vendredi 22 avril 2022

L'ESPOIR QUE PORTENT CES JEUNES A LA POINTE DE NOTRE SOUCI PARTAGE D'UNE SOCIETE EGALITAIRE ET FRATERNELLE...

À Paris, des jeunes bloquent leurs établissements pour faire entendre leur voix

Les résultats du premier tour de la présidentielle étaient à peine tombés que les appels à la mobilisation se sont multipliés partout en France. À Paris, notamment, cette opposition s’est caractérisée par un blocage massif des universités.

James Gregoire  / Médiapart

22 avril 2022 à 19h12 


Sous un soleil de plomb en ce lundi de Pâques, des silhouettes courbées s’agitent dans tous les sens au milieu d’un grand tapis d’herbe verte. Toutes à la recherche d’œufs en chocolat. Une scène enfantine, joyeuse, innocente. Dans ce cadre léger, aucune impression d’être sur un campus bloqué depuis plus d’une semaine. Mais en tournant la tête, la réalité nous rattrape. « Démocratie mal à droite », peut-on lire sur une banderole déployée à une fenêtre. « Démocratie libérale = mensonge du capital », lit-on sur une autre.

Pas de doute, le blocus de l’ENS Jourdan est politique. Comme à Paris I Panthéon-Sorbonne, Paris VIII-Saint-Denis, ou encore Sciences Po-Paris et Nancy, les blocus se sont multipliés ces dernières semaines dans le monde universitaire et scolaire à l’issue du premier tour de la présidentielle. Beaucoup de ces derniers ont été démantelés, parfois dans la violence, comme ce fut le cas à la Sorbonne, où les forces de l’ordre sont intervenues dans l’établissement. À Sciences Po, ce sont des membres de la Cocarde étudiante qui ont attaqué les bloqueurs. 

Banderole déployée au deuxième étage du bâtiment Logos de l'ENS-Jourdan. © Photo James Gregoire / Mediapart
 

Sur le boulevard Jourdan, en revanche, le blocus tient. Au sein de ce dernier sont regroupé·es les étudiant·es du premier cycle universitaire en sciences sociales (CPES), ainsi que des étudiant·es en « sciences pour un monde durable », une mention de licence qui en dit long sur leur engagement. « On sentait que les thématiques de justice sociale, d’écologie qui nous préoccupent au quotidien n’allaient pas être représentées et on en a eu la confirmation à l’issue du premier tour », affirme Léa*, étudiante à l’ENS-Jourdan et présente sur le blocus depuis une semaine. 

Une mobilisation en demi-teinte

Bien que son domaine d’études soit le droit, elle n’en est pas moins consciente, comme les autres étudiant·es du campus, des enjeux écologiques majeurs : « Beaucoup de gens, analysant le vote des jeunes, se disent qu’ils ont envie de radicalité et c’est normal. Le Giec [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat – ndlr] l’a dit, on n’a plus que trois ans pour agir », affirme-t-elle. Ses camarades de blocage approuvent. Toutes et tous ont entre 18 et 22 ans et discutent, échangent, débattent, dans une sorte d’utopie libertaire. « On occupe nos journées à échanger, à discuter de la ligne qu’on a, de nos revendications, à partager nos inquiétudes », explique Léa.

Blocage Sciences Po jeudi: Le Pen tance les étudiants qui « devraient respecter cette démocratie »

Les étudiant·es, posé·es sur un banc, profitent du soleil et se remémorent les premiers instants du blocage : « Dès le premier jour, Alain Fuchs [président de l’université Paris Sciences et Lettres – ndlr] nous a dit : “Ici, c’est l’élite, et l’élite, ça ne bloque pas” », affirme l’un du groupe. Un autre renchérit, prenant l’exemple d’« HEC, Assas, c’est sûr que ça va pas bloquer là-bas », provoquant le rire de ses camarades. Discutant des blocus démantelés et du manque de mobilisation dans certaines facs, une étudiante relativise, car « c’est aussi une période où deux tiers des Français sont en vacances. On a commencé notre blocus au moment où les vacances ont commencé. »

Le mois d’avril marque également la période des partiels pour les étudiant·es. « C’est le cas à Nanterre, donc ça va être compliqué de bloquer », ajoute-t-elle. L’ENS-Jourdan était le seul blocus universitaire parisien à tenir, jusqu’à mercredi et au blocage du campus de l’EHESS à Aubervilliers. Léa conclut en rappelant que « l’objectif, c’est de se faire entendre. C’est vraiment un temps de débat, d’échanges. C’est pas du tout une contestation des résultats du premier tour et on ne contestera pas plus le scrutin du second tour. »

Un avis partagé par une majorité de ses camarades, dont Charlotte* : « On n’est pas du tout contre la démocratie, les urnes ont parlé. » Urnes à l’initiative du blocage de la Sorbonne et de tous les mouvements universitaires qui ont suivi. « On a plein de contacts dans les universités, même celles qui ne bloquent pas. On ne les connaît pas personnellement, mais comme la lutte est commune, on a entamé les discussions », indique Charlotte. « Ça fonctionne beaucoup sur la solidarité entre les facs », note-t-elle. Pour l’étudiante en troisième année, l’objectif est « de montrer [...] qu’on ne se retrouve pas du tout dans le programme qui est porté par les deux candidats, tant en matière de justice sociale que d’économie ou d’écologie ».

Mais pourquoi faire le choix du blocage comme mode d’action ? « Parce que la rue, on y va depuis cinq ans et on n’a pas de résultats. Donc on se dit que le meilleur endroit pour se retrouver et discuter entre nous, c’est celui qu’on connaît le mieux, donc ici », déclare, dans une salle de cours aménagée en salle de sieste Jules, lui aussi étudiant en troisième année.

Cette salle de cours de l'ENS-Jourdan est aujourd’hui une salle de repos. © J.G
 

Discutant avec Sofiane*, son camarade de promo, il s’alarme de la baisse de mobilisation : « On avait lancé quelque chose avec Sciences Po et la Sorbonne. Mais avec les actions policières, on a perdu cette dynamique. » Sofiane renchérit et rappelle qu’« à l’AG de la Sorbonne, il n’y avait pas que des étudiants de la Sorbonne mais aussi des étudiants en CPES [classes préparatoires – ndlr], de Nanterre et de Paris VIII ».

Il tente donc de voir le positif : « Certes, la dynamique du début s’est un peu perdue, mais la création du lien social qui fait mobilisation est là. » Celui qui se voit plus tard faire de la recherche en histoire est dépité par le spectacle politique qui s’offre à lui : « Dans son discours à Marseille, Macron défend une écologie molle. Les personnes déjà touchées par le changement climatique et qui le seront encore plus si on ne change rien, ce sont les classes populaires », s’indigne-t-il.

On veut voir plus d’égalité économique, moins de fracture sociale et de creusement entre les plus riches et les plus pauvres.

Sofiane, étudiant à l’ENS-Jourdan

Des revendications absentes du débat

Sofiane veut mettre sur le devant de la scène les sujets qu’il estime importants : « On veut voir plus d’égalité économique, moins de fracture sociale et de creusement entre les plus riches et les plus pauvres. » Autant dire que son collègue et lui ont été déçus par la confrontation entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen : « Le débat, ça devait être le point d’orgue de cet entre-deux-tours, relève Jules. Et on a seulement eu 18 minutes d’écologie sur trois heures de débat… », se lamente-t-il. Il conclut : « C’est énervant de se dire qu’on ne retient le débat que pour les punchlines, parce que ça signifie qu’on en est réduits à ça. »

Les étudiant·es ont déclaré qu’elles et ils étaient prêt·es à libérer le campus dès ce week-end, à condition de revoir les critères d’admission dans leur premier cycle. Les uns et les autres souhaitent notamment « un quota de 50 % d’élèves boursiers ». Mais aussi et surtout, qu’il soit mis à leur disposition un « espace étudiant entièrement autonome et en autogestion, qui aura pour but de prolonger [leurs] réflexions sur les thèmes de l’écologie, de l’antiracisme, de l’antisexisme, de la démocratie ».

À l’approche du second tour, la majeure partie des blocus qui s’étaient formés ont été démantelés. L’ENS-Jourdan fait figure d’exception avec, donc, le campus Condorcet de l’EHESS. Ce dernier est bloqué depuis mercredi, avec pour mot d’ordre : « Pas une voix pour Le Pen, pas de répit pour Macron. » Les étudiant·es souhaitent la réouverture des universités, fermées par le rectorat de Paris pour éviter une propagation du mouvement de contestation universitaire, ainsi que l’inscription automatique des étudiant·es ukrainien·nes réfugié·es par exemple.

La mobilisation continue également de manière perlée dans les lycées, parisiens notamment. C’est ainsi que les prestigieux lycées Louis-le-Grand, Fénelon ou Voltaire ont été bloqués mardi et jeudi par des lycéen·nes dénonçant l’absence des sujets qui leur sont chers dans le débat public. Rien n’est prévu pour l’instant à l’issue du second tour. Mais la décision de blocus des facs à l’issue du premier tour s’est faite, généralement, au dernier moment. Si les sondages prédisent une victoire d’Emmanuel Macron, personne ne peut prévoir ce qu’il adviendrait dans ces établissements au cas où l’extrême droite arriverait au pouvoir.

James Gregoire

 

 

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