samedi 7 août 2021

INIQUE ! QUAND "LE CHANTAGE A L'EMPLOI SERT DE POLITIQUE DE SANTE" ! LA GUERRE DES CLASSES EST RELANCEE !

Passe sanitaire : une nouvelle violence contre le monde du travail

Par

Le Conseil constitutionnel a validé la possibilité de suspendre et, in fine, de licencier des salariés en défaut de passe sanitaire. Ce choix du gouvernement d’utiliser la contrainte économique est une nouvelle offensive, inédite mais logique, contre les salariés, où le chantage à l’emploi sert de politique de santé.

 

Le Conseil constitutionnel a donc écarté d’un revers de main dédaigneux toutes les objections concernant l’obligation de passe sanitaire pour certains salariés, prévue par la loi votée par le Parlement. Une seule disposition a été modifiée, celle qui autorisait la rupture anticipée des contrats à durée déterminée (CDD). Finalement, ces contrats seront suspendus en cas de non-présentation du passe sanitaire comme le seront les contrats des salariés en CDI.

Mais l’essentiel est conservé. La juridiction constitutionnelle a bel et bien validé des dispositions que l’avocate spécialisée en droit du travail, Michèle Bauer, dans un texte du 19 juillet, qualifie de « dangereu[ses] et inquiétant[es] ». La question, ici, précisons-le d’emblée, n’est en réalité pas (uniquement) sanitaire. Elle ne s’inscrit pas dans le combat autour du vaccin, mais plutôt dans le choix des moyens utilisés dans le cadre de la crise sanitaire et de ses conséquences sur la relation entre salariés et employeurs et, plus généralement, entre capital et travail.

Ce gouvernement, qui a été si mielleux avec les entreprises durant toute la crise sanitaire, qui s’est toujours refusé à aller au-delà de « recommandations » sur le télétravail ou l’organisation de l’espace dans les entreprises, et qui n’a jamais contraint le secteur privé sans de larges contreparties financières, a fait le choix de faire porter au salarié la responsabilité individuelle de sa politique sanitaire.

C’est par le contrat de travail, qui pourra être suspendu sans indemnités, que va porter la contrainte sur le salarié. C’est en jouant, comme le font déjà au quotidien des milliers d’employeurs, sur le chantage à l’emploi et au salaire, que le gouvernement entend appliquer sa politique de santé publique. Le moyen est d’autant plus inique que, dans la relation de travail, le salarié est déjà la partie faible.

C’est par la violence économique que le gouvernement entend imposer sa politique sanitaire. Des alternatives existaient pourtant qui, sans satisfaire peut-être davantage les uns ou les autres dans le débat actuel, avaient au moins l’avantage de ne pas placer le contrat de travail au cœur de la contrainte et donc de préserver les salariés en tant que tels.

Toulouse, le 26 janvier 2021. Manifestation contre la précarité et les conditions de travail rendues difficiles par la pandemie de Covid-19. © Photo Lilian Cazabet / Hans Lucas via AFP  
Toulouse, le 26 janvier 2021. Manifestation contre la précarité et les conditions de travail rendues difficiles par la pandemie de Covid-19. © Photo Lilian Cazabet / Hans Lucas via AFP
 

On peut penser à une application et une définition plus strictes des contraintes pour les entreprises en termes d’aération, de gestion de l’espace ou de jauge. On peut aussi penser à une obligation vaccinale générale, donc extérieure aux entreprises, qui placerait l’individu face à ses responsabilités et à la loi, mais ne menacerait pas sa relation de travail proprement dite.

En bref, on aurait pu considérer la question sanitaire non comme une question individuelle, mais collective.

Seulement, pour faire respecter ces dispositions, il faut des moyens de contrôle renforcés et cela coûte cher. Alors pourquoi ne pas déplacer ce contrôle là où l’individu, en système capitaliste, est le mieux encadré : dans l’entreprise ? Il suffit alors de transformer les employeurs (lesquels, au reste, n’en ont guère envie et on les comprend tant le niveau de tension sociale est déjà élevé dans les entreprises) en agents de la politique sanitaire.

Et de menacer chacun de la peine suprême dans notre société, la fin du contrat de travail et même le licenciement. Car, évidemment, comme l’a bien précisé la ministre du travail, le licenciement sera in fine possible au bout de deux mois.

Seulement, quoi qu’en disent les « sages » de la rue Montpensier, ce transfert est plus que problématique. Car voici les employeurs transformés en agents de contrôle sanitaire et donc habilités à disposer de données de santé – et ayant donc connaissance de la vie privée – de leurs employés.

Jusqu’ici, la loi précisait, pour préserver le secret médical, que, justement, l’aptitude médicale au travail relevait de la médecine du travail et non de l’employeur. Comme le précise l’avocat Éric Rocheblave dans un entretien récent à Courrier Cadres, « on fait table rase de cela en donnant le droit au dirigeant d’avoir connaissance d’un élément de l’état de santé du salarié et de décider lui-même s’il est apte ou non à travailler ». Autrement dit, on donne un pouvoir supplémentaire, et considérable, à l’employeur sur son salarié. Au mépris de principes forts : le secret médical et le respect de la vie privée. Ce précédent est précisément dangereux et inquiétant.

Beaucoup d’avocats en droit du travail et les syndicats ont alerté sur l’extension de ce pouvoir. On peut évidemment imaginer que ce dernier soit utilisé pour faire « le ménage » parmi les salariés, en créant un effet d’aubaine. L’employeur doit en effet proposer un reclassement. Selon qu’il veut in fine conserver ou non son salarié, il pourrait lui proposer des reclassements réalistes ou non. Il peut aussi, au bout de deux mois, licencier ou non le salarié récalcitrant. Là encore, il est illusoire de penser que les enjeux personnels ne joueront pas dans ce choix.

Les spécialistes du droit du travail n’ont cessé d’alerter (notamment dans cet article de Cécile Hautefeuille) sur une « insécurité juridique » pour les salariés. Cette insécurité pour un salarié, qui est déjà en temps normal soumis à l’insécurité économique, est une contrainte supplémentaire, une source de stress et de pression. Mais c’est là le cœur de cette loi : c’est une loi de répression du monde du travail.

Évidemment, on peut se cacher derrière certaines fictions juridiques. Le Conseil constitutionnel en fait sa spécialité. La loi n’aurait qu’une durée limitée et ne concerne que certains secteurs. Autrement dit, le travailleur peut attendre s’il ne veut pas se soumettre aux obligations prévues, ou, puisqu’il est libre, il peut aller travailler ailleurs. Mais tout cela n’est pas sérieux.

D’abord parce que la suspension du contrat de travail place le salarié dans une situation très difficile. Comme le souligne l’avocat Alexandre Frech dans la même interview accordée à Courrier Cadres, « la suspension du contrat de travail pourrait conduire le salarié dans une situation plus difficile qu’un licenciement ». Suspendu, le salarié n’est pas libéré, en effet, de son « obligation de loyauté ».

Autrement dit, il n’est pas payé, mais n’a pas la possibilité de travailler ailleurs, du moins légalement, et n’a évidemment pas le droit à une indemnité-chômage. Il est donc sans ressources et sans moyens. Au reste, « l’égalité » prônée par les juges constitutionnels mettra désormais les salariés en CDD, le temps de leur contrat, dans la même difficulté que ceux en CDI. Ce qui ne semble pas poser de problème, selon les « sages »…

Ensuite, l’idée que le salarié est « libre » sur le marché du travail est une fiction commode pour les juristes et les économistes mainstream, mais ne correspond guère à la réalité économique et sociale. Les secteurs concernés sont souvent des secteurs de services aux personnes, qui ont été les secteurs qui ont été le plus développés depuis 30 ans par les politiques économiques pour compenser les pertes enregistrées dans le domaine industriel. Où iront donc ceux qui sont éjectés de leur emploi par cette loi ?

Voilà bien une autre violence. Depuis des décennies, et encore davantage depuis 2017, les politiques économiques favorisent ces emplois appelés non sans mépris « non qualifiés » à coups de baisses de cotisations et de subventions directes. Les mêmes qui, cette fois, avancent un pseudo-« choix » sont ceux qui, il y a fort peu, estimaient que les emplois de service à la personne étaient le débouché naturel des plus fragiles.

C’est d’autant plus ridicule que la France connaît encore un chômage de masse et que ces salariés ont déjà été les victimes de la crise sanitaire. Il faut donc le dire clairement, derrière cette fiction de la « liberté » de changer d’emploi ou d’être reclassé, il y a une violence sociale brute envers les plus fragiles et les plus pauvres des Français. La méthode choisie face au virus est bien la poursuite de la guerre de classes menée par Emmanuel Macron depuis 2017.

On ne peut évidemment être surpris que ce pouvoir ait utilisé une telle méthode contre le monde du travail. Dans ce domaine, sa devise est claire : « Faible avec les forts et fort avec les faibles ». Depuis 2017, la violence à l’égard de ces derniers est une constante. Mais cette loi crée clairement un précédent dangereux.

Au nom de l’urgence, on s’accorde à faire de la violence économique, autrement dit de l’instrumentalisation de la relation salariale par le chantage à l’emploi, un moyen de parvenir à des fins « d’intérêt général ». Mais qu’adviendra-t-il si demain cet « intérêt général » est défini par l’État, non plus en termes sanitaires mais politiques ou économiques. Que se passera-t-il si l’on utilise le même levier pour combattre une attaque terroriste ou une crise économique ?

L’engrenage dans lequel la Ve République vient de mettre le doigt est à très haut risque. Il l’est d’autant plus que le pays vit depuis quatre ans dans un état de tension sociale permanent. Ce pouvoir, incapable de convaincre, ne semble désormais n’avoir comme principe que d’imposer ses choix par la contrainte la plus sévère. Quitte à jeter de l’huile sur le feu.


Médiapart

 

Aucun commentaire: