mercredi 23 février 2022

PRETEXTE MENSONGER DE L'UKRAINE, HIDALGO ET JADOT NE PERDENT PAS UNE OCCASION DE SE DISCREDITER : "HARO SUR MELENCHON" ! (1)

Diplomatie Analyse

Ukraine : Jadot et Hidalgo ouvrent un front anti-Mélenchon

La réaction du candidat insoumis à la crise ukrainienne, jugée « complaisante avec Poutine », est vilipendée par ses concurrents socialiste et écologiste, qui espèrent en tirer profit.

Mathieu Dejean, Fabien Escalona et Pauline Graulle

23 février 2022 à 13h27 

 

À gauche, les querelles récentes sur l’intégration européenne ou les enjeux internationaux ont longtemps revêtu un caractère abstrait. Cette fois, en pleine campagne présidentielle, la crise ukrainienne contraint les forces qui se disputent la domination de cet espace politique à se positionner clairement.

Elle constitue en même temps une opportunité, côté socialiste et écologiste, pour se démarquer de Jean-Luc Mélenchon et tenter d’enrayer sa dynamique en le disqualifiant sur un enjeu « régalien ».  

Certes, la reconnaissance par la Russie des républiques séparatistes autoproclamées de Louhansk et Donetsk a été unanimement réprouvée. Mais les termes choisis pour décrire la situation ne sont pas les mêmes, et encore moins les solutions promues.

Une fracture déjà identifiée sépare notamment les camps socialiste et écologiste représentés par Anne Hidalgo et Yannick Jadot d’un côté, et le camp de l’Union populaire incarné par Jean-Luc Mélenchon de l’autre. 

© Photo illustration Sébastien Calvet / Mediapart

À première vue, la position exprimée par Jean-Luc Mélenchon semble rejoindre le chœur des condamnations de la décision de Vladimir Poutine. « C’est une escalade, et la Russie en porte la responsabilité », peut-on lire dans un communiqué publié au soir du lundi 21 février. 

La réaction est logique avec la position qu’il a défendue à plusieurs reprises, notamment lors de l’émission « Élysée 2022 » le jeudi 10 février : « Les Russes n’ont pas à passer la frontière, et les États-Unis n’ont pas à annexer (sic) l’Ukraine dans l’Otan. » Elle est aussi cohérente avec celles exprimées par d’autres députés de La France insoumise (LFI), ainsi que par l’eurodéputée Manon Aubry, qui a par exemple tweeté que « la reconnaissance unilatérale de l’indépendance des républiques du Donbass par Poutine est une violation inacceptable du droit international et des frontières ukrainiennes ».

Cependant, les détails du communiqué du candidat insoumis fournissent des angles d’attaque aux écologistes et aux socialistes. La réprobation du comportement russe y est en effet justifiée au moyen d’une grille de lecture inchangée de ce qui se joue entre l’État ukrainien, les puissances occidentales et la Russie, et qui correspond à la stratégie qualifiée par les insoumis de « non-alignement ». 

En premier lieu, l’intérêt national français est présenté à plusieurs reprises comme celui qui compte avant tout. L’attachement à l’intangibilité des frontières, ou à leur modification concertée et pacifique, semble moins valoir comme un principe fondamental que comme une condition de notre propre objectif d’« indépendance » sur la scène internationale.

Les notions de souveraineté et de droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, en revanche, n’apparaissent pas dans le texte. Tout juste les peuples de la région sont-ils mentionnés dans une évocation de « guerres sans fin » qui auraient cours « depuis Pierre le Grand et Catherine II »

Mélenchon pour une « conférence des frontières »

En deuxième lieu, Jean-Luc Mélenchon semble valider une partie de la rhétorique de Vladimir Poutine, en suggérant que le président russe aurait décidé de reconnaître les entités séparatistes ukrainiennes parce qu’il aurait compris que « la décision était déjà prise » d’intégrer l’Ukraine dans l’Otan.

Certes, les Occidentaux ont refusé de s’engager à ce que, par principe, cette adhésion n’ait jamais lieu. Mais elle n’est pas à l’agenda, et Paris et Berlin s’y sont opposés voici déjà quatorze ans, alors que l’unanimité des membres de l’Otan est requise pour en admettre d’autres. 

En troisième lieu, le communiqué reste muet sur les éventuelles sanctions qu’il jugerait à la hauteur de la transgression poutinienne. Et pour cause : celles-ci n’ont « jamais marché », a affirmé le candidat insoumis lors de sa conférence de presse tenue mardi 22 février, ajoutant que « les Français [allaient] en faire les frais ». Défavorable à celles qui furent décidées à la suite de l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, il a estimé que recourir à nouveau à cet instrument était « une façon d’accepter que la frontière ait été violée ».  

D’un ton peiné et fataliste, le texte du communiqué prédit un engrenage par lequel l’extension de l’Otan aura bien lieu, tandis que les Européens se mettront plus que jamais dans la dépendance sécuritaire et énergétique des États-Unis, en se privant de gaz russe et en renonçant aux « bavardages sur l’autonomie de défense ». Pour autant, le candidat de l’Union populaire affirme qu’une alternative est possible. 

Jean-Luc Mélenchon propose ainsi une « conférence des frontières », dans le cadre de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), afin de prévenir d’autres crises similaires. Durant sa conférence de presse, il a insisté sur cette problématique qui concerne selon lui l’Europe entière, au point d’évoquer les velléités indépendantistes de la Catalogne et de l’Écosse. Dans l’attente que Vladimir Poutine accepte une telle solution, aucune autre réponse n’est spécifiée.    

Ses rivaux de gauche ne se sont pas montrés plus précis quant à une éventuelle issue diplomatique, préférant mettre en avant la nécessité d’une réplique immédiate face à Poutine. Et s’engouffrer dans la brèche du discours porté par Jean-Luc Mélenchon, qui affirmait encore cet automne que « seul le monde anglo-saxon a une vision des relations internationales fondée sur l’agression ».

Haro sur Mélenchon

Au PS et chez les Verts, où les campagnes patinent (lire ici ou ), on appréhende en effet cette crise comme une opportunité inespérée de révéler le vrai visage de Jean-Luc Mélenchon sur les questions internationales, perçues comme son principal talon d’Achille. 

La candidate socialiste, Anne Hidalgo, a ouvert les hostilités lors d’une conférence de presse le 23 février à son QG de campagne. Alors que « le spectre de la guerre se fait jour aux portes de l’Europe », elle a dit observer « avec la plus grande des inquiétudes que, de l’extrême droite à l’extrême gauche, des responsables politiques trouvent en toute circonstance des excuses » à Vladimir Poutine.

Dans son collimateur à gauche, le leader de La France insoumise : « Personne ne peut soutenir que les pays d’Europe centrale avec les occidentaux nourrissent un projet d’agression envers la Russie. Le Pen, Zemmour et Mélenchon renversent les rôles et se font les complices des nationalistes agressifs et des impérialistes », a-t-elle affirmé dans une formule volontairement englobante.  

« Tout le monde a bien conscience qu’on est à un moment charnière, pour les enjeux européens et internationaux, mais aussi pour la campagne présidentielle », veut croire l’eurodéputée socialiste Sylvie Guillaume, en charge de l’international dans la campagne d’Anne Hidalgo, qui juge aussi la réaction du candidat insoumis « inquiétante et complaisante » à l’égard du régime russe. 

Outre la divergence sur le rapport à l’Union européenne (UE), Jean-Luc Mélenchon envisageant le conflit dans un rapport d’État à État tandis que le PS ou les Verts estiment que c’est au niveau de l’UE que doit être traitée la question des sanctions, on s’interroge à dessein sur ce que la réaction du leader insoumis implique pour sa praxis du pouvoir. « Son rapport aux démocraties illibérales interroge : quel type de régime mettrait-il en place s’il arrivait au pouvoir ? », n’hésite pas à dramatiser Sylvie Guillaume. 

Nous, les écologistes, voulons une défense européenne garante de notre indépendance.

Julien Bayou, secrétaire national d’EELV

Même son de cloche du sénateur Rachid Temal qui entend lui aussi disqualifier son ancien camarade socialiste : « Ses positions internationales sont un danger pour la France et le peuple français. C’est un soutien de fait à Poutine. Ça fait des mois qu’il est ambigu sur l’Ukraine et la Russie, qu’il est fasciné par les régimes autoritaires comme la Chine et qu’il propose un changement d’alliance historique avec des régimes non démocratiques. » 

Une attaque qui omet que le non-alignement défendu par les Insoumis, tout aussi contestable qu’il soit dans ses implications, passe par le refus explicite de toute alliance militaire pérenne, quelle qu’elle soit. 

Chez les Verts aussi, on a sorti le lance-flamme. Mardi 22 février, en fin d’après-midi, lors d’un rassemblement d’une centaine de personnes devant l’ambassade de Russie à Paris à l’appel de Yannick Jadot, le candidat écologiste s’employait, là encore, à marquer sa différence avec Jean-Luc Mélenchon, qui caracole loin devant lui dans les intentions de vote.

« La démocratie, on doit la défendre dans l’Union européenne, à Kiev, à Moscou, à Pékin », glissait-il entouré de pancartes « Non à la guerre » ou  « #stopputinnow ». 

Clémentine Autain sur les Ouïghours : « S’abstenir n’est pas de la complaisance envers le régime chinois »

« L’analyse de Mélenchon n’est pas celle des écolos, qui n’ont jamais choisi entre les bonnes et les mauvaises dictatures. Il fait vivre une guerre froide qui n’est pas le sujet de l’Ukraine et victimise Poutine en dépit du sort des journalistes, des démocrates et des Tchétchènes », ajoutait-il, au milieu d’un essaim de micros, avant de réclamer des « sanctions contre Poutine et l’oligarchie russe » et la convocation d’un sommet européen à Kiev « pour montrer la fermeté de l’Union européenne » face à la mainmise de Poutine sur « un pays souverain ».

Un peu plus loin, le secrétaire national d’Europe Écologie-Les Verts, Julien Bayou, discute avec l’eurodéputé de Place publique, Raphaël Glucksmann. Tous deux vilipendent l’attitude d’un Jean-Luc Mélenchon rétif aux sanctions et qui brandit la menace du recours au gaz de schiste américain si Nord Stream est coupé.

« Toutes ces circonvolutions montrent que le vernis se craquelle », juge Julien Bayou, pour qui sa réaction est « symptomatique d’une école de pensée obsédée par l’anti-impérialisme américain. C’est plus fort que lui : le grand mal, c’est l’Otan ! Nous, les écologistes, voulons une défense européenne garante de notre indépendance »

Lui aussi grand promoteur de la défense européenne, en dépit de la lenteur de ses progrès et des obstacles structurels qu’elle rencontre, Raphaël Glucksmann souligne l’hiatus d’un Mélenchon « qui a un discours radical sur l’Europe et un discours angélique quand il s’agit d’un régime dictatorial ».

« Élire un président de la République, ce n’est pas seulement choisir son programme, c’est aussi choisir une personne qui fera face à des crises inattendues, or sa manière de réagir pose question », avance celui qui veut taper au portefeuille les oligarques russes. En plus du levier Nord Stream 2, il propose en effet de « geler les avoirs des milliardaires russes en Europe », car il n’est pas normal de « faire la guerre et mouiller son yacht en France ».

Il le reconnaît néanmoins : bien qu’il se situe à l’exact opposé de la ligne du leader de LFI, « Mélenchon est authentiquement convaincu de ce qu’il dit, que ce soit sur les Ouïghours ou sur la Russie, c’est pour cela qu’il ne change pas d’avis, quand bien même ses positions peuvent être impopulaires ».

Dans une position d’équilibriste, le candidat communiste Fabien Roussel a, de son côté, publié un communiqué où s’affichent à la fois une condamnation ferme de la transgression russe, et un refus de l’atlantisme dont la gauche radicale accuse volontiers le PS et EELV. Comme Mélenchon, lui non plus n’évoque pas de sanctions. À l’inverse, il entre cependant moins dans le détail des raisons ayant poussé Poutine à l’agression. 

Exprimant son « inquiétude concernant les conséquences possibles sur les populations civiles des deux côtés », il a affirmé que tous les reproches que l’on peut adresser aux Occidentaux ou au pouvoir ukrainien « ne justifient en aucune manière cette décision du président russe ».

La solution passe, selon lui, par une conférence « en toute indépendance de l’Otan et des États-Unis », qui raviverait les accords de Minsk sur le Donbass, aujourd’hui au point mort, et inclurait un engagement de non-extension de l’Otan. Une problématique plus circonscrite que la question des frontières avancée côté insoumis. 

Prendre de la hauteur 

Unis contre le candidat qui les devance dans les enquêtes d’opinion, socialistes et écologistes se démarquent par leur style d’intervention face à cette crise. Pour le PS, le débat public suscité par la guerre larvée à la frontière russo-ukrainienne est l’occasion de faire valoir sa différence de parti de gouvernement. À la fois avec Jean-Luc Mélenchon, mais aussi avec les Verts, raillés par les socialistes qui les accusent de se livrer à un « activisme » « Faire des sit-in devant les ambassades, c’est bien gentil, mais ce n’est pas un comportement de chef d’État ! », souligne ainsi Rachid Temal. 

Lors de sa conférence de presse le 23 février, Anne Hidalgo a mis à profit son expérience de maire de Paris pour se placer au-dessus de la mêlée, développant sa vision de la « diplomatie climatique » nécessaire à l’avenir. Des diplomates l’ont d’ailleurs conseillée avant sa prise de parole. Et le 21 février, en apprenant la décision de Vladimir Poutine, la candidate a immédiatement passé des coups de téléphone pour construire une riposte internationale.

« Anne Hidalgo a fait le tour des dirigeants sociaux-démocrates européens, elle est en ligne directe avec Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne. Elle est familière des relations internationales car la mairie de Paris a une activité diplomatique servie par une cellule dédiée. Cela lui permet de se hisser à la bonne hauteur, elle n’a pas besoin d’un temps d’apprentissage », vante le premier secrétaire du PS, Olivier Faure.

Ses réponses sont cependant parfois évasives sur certains sujets, comme lorsqu’elle a vanté la « diplomatie des villes » à propos de la crise humanitaire en Afghanistan, à « C dans l’air » sur France 5. 

Yannick Jadot a pour sa part demandé à ce qu’Emmanuel Macron « reçoive toutes les candidates et les candidats et les partis représentés pour discuter de la situation en Ukraine ». Comme pour disputer le leadership à l’actuel occupant de l’Élysée qui, selon ses opposants, utilise son mandat de président du Conseil de l’Union européenne pour rester à distance de la campagne présidentielle. 

Reste à savoir si les questions internationales pourront modifier le cours de la campagne présidentielle. Olivier Faure estime que la gravité de la situation est telle que le sujet ne pourra être évité, et ne saurait être passager : « Même si ces questions sont traditionnellement peu discriminantes dans une campagne présidentielle, la crise ukrainienne inquiète les Français, elle inspire une forme de terreur vis-à-vis de ce qui peut se passer : une guerre larvée, une guerre froide, ou une guerre tout court. » 

Encore faut-il que ces sujets aient été travaillés en profondeur par les équipes de campagne. Alors qu’à l’exception de La France insoumise, les relations internationales ne font plus, depuis longtemps, l’objet de réflexions au sein de la gauche partisane, il est permis d’en douter.

Mathieu Dejean, Fabien Escalona et Pauline Graulle

 

 

(1)  "Alors qu'à l'exception de LFI, les relations internationales ne font plus, depuis longtemps, l'objet de réflexions au sein de la gauche partisane", insistent en conclusion les auteurs de l'article, les deux 'concurrents' n'hésitent pas à stigmatiser Mélenchon qui, une fois de plus, raisonne, lui, en futur homme d'Etat.  Les trois journalistes, en revanche, font leur travail, analysant les différences sérieuses d'approche du problème à partir de la question de l'UE et de celle de l'OTAN, incontournables toutes deux.

Pure propagande électorale, par conséquent, qui se retourne contre leurs auteurs !

J.P. C. 


 

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