samedi 7 août 2021

DARMANIN, UN INDIVIDU DANGEREUX !

Décès de Cédric Chouviat : Gérald Darmanin protège les policiers

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Dans un courrier adressé à la famille du livreur, le ministre de l’intérieur justifie l’absence de suspension des policiers mis en cause dans son décès. Malgré les premiers éléments de l’enquête accablants pour les fonctionnaires.

Les quatre policiers mis en cause dans le décès par asphyxie de Cédric Chouviat, 42 ans, lors de son interpellation le 3 janvier 2020,  n’ont toujours pas été suspendus par le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin. Et celui-ci n’en a visiblement pas du tout l’intention.

Confiée à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), l’enquête a, en juillet 2020, conduit les juges d’instruction à mettre en examen et placer sous contrôle judiciaire pour « homicide involontaire » trois des quatre fonctionnaires de police impliqués dans ce contrôle routier qui a dégénéré, avec interdiction d’entrer en contact avec tout ou partie de l’équipage. Le quatrième agent, une policière, a été placé, le 10 juillet, sous le statut de témoin assisté ; information confirmée par le parquet de Paris. 

 

Cédric Chouviat, encore casqué, plaqué au sol, trois policiers sur lui, le 3 janvier, à Paris. © Document Mediapart Cédric Chouviat, encore casqué, plaqué au sol, trois policiers sur lui, le 3 janvier, à Paris. © Document Mediapart
 

Le 10 décembre 2020, la famille de Cédric Chouviat avait écrit, via ses avocats, à Gérald Darmanin pour lui demander « très solennellement » la suspension des policiers. Ainsi qu’elle le rappelle, « la présomption d’innocence n’est pas considérée comme une entrave » à la mise en œuvre de cette mesure provisoire prise, notamment, lorsque le comportement de fonctionnaires est « contraire aux principes qui doivent régir leur mission ». 

D’une durée de quatre mois (renouvelable une fois), la suspension d’un agent peut être décidée par l’administration avant même que ne soient déclenchées ou conclues une enquête administrative à son égard et les poursuites disciplinaires susceptibles d’en découler. Et, cela, parallèlement à une enquête judiciaire. 

Cette mesure conservatoire n’est pas une sanction mais elle vise à écarter momentanément un agent « dans l’intérêt du service public et/ou dans l’intérêt de l’agent lui-même, dans l’attente du règlement de sa situation » ainsi que le rappelle le service de communication de la police nationale (à lire ici).

Les premiers éléments de l’enquête n’ont pu permettre d’établir que les fonctionnaires avaient commis, lors de l’interpellation de Monsieur Chouviat, un manquement à leurs obligations tel qu’il soit susceptible de justifier d’une mise à l’écart de leur service.

Courrier du ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, adressé le 21 juin à la famille de Cédric Chouviat

Dans le cas du décès de Cédric Chouviat, ainsi que le commente un haut fonctionnaire de la police auprès de Mediapart, « il en va de l’intérêt de tous de mettre à l’écart du terrain ces policiers. La question ne se pose pas. Sans présager des suites judiciaires, la conduite de ce contrôle routier, leur comportement et l’issue tragique avec le décès d’un homme, ne laissent pas place au questionnement ».

Ce n’est pas l’avis du ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, qui, dans un courrier adressé le 21 juin à la famille Chouviat, rappelle en préambule qu’une suspension est décidée pour « protéger le service des conséquences du comportement de l’un de ses agents. Elle a même précisément pour but “d’éviter le scandale ou la gêne que peut causer la présence effective dans un emploi public d’un agent soupçonné d’une faute grave” ».

Mais il estime néanmoins que « les premiers éléments de l’enquête n’ont pu permettre d’établir que les fonctionnaires avaient commis, lors de l’interpellation de Monsieur Chouviat, un manquement à leurs obligations tel qu’il soit susceptible de justifier d’une mise à l’écart de leur service ».

Donc, pour le ministre de l’intérieur, le décès d’un homme à la suite d’un banal contrôle routier ne justifie pas la suspension de ses auteurs. Un mépris qui n’est pas sans rappeler les propos de Gérald Darmanin, le 28 juillet 2020, devant la commission des lois de l’Assemblée nationale, qui avait déclaré : « Quand j’entends le mot de violences policières, personnellement je m’étouffe. » 

Une suspension peut avoir pour but de protéger le service des comportements d’un agent, si ce n’est éviter le scandale causé par sa présence. Que faut-il de plus que le décès d’un homme ?

Courrier de la famille de Cédric Chouviat au ministre de l’intérieur, daté du 29 juillet 2021

Environ un mois auparavant, le 18 juin 2020, comme Mediapart l’avait révélé, les enregistrements réalisés par Cédric Chouviat lors de son interpellation avaient permis aux enquêteurs de faire la lumière sur les circonstances de son décès. Plaqué au sol, et alors qu’il s’asphyxiait sous le poids des policiers, il les avait alertés à plus de sept reprises en leur criant : « J’étouffe ! »

Contrairement à l’analyse du ministre de l’intérieur, les premiers éléments de l’enquête accablent les policiers.  

Après avoir interpellé Cédric Chouviat en lui faisant une première clé d’étranglement, les policiers l’ont plaqué au sol, sur le ventre, encore casqué, et l’ont menotté. Ainsi que le relate l’IGPN, en charge des investigations, alors que trois des quatre policiers ont poursuivi leur pression sur son dos, l’un d’entre eux « semblait lui pratiquer un étranglement arrière à l’occasion duquel il avait, au moins une fois, exercé une traction sur sa gorge […] conduisant à une compromission momentanée de l’axe tête-cou-tronc ». 

Cédric Chouviat, « allongé sur le ventre, évoqu[e] très rapidement sa détresse respiratoire » et répète à plusieurs reprises « J’étouffe ». Lors de leurs auditions, les quatre policiers prétendent n’avoir pas entendu le livreur. 

Des expertises sonores sont en cours. Mais plusieurs éléments, relevés par l’IGPN, démontrent déjà l’incohérence de leurs allégations. En effet, lorsque Cédric Chouviat appelle à l’aide, l’un des policiers lance alors à son collègue : « C’est bon, c’est bon, lâche ». Et, s’adressant au livreur : « Monsieur »

Pour autant, aucun des trois policiers ne lâche. Au contraire, à trois sur le livreur, ils continuent à exercer des pressions sur son dos. La suite de l’enquête est tout aussi accablante. L’IGPN s’interroge sur le temps très long mis par les agents pour pratiquer le massage cardiaque. Près de trois minutes. 

Tous ces éléments, les quatre policiers ont pris soin de les dissimuler. À l’issue de cette interpellation, ils se sont réunis dans le bureau du commissaire adjoint du VIIe arrondissement dont ils dépendent, pour un débriefing d’une quinzaine de minutes. À la sortie, l’un d’entre eux, en l’occurrence la policière, rédige un compte rendu d’intervention en prenant soin de maquiller les faits. Selon leur récit, ils auraient essuyé de nombreuses insultes de la part de Cédric Chouviat, qu’ils ont décidé d’interpeller.

Il aurait alors résisté, « se débattant », alors qu’il était au sol et continuait à les insulter. Cette version mensongère ne mentionne pas les appels à l’aide du père de famille, ni la durée d’intervention, notablement longue, pour le secourir. Nulle trace non plus des propos outrageants d’un des policiers qui lui lance : « Vous croyez que je vais me mettre à quatre pattes et que je vais vous sucer la bite aussi ? »

Ces pratiques policières infamantes ne semblent donc pas heurter le ministre de l’intérieur, qui ajoute que « ces fonctionnaires n’ont jamais dans leur carrière été impliqués dans des faits de violence illégitime ». Ce qui est faux. Le principal policier mis en cause dans le décès de Cédric Chouviat, Michaël P., a fait l’objet d’un signalement auprès de l’IGPN conduisant à une enquête judiciaire pour violences, en avril 2018.  

La famille de Cédric Chouviat a tenu à répondre, le 29 juillet, à ce nouvel affront du ministre de l’intérieur. Via ses avocats, Arié Alimi, Vincent Brengarth et William Bourdon, elle constate « une culture du déni » que cultivent les autorités à l’égard des « victimes de violences policières »

Cette fin de non-recevoir ne peut « s’analyser autrement que comme la négation de la réalité de cette affaire et des aspirations de la famille. Elle résonne comme un cruel dédain à l’égard de ceux ayant perdu un père, un mari, un fils, un frère… Une suspension ne ramènera pas M. Cédric Chouviat mais, à l’inverse, son absence rend son décès encore plus inexplicable et intolérable ».

La famille dénonce une « volonté de protection des policiers en cause », une « façon de les absoudre en niant jusqu’à l’existence des fautes commises ». « Une suspension peut avoir pour but de protéger le service des comportements d’un agent, si ce n’est éviter le scandale causé par sa présence », rappelle-t-elle. « Que faut-il de plus que le décès d’un homme ? » 

Pour les avocats de la famille, Vincent Brengarth et William Bourdon, contactés par Mediapart, « le principe de précaution devrait conduire à la suspension des policiers sauf à vouloir banaliser le décès d’un citoyen dans de pareilles circonstances, en l’occurrence un contrôle routier. C’est intolérable ».

Selon eux, « il ne peut y avoir l’absence de faute, ainsi que le déclare le ministre, qui refuse de reconnaître à la fois la responsabilité de l’État et celle des fonctionnaires ».

« La persistance de l’administration à ne pas suspendre les fonctionnaires en cause trahit une politique d’impunité qui est totalement incompréhensible pour la famille, en plus d’envoyer un très mauvais signal à l’endroit de tous ceux qui attendent une police exemplaire », concluent-ils.

Pour sa part, l’avocat Arié Alimi constate que « le ministre de l’intérieur, comme à son habitude, feint de ne pas reconnaître la gravité des faits. Cette attitude conduit fréquemment à des réitérations de violence. C’est justement ce qui caractérise les violences policières systémiques ».

Contacté par Mediapart, le père de Cédric Chouviat, Christian, se réjouit de l’interdiction de la clé d’étranglement mais ne souhaite pas que « cette mesure dédouane les policiers qui l’ont pratiquée ni l’État qui l’a autorisée. Nous demandons à ce que soit également interdit le plaquage ventral »

Interrogé sur le refus de Gérard Darmanin de suspendre les policiers, il qualifie sa position de « scandaleuse. Darmanin n’est pas digne de sa fonction. Castaner avait demandé à ce que les policiers soient suspendus s’il y avait de nouveaux éléments. Or il y en a. Donc le ministère de l’intérieur n’a pas tenu sa promesse. Mais nous faisons confiance à la justice ».

Médiapart

 

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