«Pour limiter la circulation du virus, il faut améliorer les conditions de vie des précaires»
Médecins sans frontières a étudié la séroprévalence de personnes en grande précarité fréquentant quatorze sites d’Île-de-France où intervient l’ONG. Dans deux foyers, les plus surpeuplés, près de neuf résidents sur dix se sont révélés positifs au coronavirus.
Plus d’une personne en grande précarité sur deux, pour l’essentiel des migrants, a été contaminée par le Covid-19 en région parisienne selon une étude publiée mardi par Médecins sans frontières (MSF), menée fin juin avec Epicentre, la cellule d’épidémiologie de terrain qu’héberge l’ONG.
Avec un taux de positivité de 55 % dans les centres d’hébergement, les distributions alimentaires ou les foyers de travailleurs où MSF a conduit des tests, il s’agit de « prévalences particulièrement élevées, surtout dans les foyers et les centres d’hébergement », souligne le rapport.
En France, le taux de positivité de la population générale oscille plutôt entre 5 et 10 %. Selon Santé publique France, il était à 8 % en fin de semaine dernière, et autour de 12 % sur Paris, là où se trouvent les principaux sites couverts par MSF.
Entretien avec l’un des auteurs de l’étude, Thomas Roederer, épidémiologiste chez Epicentre.
Avant de réaliser cette étude, les équipes de MSF ont-elles constaté la présence du virus parmi les populations précaires ?
Quelle méthodologie avez-vous choisie ?
Nous avons retenu quatorze sites en Île-de-France, sur les soixante-quatorze sites où intervient MSF. Il y a deux foyers de travailleurs, dix centres d’hébergement, et deux centres de distribution alimentaire. Au bout du compte, 818 personnes ont accepté de se soumettre à un test de séroprévalence.
Au départ, nous avions envisagé de les interroger seulement sur leurs symptômes. Puis l’Institut Pasteur nous a conseillé d’utiliser les tests de séroprévalence LuLisa, les mêmes que ceux utilisés dans leurs études de séroprévalence conduites dans plusieurs écoles et collèges de l’Oise (lire dans notre article ici). Ce sont des tests fiables, récemment adoptés par Santé publique France pour suivre la prévalence du virus.
Nous avons également interrogé les personnes testées sur leurs conditions de vie, en particulier le niveau de promiscuité dans leur logement. L’étude a été réalisée entre le 23 juin et le 2 juillet. Les tests de séroprévalence, qui détectent les anticorps développés au contact du virus, ne disent hélas rien de la date de l’infection. Mais on estime que l’étude couvre la période du printemps, au pic de l’épidémie en Île-de-France.
Votre étude démontre un lien frappant entre la promiscuité dans les lieux de vie et l’exposition au virus.
En effet, dans les deux foyers de travailleurs testés, 88,7 % des résidents se sont révélés positifs au coronavirus. C’est un chiffre très important, qui a même surpris l’Institut Pasteur. Cela s’explique par les conditions de vie dans ces foyers, dans des chambres surpeuplées, avec une seule douche par étage, un réfectoire où se regroupent 100 à 150 personnes.
Ce résultat montre que le virus peut toucher la quasi-totalité d’une population dans des lieux surpeuplés, comme sur le porte-avions Charles-de-Gaulle, où près de 70 % des marins ont contracté le virus. Les résidents de ces foyers sont surtout des hommes, souvent des travailleurs pauvres : des livreurs, des brancardiers, des agents de sécurité, autant de métiers qui se sont révélés très utiles pendant le confinement.
Dans les centres d’hébergement d’urgence, la moitié des résidents se sont révélés positifs, avec d’importantes variables selon les centres. La promiscuité dans les chambres est là aussi un facteur important de diffusion du virus. Dans ces centres vivent beaucoup de jeunes hommes qui sont souvent passés par les campements d’Aubervilliers, de Saint-Denis, voire des centres de rétention.
Dans les deux sites de distribution de nourriture, 27,8 % des tests sont positifs. Le profil de ces personnes est différent : ce sont des personnes à la rue, mais aussi des étudiants, des familles monoparentales, des retraités.
Vous avez également interrogé ces personnes sur leurs symptômes.
Oui, et seul un tiers des personnes interrogées ont déclaré ressentir des symptômes : perte du goût et de l’odorat, fièvre, toux, fatigue, etc. On se demander si ces chiffres ne sont pas sous-estimés : ces personnes ne veulent pas avoir de problèmes avec les autorités. Et elles ont pu craindre d’être rejetées par leur communauté. Parmi ceux qui disent avoir ressenti des symptômes, les deux tiers avaient un test positif au SARS-CoV-2. Et parmi les positifs, la moitié n’avait aucun symptôme. Ces résultats corroborent les remontées de Santé publique France au niveau national.
Le virus a-t-il eu des conséquences sérieuses pour ces personnes ?
Neuf personnes avec des tests positifs ont déclaré avoir été hospitalisées, ce qui représente moins de 1 % de l’échantillon. Je rappelle que c’est une population jeune, l’âge moyen est de 39 ans. Au-delà de cette étude, nous attendons des autorités des chiffres sur les hospitalisations ou les décès parmi les populations précaires. Nous n’arrivons pas à les avoir, pourtant, l’agence régionale de santé d’Île-de-France pourrait nous les fournir. Nous espérons que cette publication va provoquer une discussion avec les autorités.
Le principal enseignement concerne bien sûr les conditions d’hébergement des personnes précaires : il faut les améliorer, en luttant contre la promiscuité, pour limiter la circulation du virus.
Pouvez-vous nous rappeler la politique de l’État à l’égard des personnes à la rue pendant le confinement ?
C’était une politique de « mise à l’abri », contrainte et forcée, que nous avons essayé de combattre, une fois encore. C’était surtout une politique de mise à l’abri de la société vis-à-vis de ces personnes, considérées comme dangereuses. Elles ont été évacuées des campements, souvent sans ménagement et sans masques, elles ont été massées dans des gymnases, des hangars, dans des conditions indignes, si les associations n’étaient pas intervenues.
Au bout d’un mois, l’agence régionale de santé d’Île-de-France s’est rendu compte que ce n’était pas une bonne idée, et a réquisitionné des hôtels dans toute l’Île-de-France. J’espère que la leçon sera retenue pour l’hiver. Car parmi ceux ayant transité dans ces gymnases, 75 % se sont révélés séropositifs.
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