mercredi 7 juillet 2021

CES MINISTRES LOIN D'ÊTRE AU-DESSUS DE TOUT SOUPCON...

Le ministre Éric Dupond-Moretti a omis de déclarer plus de 300 000 euros de revenus

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Les vérifications de la situation fiscale de chaque ministre ont abouti à une découverte de taille : le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, a omis de déclarer plus de 300 000 euros de revenus, liés à ses droits d’auteur, selon des informations de Mediapart.

 

C’est une ombre de plus sur le parcours d’Éric Dupond-Moretti, ministre star du gouvernement de Jean Castex. Déjà fragilisé par l’enquête conduite par la Cour de justice de la République (CJR) sur ses conflits d’intérêts – il est convoqué par les juges le 16 juillet –, le garde des Sceaux a oublié de déclarer au fisc et à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) plus de 300 000 euros de revenus tirés de ses droits d’auteur, selon des informations Mediapart. 

Cette omission substantielle est apparue au moment de la vérification de la situation fiscale de chaque ministre, procédure conduite par les agents de la Direction générale des Finances publiques (DGFIP), sous l’autorité de la HATVP, comme le prévoient les lois du 11 octobre 2013 sur la transparence de la vie publique, votées en réaction à l’affaire Cahuzac.

Avant cette réforme, ces vérifications étaient effectuées, mais de manière plus ou moins officieuse à la demande du ministre chargé du budget. Désormais, le contrôle s’effectue en suivant une procédure écrite et contradictoire, sous la supervision de la HATVP. Cet examen peut souvent prendre plusieurs mois.

Éric Dupond-Moretti lors de la séance des questions au gouvernement à l'Assemblée Nationale, le 4 mai 2021. © Photo Antonin Burat / Hans Lucas via AFP  
Éric Dupond-Moretti lors de la séance des questions au gouvernement à l'Assemblée Nationale, le 4 mai 2021. © Photo Antonin Burat / Hans Lucas via AFP

Selon nos informations, les découvertes de la DGFIP ont donné des sueurs froides à Bercy, mais également au sein de la présidence de la République, Emmanuel Macron ayant été personnellement avisé de la situation en pleine campagne des régionales. Éric Dupond-Moretti était alors le chef de file du parti présidentiel, La République en marche (LREM), dans le département du Pas-de-​Calais. 

L’Élysée n’a pas souhaité faire de commentaire. 

Sollicité par Mediapart mercredi 7 juillet au matin (voir la Boîte noire de cet article), le cabinet d’Éric Dupond-Moretti n’a pas donné suite, mais a d’abord livré sa version des faits au quotidien L’Opinion, évoquant une « erreur de son comptable » d’un montant de 180 000 euros, « qui a été rectifiée dès qu’elle a été connue ». 

Les 180 000 euros en question correspondent en réalité au montant de l’impôt dû par le ministre et non pas aux revenus non déclarés (plus de 300 000 euros), selon la réponse du ministère envoyée in fine à Mediapart. D'après le cabinet du garde des Sceaux, le conseil d’Éric Dupond-Moretti a « découvert que le précédent comptable n’avait pas déclaré à l’impôt sur le revenu des avances sur revenus perçus en 2018 et 2019 lorsqu’il était au théâtre alors même qu’elles avaient été déclarées aux URSAAF et assujetties à la TVA ».

« Éric Dupond-Moretti a demandé à son conseil que ces revenus soient spontanément déclarés en déposant début mai des déclarations rectificatives pour les années concernées se traduisant par une imposition complémentaire de l’ordre de 180 000 euros pour un montant total d’impôts déjà payés de plus de 460 000 euros. La déclaration de patrimoine d’Éric Dupond-Moretti déposée en octobre dernier est exacte car les sommes en question avaient bien été versées sur un compte déclaré à l’administration fiscale ; sa déclaration d’intérêts est en train d’être mise à jour. À l’issue du contrôle fiscal, [ladministration fiscale] a reconnu la bonne foi d’Éric Dupond-Moretti et lui a accordé le bénéfice du droit à l’erreur ; sa situation fiscale est désormais totalement en règle », a encore précisé le ministère.

Avocat de profession, Éric Dupond-Moretti connaît bien les rouages de la HATVP, et les exigences liées aux déclarations des ministres.

En 2015, encore avocat, c’est lui qui avait défendu l’ancienne ministre socialiste déléguée à la francophonie, Yamina Benguigui (2012-2014), dans le premier procès d’un responsable politique épinglé par la Haute Autorité.

Yamina Benguigui contestait avoir sciemment dissimulé, à trois reprises dans sa déclaration de patrimoine, les parts qu’elle possédait dans une société belge, d’une valeur de 430 000 euros.

« On est là dans la négligence. Il n’y a pas d’élément intentionnel, de dissimulation. Le fisc a été informé de tout ! », avait contesté Me Dupond-Moretti à l’audience, en dénonçant « une justice de classe à rebours » et « une forme de poujadisme ».

L’avocat s’en était également violemment pris aux avancées permises par les lois de transparence. « La première affaire de la HATVP est un fiasco, ajoutait-il alors. Si judiciairement vous consacrez une erreur matérielle comme une infraction, c’est extrêmement inquiétant pour la démocratie. » Et d’ironiser : « On est tellement dans le vague qu’il y en a un qui a déclaré son camping-car [l’ancien premier ministre Jean-Marc Ayrault] et l’autre [l’ex-eurodéputée Eva Joly] son canoë-kayak. Vert, le kayak. Si le tribunal est saisi à chaque fois que la bonne case n’est pas cochée… » 

Me Dupond-Moretti en déduisait que sa cliente s’était « fait cahuzaquer » sans raison, parce qu’« on n’avait rien à se mettre sous la dent ».

Yamina Benguigui a finalement été condamnée pour ses omissions en première instance (dispense de peine), condamnation alourdie en appel (un an d’inéligibilité, deux mois de prison avec sursis et 5 000 euros d’amende) en 2016.

Emmanuel Macron, lui-même, avait connu en 2016 une réévaluation de son patrimoine avec son épouse, sans que cela n’entraîne de conséquence pénale pour le couple. À l’issue de plus d’un an et demi de discussions avec le fisc, ayant porté en particulier sur la valeur de la demeure de son épouse au Touquet, Emmanuel Macron avait finalement admis qu’il devait payer l’ISF (auquel il n’était pas soumis jusque-là) et déposé une déclaration rectificative pour les années 2013 et 2014, comme l’avait raconté Mediapart.

Deux ans plus tard, la ministre des sports Laura Flessel quittait, en septembre 2018, le gouvernement par la petite porte, en invoquant des « raisons personnelles ». En réalité, comme l’avait révélé Mediapart à l’époque, ce départ précipité avait été provoqué par la procédure d’examen fiscal qui avait poussé le fisc, quelques semaines plus tôt, à saisir la commission des infractions fiscales, la CIF, dans l’optique d’une plainte pénale pour fraude fiscale.

Le gouvernement d’Édouard Philippe avait alors fait le choix de ne pas ébruiter cette information, Laura Flessel quittant finalement le gouvernement dans la foulée du départ fracassant du ministre de la transition écologique Nicolas Hulot.

En novembre 2020, toujours dans le cadre de l’examen de la situation des membres du gouvernement, la HATVP a saisi la justice du dossier du ministre délégué aux PME Alain Griset, pour des soupçons d’« omission substantielle » d’une partie de son patrimoine et d’« abus de confiance ».

Le ministre n’a en effet pas déclaré des participations financières détenues dans un plan d’épargne en actions ainsi que le compte espèces associé, pour un montant total de 171 000 euros, afin « d’empêcher la révélation de faits susceptibles de recevoir la qualification pénale d’abus de confiance », selon la Haute Autorité.

Après avoir plaidé une simple « maladresse », Alain Griset a été maintenu en fonction, malgré l’ouverture de deux enquêtes pénales.

Au-delà de sa situation fiscale, les temps sont décidément durs pour le ministre de la justice. Sur le front judiciaire cette fois, le garde des Sceaux est en effet englué dans une affaire qui lui vaudra d’être interrogé en fin de semaine prochaine par la Cour de justice de la République (CJR). Le ministre est soupçonné du délit présumé de prise illégale d’intérêts, dont il se défend depuis les premières révélations de Mediapart en septembre dernier.

Dans ce dossier, Éric Dupond-Moretti est suspecté d’avoir utilisé les pouvoirs disciplinaires conférés au ministre de la justice pour régler ses comptes avec plusieurs magistrats anticorruption avec lesquels il a eu des démêlés par le passé à titre personnel ou pour le compte de clients dont il défendait les intérêts en tant qu’avocat.

Cela concerne d’une part des magistrats du Parquet national financier (PNF), pilier de la lutte contre la délinquance en col blanc qu’il voue aux gémonies et qu’il a tenté d'affaiblir à la veille du procès Bismuth-Sarkozy, au cours duquel a comparu (et a été condamné) l’un de ses meilleurs amis, l’avocat Me Thierry Herzog. Ce dernier a fait appel du jugement.

Les soupçons à l’égard du ministre portent également sur la demande d’enquête disciplinaire qu’il a déposée contre une figure de la justice anticorruption à Monaco, le juge Édouard Levrault. Avocat, Éric Dupond-Moretti avait croisé le fer avec le magistrat dans un dossier politico-financier explosif pour la principauté.

Les enquêteurs de la CJR ont mené des perquisitions, le 1er juillet, au ministère de la justice dans le cadre de cette affaire, devenue de plus en plus brûlante pour le gouvernement.

Médiapart

 

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