Le #MeTooPolitique accentue sa pression sur les partis
Le collectif féministe, qui demande aux partis d’écarter « les auteurs de violences sexuelles et sexistes », lance un observatoire qui pèsera tant sur la présidentielle que sur les législatives.
21 février 2022 à 18h02
Trois mois après sa naissance, le collectif #MeTooPolitique ne baisse pas pavillon. Celui-ci s’était constitué le 15 novembre 2021 après la publication d’une tribune signée par 285 femmes travaillant dans le milieu politique et universitaire, pour exiger des partis qu’ils écartent « les auteurs de violences sexuelles et sexistes de [leurs] rangs ».
Depuis, « la situation s’est très lourdement aggravée, à la faveur du déroulé de la campagne présidentielle », estime la conseillère Europe Écologie-Les Verts (EELV) de Paris et militante féministe Alice Coffin, l’une des initiatrices du collectif, lors d’une conférence de presse annonçant le lancement d’un Observatoire des violences sexistes et sexuelles en politique, le lundi 21 février.
Non
seulement trois hommes candidats à la présidentielle sur huit (soit
37,5 %) sont cités dans des témoignages d’agressions sexuelles – François Asselineau, Jean Lassalle et Éric Zemmour
–, mais, plus largement, les entourages des prétendants comprennent
aussi des personnes mises en cause dans de pareilles affaires.
C’est le cas de Jérôme Peyrat, conseiller de La République en marche (LREM) condamné pour violences conjugales, qui figure dans le « pôle politique » de l’équipe chargée de la réélection d’Emmanuel Macron, ou du délégué général adjoint du parti présidentiel, Jean-Marc Borello, accusé de harcèlement et d’agressions sexuelles dans son entreprise.
Du côté de l’extrême droite, les militantes féministes ont recensé d’autres cas, comme celui d’Olivier Ubéda, le conseiller en communication d’Éric Zemmour, visé par une plainte pour viol, et de Christophe Bay, directeur de campagne de Marine Le Pen, soupçonné de harcèlement et d’agressions sexuelles.
« Ils sont choisis et validés par les équipes de campagne. La conclusion très claire, c’est que ce n’est pas un sujet considéré comme suffisamment important pour que toutes les enquêtes, y compris en interne, soient menées pour éviter ce tableau catastrophique », affirme Alice Coffin.
Lundi, à la Cité audacieuse – un lieu dédié au rayonnement du féminisme, situé dans le VIe arrondissement de Paris –, le collectif #MeTooPolitique a donc lancé un Observatoire des violences sexistes et sexuelles en politique. Objectif : recenser les violences commises et soutenir les actions visant à promouvoir la place des femmes en politique.
Un questionnaire envoyé aux candidat·es à la présidentielle
Pour Mathilde Viot, collaboratrice d’élu et l’une des initiatrices du collectif – elle avait cofondé en 2016 le collectif Chair collaboratrice, depuis dissous –, l’enquête d’Envoyé spécial sur l’ex-ministre de la transition écologique, Nicolas Hulot, accusé de violences sexuelles par de nombreux témoignages, a été un révélateur. Cette enquête a montré que le combat pour mettre au jour ces violences et les éviter nécessite une action de masse : « On a besoin d’avoir une concordance de faits massive pour que les femmes puissent parler, car la puissance des hommes les protège d’autant plus qu’ils sont exposés. C’est pour ça qu’il est important de soulager ces femmes, de faire bloc, de créer un terrain neutre pour entrer dans un rapport de force avec les partis », explique-t-elle.
Le premier acte de ce rapport de force réside dans un questionnaire envoyé aux candidat·es à l’élection présidentielle. Les questions posées portent par exemple sur leur engagement à ne pas nommer au gouvernement « des personnes mises en cause pour harcèlement, agression sexuelle, viol, violences conjugales, violences sur les enfants (même en l’absence de condamnation définitive) », et d’écarter les personnes mises en cause pour de tels faits durant l’exercice de leurs fonctions.
Le #MeTooPolitique a notamment en tête les cas de Gérald Darmanin, accusé d’avoir profité de sa position dominante d’élu pour obtenir des faveurs sexuelles, et d’Éric Dupond-Moretti, visée par une plainte pour « menaces et violences psychologiques », classée sans suite.
Des engagements concrets, donc, qui portent aussi sur les élections législatives : « Soutiendrez-vous aux élections législatives des candidat·es mis·es en cause pour harcèlement, agression sexuelle, viol, violences conjugales, violences sur les enfants (même en l’absence de condamnation définitive) ? », demande le collectif aux candidat·es.
Plusieurs députés de la dernière mandature sont en effet mis en cause dans de telles affaires, comme le député ex-LREM Benoît Simian, qui doit être jugé en mars pour harcèlement à l’égard de son épouse, le député LREM Stéphane Trompille, condamné en mai 2021 pour harcèlement sexuel, ou encore son collègue de la majorité Pierre Cabaré, visé par une enquête préliminaire pour harcèlement sexuel et moral sur sa suppléante. Concernant ce dernier cas, en guise de sanction de la part de LREM, il a été démis de son poste de vice-président de la délégation aux droits des femmes, dont il reste cependant membre.
Des signes d’espoir
L’objectif de l’observatoire, qui va se doter d’un conseil scientifique, est aussi de laisser une « trace historique » et de documenter le plus possible ces violences souvent invisibles – notamment au niveau local, où elles sont pourtant courantes –, comme l’explique la journaliste Hélène Goutany : « En France, on a très peu de données. Les collectifs Chair collaboratrice et Élues locales ont donné des chiffres, mais les institutions sont incapables de quantifier les violences à l’égard des femmes politiques. On aimerait y remédier, et proposer des réponses juridiques pour faire face aux plaintes en diffamation – une mécanique souvent usitée par ces hommes de pouvoir. »
Si l’élection présidentielle de 2022 charrie son lot de remarques et de comportements sexistes, les militantes féministes observent tout de même quelques signes d’espoir liés à la vague #MeToo.
La conseillère Les Républicains (LR) de Paris, Nelly Garnier, a ainsi signé une tribune dans Le Monde expliquant que Gérald Darmanin était « le nom d’un système qui se tient, où des éditorialistes, politiques et amis, qui savent qu’ils ont les mêmes comportements, ne voudraient pas créer une jurisprudence qui se retournerait contre eux ». De même, parmi les symboles forts de ces derniers mois, la candidate LR Valérie Pécresse a interpellé Jean-Jacques Bourdin, visé par une enquête, lors d’une interview.
Enfin, dans une tribune publiée en réaction aux révélations de Mediapart sur les insultes proférées par un policier à l’égard d’une plaignante pour violences sexuelles, 500 féministes et artistes interpellent les candidat·es à la présidentielle en ces termes : « Avez-vous prévu de révoquer les agents de police condamnés pour violences conjugales ? Avez-vous prévu de sanctionner les policiers qui refusent de prendre les plaintes ? »
Les candidat·es et leurs partis d’appartenance devraient réagir, les militantes l’espèrent, d’ici le premier tour, le 10 avril. Mais les élections législatives représentent aussi un moment important de mise en évidence de ces engagements. Sandrine Rousseau, militante écoféministe arrivée deuxième à la primaire des écologistes, sera ainsi candidate à Paris. Y en aura-t-il d’autres, et seront-elles nombreuses ?
« Un certain nombre de femmes engagées dans le féminisme réussissent à passer la porte blindée de l’accession au champ politique. On verra combien sont investies aux législatives, alors que ça semblerait de bon aloi d’avoir une Assemblée nationale plus paritaire, et avec des femmes féministes », remarque Alice Coffin.
Elle-même est candidate dans le IVe arrondissement de Paris. Une circonscription symbolique, puisqu’il s’agit du « territoire de Christophe Girard », souligne l’élue, en référence à l’ex-adjoint à la mairie de Paris, proche de l’écrivain Gabriel Matzneff. Le 23 février, les adhérent·es écologistes doivent se prononcer sur sa candidature, qui divise en interne. « Pour l’instant, je ne suis pas optimiste : je me suis entendu dire que le parti ne laisserait pas d’espace de type écoféministe se développer. Il y a zéro prime au féminisme », témoigne-t-elle.
Pourtant, selon Alice Coffin, si la gauche et les écologistes sont si faibles électoralement à la veille de ces scrutins cruciaux, c’est qu’« il y a un problème d’offre politique » : « Les partis n’arrivent pas à mobiliser, parce qu’ils ont un problème d’incarnation. Et je crains que ce soit pareil aux législatives, où ils vont envoyer des clones de leurs candidats par ailleurs », craint-elle. Au point qu’en cas d’échec, la recomposition politique à gauche pourrait se faire, toujours selon elle, « en dehors des partis ».
En attendant, les militantes comptent bien profiter des mobilisations du 8 mars, journée internationale des droits des femmes, pour « interpeller directement les candidats ».
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