vendredi 29 avril 2022

LE NUISIBLE HOLLANDE N'A "COMME FONCTION QUE DE GÊNER LA RECOMPOSITION INTERNE DE LA GAUCHE, DONT LES INSOUMIS ONT LA LOURDE RESPONSABILITE".

François Hollande toujours pérore, jamais ne s’excuse

Sur France Info ce matin, l’ancien chef de l’État a mis en garde son parti contre une alliance législative avec les Insoumis. Son agitation du risque de disparition serait moins cocasse si son propre quinquennat n’avait pas dévasté la gauche presque autant que le PS. 

Fabien Escalona

28 avril 2022 à 21h39 / Médiapart


Se remettre en cause publiquement n’est jamais facile. À défaut, on peut aussi ne pas courir au-devant des micros et des caméras, et gérer dans la discrétion le sentiment de culpabilité ou le déni provoqués par un échec personnel. François Hollande, lui, n’a choisi aucune des deux solutions. Son entretien à France Info ce jeudi 28 avril en a été une illustration particulièrement marquante, même si elle s’inscrit dans une longue suite de prises de parole du même genre.  

À en juger par la fréquence de ses interventions, l’ancien chef de l’État n’éprouve en effet aucun dédain pour les sollicitations médiatiques. Il délivre sans se faire prier ses appréciations et ses commentaires sur la vie politique, laissant échapper de temps en temps un bon mot, l’œil malicieux et le sourire satisfait. On pourrait presque se croire une quinzaine d’années en arrière, quand il se livrait à l’exercice en tant que premier secrétaire du Parti socialiste (PS).

François Hollande admonestant le PS sur France Info, le 28 avril 2022 © Capture d'écran / Site de France Info

Pourtant, nous n’avons pas rêvé, cet homme a bien été président de la République entre 2012 et 2017. Et c’est justement ce qui s’est passé dans cet intervalle qui provoque un certain malaise face à ses récurrentes parades audiovisuelles.

Qu’était le PS avant l’accession de François Hollande ? Tout (ou presque). Qu’était-il à sa sortie ? Rien (ou pas grand-chose). Il détenait en tout cas une présidence aux pouvoirs exorbitants pour une démocratie libérale, les deux chambres parlementaires, et une majorité record des collectivités territoriales. En cinq petites années, ce capital politique a été balayé.

Plus grave, au-delà du sort du parti à la rose, c’est le camp de la gauche tout entière qui s’est retrouvé à un étiage historiquement faible, sur fond d’une décrue inédite des sentiments de proximité partisane dans l’électorat. Et ce camp doit aujourd’hui exister alors qu’une partie de ses soutiens a durablement basculé en faveur d’Emmanuel Macron, dont l’entreprise politique n’aurait pas pu prospérer sans son passage par le cabinet de l’Élysée puis par le gouvernement sous François Hollande.

Ce dernier, pourtant, ne voit là aucune raison d’épargner à son parti, voire à la gauche tout entière, ses remarques et ses conseils. On aurait pu imaginer qu’il le fasse après une introspection et un bilan sans concession de sa propre mandature. Dans la droite ligne de son livre sur Les Leçons du pouvoir (Stock, 2018), il a cependant toujours esquivé toute critique de fond, ne concédant que quelques malentendus sur la forme.

Alors qu’il était interrogé ce matin sur sa responsabilité dans le score cuisant d’Anne Hidalgo, sa réponse a été une sorte d’apothéose. Feignant de la reconnaître, il en a livré une interprétation très particulière : selon lui, le fait de « ne pas [s]’être représenté » pour défendre son bilan a peut-être été une erreur.

À la vérité, ce fut sans doute une sage décision pour éviter l’humiliation. Battant des records d’impopularité, il n’avait pas seulement déçu, mais blessé le cœur de son électorat à travers une loi « travail » déformant le rapport salarial au bénéfice des employeurs, et le projet finalement abandonné de déchéance de nationalité.

En ayant laissé un tel champ de ruines, le plus digne aurait été de formuler des excuses et de s’imposer un silence monacal, ou toute sorte d’exil intérieur. Mais pour François Hollande, pour qui l’expression « toute honte bue » semble avoir été inventée, la péroraison, c’est maintenant – comme ce le fut jadis et comme ça le sera demain. Pourquoi se priver, quand des rédactions jugent pertinent de recueillir encore et encore son avis ?

Conservatisme et impasse stratégique 

En l’occurrence, il s’exprimait ce jeudi matin sur les négociations en cours entre le PS et La France insoumise. Selon lui, l’accord ne se fera pas. Et si d’aventure il se faisait, cela voudrait dire que « le PS aura décidé de disparaître ». C’est une parole d’expert, pourrait-on sourire, mais  son attaque contre la direction actuelle du parti est malvenue. Selon lui, elle n’aurait pas suffisamment fourni de travail en cinq ans, alors que la principale limite de cette équipe aura justement été une rupture beaucoup trop mezza-voce avec les années Hollande.

Le premier secrétaire, Olivier Faure, considère que pour sauver sa peau à l’Assemblée, le PS n’a d’autre choix, alors que sa candidate n’a obtenu qu’1,8 % des suffrages (moins que Jean Lassalle), que de pactiser avec le parti de Jean-Luc Mélenchon. Mais pour François Hollande, s’allier à la première formation de gauche, la seule qui s’est avérée capable d’un score à deux chiffres au scrutin qui mobilise le plus l’électorat – et donc les milieux populaires – relèverait presque de la trahison.

Les motifs mis en avant pour l’expliquer témoignent du conservatisme profond et de l’impasse stratégique dans lesquels François Hollande patauge. Faisant mine d’imaginer un Mélenchon premier ministre, l’ancien chef de l’État s’effraie d’un gouvernement capable de « désobéir aux traités européens ». Or c’est précisément sur ce terrain que s’est produit le premier renoncement de son quinquennat. Abandonnant la promesse de tenir tête à Angela Merkel, il s’était complètement aligné sur les règles austéritaires que s’était données l’Union.

Bien sûr, la méthode insoumise n’est pas exempte de critiques. Mettre en crise les institutions européennes en multipliant les « opt-out » est une stratégie risquée et incertaine. Mais pour être audibles d’un point de vue de gauche, conscient du caractère rapide et massif de la bifurcation écologique à accomplir, ces critiques doivent s’accompagner d’une autre réflexion : comment réaliser cette bifurcation dans le cadre existant, ou dans un cadre qui n’évolue que par petites touches, chaque avancée modeste nécessitant une crise dantesque pour advenir ?

C’est bien parce qu’une réponse satisfaisante à cette question n’existe pas qu’une ligne assumant une rupture plus franche, passant par la désobéissance, est devenue plus séduisante à gauche.

Le 17 mars 2005, les chefs des deux grands partis de gouvernement s’unissent pour promouvoir le TCE soumis à référendum © Capture d'écran / Paris Match
 

Encore faut-il être intéressé par une sortie du productivisme et du néolibéralisme autre que verbale, et admettre la conflictualité qu’elle implique, que ce soit avec la haute finance, les multinationales, ou toutes les contraintes néolibérales qui sont juridiquement confortées par l’ordre européen. Pour un responsable politique qui avait posé tout sourire aux côtés de Nicolas Sarkozy dans Paris Match en 2005, afin de vanter le Traité constitutionnel européen qui fut finalement rejeté, voilà qui est peut-être beaucoup demander.

D’autres objections émises par François Hollande sont plus intéressantes sur le fond. À propos de la livraison d’armes en Ukraine, dont on sait qu’elles ont été cruciales pour la résistance du pays, des désaccords lourds subsistent entre LFI et d’autres partis de gauche. De même en ce qui concerne l’appartenance à l’Alliance atlantique. Mais il est improbable que l’Assemblée élue le 19 juin dispose d’une majorité allant dans le sens univoque de LFI.

De plus, l’argument a été rendu inaudible par une surenchère d’attaques de plus en plus grossières sur ce thème à l’approche du premier tour, comme si Anne Hidalgo, dont la campagne a été peu à peu cornaquée par les partisans de François Hollande, n’avait plus rien d’autre à dire que cela. Le succès de cette stratégie peut en tout cas se résumer en un chiffre, celui des 1,8 % de suffrages que la maire de Paris a recueillis en étant investie par un parti ayant gouverné la France pendant deux bonnes décennies.

L’ordre électoral a changé. Les préférences de l’aile droite longtemps abritées par le PS, qui correspondent aux choix faits par François Hollande au pouvoir, sont désormais bien représentées au sein de la « grande coalition à la française » réunie sous la férule d’Emmanuel Macron. Vouloir les faire exister de manière autonome, ou mieux, les imposer à ce qui reste de la gauche, n’a aucune plausibilité au niveau national. 

François Hollande, en l’état, n’a donc comme fonction que de gêner la recomposition interne de la gauche, dont les Insoumis ont la lourde responsabilité au vu de leur score à l’élection « reine » de la vie politique française. Il reste à voir s’ils s’en montreront à la hauteur, et ne remplaceront pas leur leadership mérité par une tentation hégémonique que redoutent même les mieux disposés à leur égard dans d’autres formations.

En attendant, les avertissements de l’ancien chef de l’État et ses prétentions à représenter « une fidélité à l’idée socialiste » ne doivent être pris que pour des extravagances qui, au regard des enjeux, assomment plus qu’elles ne divertissent. 

Fabien Escalona

 

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