jeudi 10 décembre 2020

LE CAS DE CLAIRE, "EXEMPLE PARFAIT DE LA REPRESSION CONTRE LES MANIFESTANTS".

Claire, manifestante syndicale, interpellée et privée de liberté durant quatre jours

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Néomilitante du collectif de chômeurs affilié à la CGT, Claire a été violemment interpellée à l’issue de la manifestation du 5 décembre à Paris. Trois nuits en détention pour « rébellion » et « attroupement après sommation », ce qu’elle conteste. Un exemple tristement banal de la répression du mouvement social.

 

 

Le 5 décembre, c’était sa première grande manifestation avec sa chasuble blanche au logo rouge de la CGT. Claire, 29 ans, au chômage depuis juillet 2020, a rejoint les rangs du collectif syndical dédié aux chômeurs quelques semaines après. Une nouvelle vie de militante contre les inégalités et pour venir en aide aux plus précaires. Elle en parlait à Mediapart avec le sourire, heureuse de vivre ce moment important pour son collectif.

 

Claire, nouvelle militante à la CGT Chômeurs. © MJ Claire, nouvelle militante à la CGT Chômeurs. © MJ
 

Quatre jours plus tard, le 9 décembre, elle s’exprime toujours d’une voix calme. Pourtant elle vient de passer 48 heures en garde à vue au commissariat du XIIe arrondissement, soit tout le week-end, a dormi ensuite une nuit au dépôt du tribunal judiciaire de Paris avant son déferrement en comparution immédiate pour « rébellion » et « attroupement après sommation », délit pénal passible de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amendes. Elle est sortie libre de l’audience mardi en toute fin de journée. Son procès a été renvoyé au 5 janvier, à la demande de son avocate, soucieuse de pouvoir préparer l'audience.

Claire refait le fil de cette folle séquence, sans toujours bien comprendre ce qui lui est arrivé. Samedi, fin de manifestation sur la place de la République. Malgré les heurts entre une minorité de manifestants et les forces de l’ordre qui ont stoppé le gros du défilé, quelques centaines de personnes ont néanmoins continué le parcours jusqu’au terme prévu.

La néomilitante en fait partie, qui se retrouve sur la place vers 18 heures alors que quelques échauffourées subsistent et que le lieu, clos par des grilles positionnées par la préfecture de police, est en train de se vider. « Je suis arrivée, je n’ai pas pensé une seconde qu’il y avait une évacuation en cours », témoigne-t-elle à Mediapart.

Pourtant, soudainement, une charge de l’unité motorisée Brav-M la heurte violemment. « Ils me font tomber à terre, on m’attrape par les jambes, et je suis traînée sur une quinzaine de mètres. Je reçois des coups. Je suis comme dans le tambour d’une machine à laver. »

Une vidéo que Mediapart a pu visionner montre deux fonctionnaires, puis un troisième, la faire d’abord chuter en tentant de l’interpeller, puis la traîner en la saisissant par les pieds.

Elle assure qu’elle n’était pas sur un lieu où des affrontements étaient en cours, même si l’atmosphère était confuse et saturée de gaz lacrymogène. « J’avais juste enlevé ma chasuble CGT, je m’apprêtais à rentrer chez moi », dit-elle. Elle se retrouve pourtant arrêtée, et entraînée derrière les grilles hérissées pour la circonstance. On l’assoit, menottée et vêtements mouillés, sur le trottoir.

« Quelques minutes plus tard, un policier m’enlève les menottes, je prends mon téléphone pour prévenir que je suis arrêtée. Plusieurs agents me tombe alors dessus pour s’en saisir, je ne pense qu’à le verrouiller. Ils me mettent au sol. J’ai encore très mal au bras aujourd’hui. »

Une autre vidéo visionnée par Mediapart montre la séquence tout du long. Claire est assise, sans menottes et semble faire le code de son téléphone. Un policier, qui se tient derrière elle, tente de le lui arracher, elle essaie de le ranger dans sa poche. Puis trois autres membres des forces de l’ordre se joignent au premier pour l’immobiliser à terre et lui attacher à nouveau les mains. Claire crie à six reprises pendant qu’elle est sur le sol. Elle est finalement emmenée au commissariat du XIIe d’où elle réussit à joindre son syndicat qui lui envoie une avocate.

 

L'un des hématomes de Claire à l'issue de son interpellation le 5 décembre. © Mediapart L'un des hématomes de Claire à l'issue de son interpellation le 5 décembre. © Mediapart
 

Claire demande à voir un médecin. Elle ressent des douleurs à la suite de son arrestation. Un hématome d’une quinzaine de centimètres sera constaté sur la fesse droite, un autre de 20 cm sur le bras droit. Elle reverra une nouvelle fois un médecin au terme de sa garde à vue, qui lui prescrira à nouveau un antidouleur. Le premier lui avait glissé : « En même temps, fallait pas chercher… »

On lui signifie les accusations, qu’elle ne comprend pas. « Quand j’ai été arrêtée, j’ai été traînée, j’ai subi, comment pouvais-je me rebeller ? » Claire découvre l’odeur d’urine dans la cellule pour la première fois de sa vie. Elle doit récupérer son fils de trois ans le dimanche soir, a peur de ne pouvoir le prévenir. Supplie de pouvoir appeler, ce que fera finalement un fonctionnaire pour son compte. « J’étais en panique », explique-t-elle.

On lui indique enfin qu’une plainte d’un policier a été déposée pour des coups de pied, ce qui lui vaut le prolongement de sa garde à vue de 24 heures. « Je n’ai pas pu provoquer deux jours d’ITT à un policier, qui plus est protégé, avec mes petites baskets », se défend-elle, encore effarée par l’accusation.

Elle est finalement transférée au tribunal judiciaire de Paris pour y passer la nuit en vue de son audience en comparution immédiate le lendemain. C’est là qu’elle apprend le détail de la version du policier qui l’accuse de coups de pied, doublée d’un témoignage d’un collègue. « C’est pas très sympa, parce que c’est faux », répond-elle un brin candide.

À l’appui de cette accusation, la police dit détenir une vidéo mais ne fournit que deux captures d’écran imprimées, sans contexte. Son avocate, Lucie Simon, confirme que la vidéo n’a pas été versée au dossier. « À chaque fois, on nous fait le coup des captures d’écran, sélectionnées par les policiers, auxquelles on peut faire dire tout et son contraire. Ces pratiques sont hautement critiquables… » La présidente du tribunal a d'ailleurs elle-même expliqué qu'elle aurait besoin de la vidéo pour se prononcer, les deux images imprimées ne le permettant pas.

La procureure demande néanmoins un contrôle judiciaire et une interdiction de manifester en attendant une future audience. Ce que le tribunal ne retient pas. Claire peut rentrer chez elle.

Le cas de Claire est à la fois exceptionnel et tristement banal. « Son cas est l’exemple parfait de la répression contre les manifestants », soutient Pierre Garnodier, secrétaire général du comité national des travailleurs privés d’emploi et précaires. Il réfléchit, en lien avec la confédération CGT, d’accompagner la militante vers une action judiciaire à la suite de son arrestation.

Pour Lucie Simon, cette histoire éclaire une nouvelle fois l’aspect politique de la doctrine de maintien de l’ordre et de la chaîne judiciaire. Elle argumente : un arrêt de la Cour de cassation de mars 2017 indique que le délit d’attroupement est un délit politique et qu’il ne peut donc être jugé en comparution immédiate. Or, c’est bien le cas pour Claire, devenue à son corps défendant victime de cette lente dérive.

En outre, la rébellion est brandie comme l’alpha et l’oméga de la violence des manifestants « alors qu’elle n’existe que parce que l’interpellation est violente », souligne Lucie Simon. « Il y a beaucoup de zèle de la part du Parquet comme des enquêteurs pour construire la figure du manifestant violent, ce qui permet par là-même de justifier la violence des policiers. »

Une analyse que partage Céline Verzeletti, secrétaire confédérale de la CGT, qui était présente à un rassemblement devant le tribunal en attendant la remise en liberté de Claire : « En multipliant les délits, on multiplie les possibilités d’interpeller les militants pendant les manifestations, des interpellations qui se passent souvent mal. »

Claire en a fait les frais. Au chômage depuis à peine six mois, elle continue de chercher du travail. Et assure que cette expérience renforce sa soif d’utilité syndicale.

Médiapart

 

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