À Lyon, Mélenchon se pose en pacificateur des désordres du monde
Lors de son « meeting pour la paix », le candidat « non-aligné » a développé sa vision en matière de politique internationale, sans s'encombrer de précisions s'agissant de la guerre en Ukraine. Sur la politique extérieure comme intérieure, il a tenté d’installer un duel avec Macron, qu'il imagine pouvoir affronter au second tour.
Ce dimanche 6 mars, en début d’après-midi, les bombes continuaient de pleuvoir sur Marioupol et Kharkiv. Au même moment, à 3 000 km de l’Ukraine, c’est une marée humaine, diverse et bigarrée, qui se réunissait sous le froid soleil de Lyon, pour le « Meeting de la paix » de Jean-Luc Mélenchon. Un rassemblement qui restera dans les annales de cette campagne présidentielle par son ampleur - quinze mille personnes annoncées par les organisateurs. Mais aussi par sa gravité mêlée d’espérance.
Jamais, le candidat de La France insoumise n’avait senti le second tour autant à portée de main. Alors, depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, remonte à la surface ses « mansuétudes » passées à l'égard du régime russe, Mélenchon a décidé de faire de sa faiblesse une force, opposant frontalement sa ligne sur l’international à la politique conduite par Emmanuel Macron. D’où ce nouveau slogan : « Un autre monde est possible », imaginé par son équipe de communication pour coller à l’actualité européenne.
Se posant moins en chef de guerre qu’en faiseur de paix, Mélenchon l’a reconnu lui-même : fini « le bruit et la fureur » qui lui avait jadis servi à s’extraire du « mol alanguissement » de la gauche. L’enjeu est désormais d’incarner une candidature de l’apaisement et de la raison. « Macron assume sa responsabilité [de chef des armées – ndlr], nous devons assumer la nôtre, celle des militants infatigables de la paix ! »
Lors de son discours compact - une petite heure, sans fioritures -, il a réclamé un cessez-le-feu immédiat en Ukraine et, à moyen terme, l’ouverture de discussions sur les frontières en Europe. Mais il s'est prudemment gardé de revenir sur deux points délicats : celui des sanctions imposées à la Russie, que Mélenchon considère inefficaces, et celui de la livraison des armes pour aider la résistance ukrainienne.Préférant développer sur sa « diplomatie altermondialiste » - qui implique une sortie de l’Otan, cette « organisation inutile qui provoque des tensions », et la construction d’alliances internationales concentrées sur « la protection des biens de l’humanité » (l’air, l’eau…) –, il a rappelé qu'être « non aligné » ne signifiait pas être « neutre », en l’occurrence vis-à-vis du régime russe. « Poutine commence un nouvel ordre mondial par la force, par la violence et l’invasion, je ne veux pas la guerre de monsieur Poutine, ni de son ordre mondial ! », a scandé celui qui appelle à « repenser » de fond en comble « tout ce qui concerne notre défense, la manière de penser les relations internationales ».
Il s’est donc engagé à ce que, une fois les Insoumis au pouvoir, tout ne soit plus décidé dans les conseils de défense en haut lieu : en cas de conflit, il consulterait « une fois par an l’Assemblée nationale », produirait « un nouveau livre blanc sur les moyens de notre dissuasion nucléaire », et traiterait avec tact le corps des diplomates « qui sont l’orgueil de notre pays », a-t-il souligné à dessein, se démarquant ainsi du président sortant qui entretient des relations tendues avec le Quai d’Orsay.
Et de conclure son développement sur la guerre par une lueur d’espoir : « Que mon discours ne vous paraisse pas alarmiste, qu’au contraire, il vous invite à relever le défi de changer le cours de l’Histoire, de changer le monde, en commençant par changer la France ! »
Une capacité de rassemblement pour l’instant préservée
Sur le terrain national, l’insoumis, qui n’a fait aucune référence explicite à d’autres candidats durant sa prise de parole, s’est, là encore, posé comme seul véritable opposant à Emmanuel Macron. Répétant sa promesse, pierre angulaire de son programme, d’avancer l’âge du départ à la retraite à 60 ans, il s’est fait plus concret que d’ordinaire : « Dans trente-six jours, il y aura un décret d’urgence sociale qui décidera séance tenante du blocage des prix, du blocage des loyers, du Smic à 1 400 euros net, et l’interdiction à toute société de distribuer plus de dividendes qu’elle ne distribue d’augmentations de salaire. »
« Si vous nous élisez, c’est pour mettre en place ce programme et aucun autre. J’ai 70 ans, je n’aspire plus qu’à un honneur : être celui qui tiendra parole à la tête de l’État », a-t-il ajouté, estimant que le changement qu’il appelle de ses vœux, à savoir « faire passer 10 points de richesse nationale des poches du capital aux forces du travail », est « d’une profondeur et d’une intensité » comparables à la révolution de 1789, « car il s’agit de renverser une société de privilèges ». Dans la foule, les « On va gagner ! » ont redoublé d’intensité, comme si la possibilité d’accéder au second tour prenait tout à coup substance.
Malgré une fin de semaine difficile, la guerre en Ukraine ayant ravivé les critiques à l’égard de leur leader, les troupes mélenchonistes ont quelques raisons de garder espoir. Outre les sondages qui les placent loin devant les concurrents écologistes et socialistes, deux événements, politiquement modestes mais symboliquement forts, sont venus, en cette fin de semaine, renforcer leur certitude de constituer le seul « vote utile » à gauche.
Jeudi, le limogeage inattendu de Sandrine Rousseau de l’équipe de Yannick Jadot a créé beaucoup d’émoi, et fragilisé encore la campagne déjà atone de l’écologiste. Depuis, il n’est pas inimaginable que ce départ puisse permettre aux Insoumis de récupérer une partie des voix des électeurs – en majorité des électrices – « rousseauistes », si ce n’est Sandrine Rousseau elle-même.
Le même jour, la féministe, soutien du socialiste Benoît Hamon en 2017, Caroline De Haas, a d’ailleurs annoncé qu’elle soutenait Jean-Luc Mélenchon, un signe supplémentaire, selon les stratèges de la campagne, que la coagulation de plusieurs électorats serait en train d’avoir lieu.
Autre bonne surprise : samedi, les organisateurs de la primaire populaire ont annoncé qu’ils soutenaient la dynamique de l’Union populaire, après l’échec de leur candidate, Christiane Taubira, à rassembler les cinq cents parrainages. En dépit des relations houleuses qu’entretenaient le collectif citoyen et l’entourage de Jean-Luc Mélenchon, ce soutien a été accueilli très favorablement, notamment par Aurélie Trouvé, présidente du Parlement populaire, qui s’est félicitée de la « grande diversité » du « rassemblement » autour de la candidature de Mélenchon.
Ne manque plus que celui des communistes et de Fabien Roussel qui, fort de sa petite dynamique de campagne, a fermé la porte à tout rapprochement avec son ancien allié de 2017. Une fin de non-recevoir qui va être, dans les jours à venir, de plus en plus difficile à expliquer à mesure que s’approche le premier tour… « Tout va se jouer dans les dix jours qui viennent », indique-t-on dans l’entourage de Mélenchon, où l’on espère qu’à défaut d’un ralliement du candidat du PCF, ses troupes au moins finiront par décrocher sous la pression du vote utile.
À Lyon, dimanche, Jean-Luc Mélenchon ne disait pas le contraire : « C’est une nouvelle saison de la campagne qui commence », a-t-il lancé à la fin de son discours, avant d’entonner, a cappella, « Le Chant des canuts » lyonnais : « C’est nous les canuts, nous allons tous nus / Mais notre règne arrivera quand votre règne finira. »
(1) Ne pas oublier de lire aussi l'article ci-dessus: "Faire campagne en temps de guerre..."
Pour l'avoir écouté, il apparaît que Mélenchon, à Lyon, soit arrivé à "faire exister un imaginaire alternatif alors que l'angoisse générée par la situation pousse à se raccrocher à l'existant". Et puis, comme le pense Corbière, "ça peut être l'occasion de faire entendre un discours pédagogique sur la politique internationale", (ce que Mélenchon - bien le seul sur ce sujet - s'évertue à pratiquer depuis longtemps).
J.P. C.
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