un nouveau ministre de la justice soit désigné dans les jours qui viennent serait un euphémisme. Arrivé Place Vendôme en juillet 2020 pour remplacer la terne Nicole Belloubet, le médiatique Éric Dupond-Moretti a aussitôt brutalisé le monde judiciaire, maniant volontiers l’invective et se livrant même à des règlements de comptes personnels avec des magistrats qu’il avait affrontés quand il était avocat.

Ce mélange des genres sans précédent vaut au garde des Sceaux d’être mis en examen pour « prise illégale d’intérêts » par la Cour de justice de la République (CJR). Le ministre n’a pas démissionné, mais les importants moyens budgétaires qu’il a obtenus ont été relégués en arrière-plan.

Dans la magistrature, le point de non-retour est aujourd’hui atteint : les deux principaux syndicats de magistrats, qui sont à l’origine de la plainte contre Éric Dupond-Moretti, viennent de saisir la Commission européenne pour qu’elle rappelle la France à ses obligations vis-à-vis de l’indépendance la justice, selon des informations obtenues par Mediapart.

Perpignan, 27 janvier 2022. Éric Dupond-Moretti visite le tribunal de Perpignan avant de tenir une réunion publique des états généraux de la justice. © Photo Jc Milhet / Hans Lucas via AFP
 

Dans un courrier du 21 avril adressé à Ursula von der Leyen et Věra Jourová, respectivement présidente de la Commission européenne et commissaire en charge de la transparence et des valeurs, l’Union syndicale des magistrats (USM) et le Syndicat de la magistrature (SM) dénoncent « la poursuite de procédures disciplinaires de nature à faire pression sur des magistrats chargés d’enquêtes sur des proches ou anciens clients d’Éric Dupond-Moretti », pointent le soutien apporté par Emmanuel Macron à son garde des Sceaux, citent des nominations problématiques de magistrats, et demandent à la Commission européenne d’intervenir pour que la France respecte l’indépendance de la justice.

« Nous souhaitons montrer que les nombreuses difficultés de la justice face à l’exécutif persistent, explique Céline Parisot, la présidente de l’USM, sollicitée par Mediapart. Nous aimerions qu’il y ait une demande d’explication publique de la part de la Commission européenne : ce n’est pas parce que la France préside actuellement l’Union européenne qu’elle est forcément exemplaire. »

Kim Reuflet, la présidente du SM, également sollicitée par Mediapart, entend de son côté « continuer à alerter sur la fragilité du statut des magistrats, qui ne les protège pas contre les ingérences de l’exécutif et les atteintes à l’indépendance de la justice. Les procédures que nous avions dénoncées se sont poursuivies, il y a eu la mise en examen d’Éric Dupond-Moretti, et le soutien du président de la République, garant de l’indépendance de la justice, qui nous a beaucoup heurtés. Il ne s’est rien passé institutionnellement pour faire cesser ce que nous dénonçons, les conflits d’intérêts et les ingérences se poursuivent ».

Le courrier des deux syndicats, dont Mediapart a pris connaissance, détaille les pressions exercées sur des magistrats. Premier acte de la véritable vendetta menée par le garde des Sceaux : les poursuites disciplinaires engagées contre le magistrat Patrice Amar « sur un dossier vide ». Ce magistrat du Parquet national financier (PNF) n’a pas eu l’heur de plaire ni à Nicolas Sarkozy ni à Thierry Herzog, ami proche d’Éric Dupond-Moretti, à cause de l’affaire dite des fadettes, en marge du dossier Bismuth-Sarkozy.

Le courrier adressé à la présidente de la Commission européenne retrace « l’acharnement » dont le procureur Amar a été victime, comme l’a documenté Mediapart : malgré une inspection de fonctionnement du PNF « n’ayant pas mis en évidence de manquements disciplinaires », suivie d’une enquête pré-disciplinaire contre lui n’ayant « pas non plus établi l’existence de fautes disciplinaires », une demande d’explication adressée par Matignon à l’Inspecteur général des services judiciaires, qui n’a rien trouvé à lui reprocher, Patrice Amar a tout de même été traîné devant la formation disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) par le premier ministre Jean Castex - Éric Dupond-Moretti ayant fini par se déporter des dossiers qu’il avait eu à connaître en tant qu’avocat.

Deuxième acte, la procédure disciplinaire « bâillon » lancée contre le juge Édouard Levrault. Encore un magistrat trop curieux, qui avait mis en examen des personnalités de premier plan lorsqu’il était détaché à Monaco, avant d’être limogé subitement par la principauté.

« Ciblé à la suite de son enquête sur les liens entre l’oligarque Dmitri Rybolovlev et de hauts dignitaires monégasques », le magistrat a été renvoyé devant le CSM disciplinaire « principalement pour avoir répondu aux questions de journalistes sur les circonstances et les causes de son éviction par la principauté et avoir ainsi porté atteinte au crédit de la justice », écrivent les syndicats.

« Depuis, il est apparu que M. Levrault avait également été visé par une note sans en-tête non signée des autorités monégasques, pratique que l’on pouvait penser d’un autre temps mais dont la persistance révèle la faiblesse des garanties protégeant les magistrats en France », écrivent l’USM et le SM. Cette note blanche secrète n’avait pas été versée à son dossier administratif, et le juge Levrault a porté plainte depuis pour « traitement illégal de données personnelles, dénonciation calomnieuse et recel ».

« Pour mesurer la gravité de cette affaire, il faut rappeler que M. Dupond-Moretti, outre sa défense d’un ancien policier monégasque soupçonné d’avoir été corrompu par M. Rybolovlev, a défendu l’une des sociétés de ce dernier en 2016 », écrivent les deux syndicats, dont le courrier reprend plusieurs révélations de Mediapart.

L’indépendance de la justice mise à mal par l’exécutif

Le courrier de l’USM et du SM va plus loin, et pointe une « absence d’efficacité des garde-fous de droit interne » français. Premier point soulevé, « une attitude étonnante du garant constitutionnel de l’indépendance de la justice », autrement dit le président de la République. Loin de désavouer Éric Dupond-Moretti, Emmanuel Macron l’a en effet maintenu à son poste après sa mise en examen et l’a défendu mordicus.

« Je n’aurais pas servi la démocratie en répondant de manière automatique à la mise en examen du garde des Sceaux », avait alors déclaré le chef de l’État, contrairement à la règle appliquée lors de la démission de François Bayrou, alors seulement mis en cause.

« Le président de la République, dans une confusion laissant apparaître une difficulté à appréhender la notion d’impartialité mais qui jette néanmoins le discrédit sur le fonctionnement de la justice, a justifié sa position par le fait que des organisations professionnelles de magistrats étaient plaignantes et qu’il était donc problématique que cette plainte soit examinée par des magistrats », lit-on dans la lettre adressée à Ursula von der Leyen.

« Dès lors, le garant constitutionnel de l’indépendance de la justice ne joue à l’évidence pas suffisamment son rôle de protection à l’égard de cette institution, accompagnant le maintien d’un ministre mis en examen de paroles discréditant la justice en laissant entendre qu’elle ne serait pas impartiale. »

Cette « accumulation d’anomalies ne fait qu’alimenter les suspicions » sur un pacte passé entre Emmanuel Macron et Nicolas Sarkozy, « le soutien de ce dernier ayant pour contrepartie l’assistance du premier, via M. Dupond-Moretti, dans les procédures le concernant », écrivent l’USM et le SM.

Nominations : le fait du prince

Autre point d’achoppement, les nominations de magistrats par le pouvoir exécutif. « Seule la nomination des présidents de tribunaux et cours d’appel est à l’abri d’une influence de l’exécutif dans la mesure où le pouvoir de proposition relève du CSM et non du garde des Sceaux », écrivent les deux syndicats. « Ces difficultés ont justement trouvé à s’illustrer tout récemment au travers de plusieurs cas particuliers. »

Ainsi, la nomination surprise du conseiller justice de Jean Castex comme procureur de la République à Créteil, « l’un des plus grands tribunaux de France, alors qu’il n’avait, antérieurement à ses fonctions à la chancellerie et au cabinet du premier ministre, été procureur que d’un parquet de cinq personnes », lit-on.

Autre illustration, le retrait soudain par Éric Dupond-Moretti, en mars, de trois noms figurant sur une liste de magistrats proposés pour des nominations (une « transparence », en jargon judiciaire), dont celui du juge Serge Tournaire, pressenti pour un poste stratégique et barré au dernier moment, dans le but apparent de ne pas irriter Nicolas Sarkozy en période électorale.

Enfin, écrivent l’USM et le SM, « même si cela est indépendant du pouvoir de proposition du ministre de la justice », sa directrice de cabinet, Véronique Malbec, « ayant donc suivi à ce titre la totalité des dossiers qui nous inquiètent, a été nommée au Conseil constitutionnel par Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale et ami politique fidèle de M. Macron, et ce malgré les questions sur un possible conflit d’intérêts dans une autre affaire judiciaire impliquant M. Ferrand ».

Conclusion des deux syndicats de magistrats : « Les faiblesses structurelles des garanties d’indépendance de la justice en France ont une nouvelle fois été démontrées. Ces faiblesses fragilisent chaque jour notre démocratie et l’État de droit en France. Nos alertes régulières tant auprès des autorités concernées que dans le débat public ne semblent pas pouvoir être entendues. Nous demandons donc que la Commission intervienne pour imposer à la France les normes nécessaires pour que ces atteintes à l’indépendance ne puissent se renouveler, qu’il s’agisse de sanctionner des magistrats gênants ou de récompenser ceux qui ont servi l’exécutif. »

Le commissaire à la justice est un ami de Sarkozy

Au passage, l’USM et le SM demandent que le dossier ne soit plus suivi par Didier Reynders, commissaire européen en charge de la justice, destinataire de leurs courriers précédents ( 13 octobre et 16 décembre 2020) sur les graves difficultés de la justice française. « Plusieurs éléments publics ont laissé apparaître une certaine proximité entre M. Sarkozy ou ses proches, d’une part, et M. Reynders et des membres de son parti d’autre part », écrivent l’USM et le SM.

L’ancien ministre belge a en effet reçu la Légion d’honneur des mains de Nicolas Sarkozy en 2013, et ses liens avec des affairistes ayant travaillé avec la Sarkozie, notamment dans le dossier du Kazakhgate, ont été mis en lumière dans un livre publié récemment en Belgique (Le Clan Reynders, Philippe Engels, Kennes éditions). Réputé être un ami de Nicolas Sarkozy, Didier Reynders ne peut plus suivre un dossier où le nom de celui-ci est cité, cette situation « pouvant caractériser un défaut d’impartialité objective », voire un conflit d’intérêts, selon le courrier adressé par les syndicats de magistrats à Ursula von der Leyen.

Michel Deléan

 

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