Cette interview a été publiée dans Libération le dimanche 18 octobre 2020 – Propos recueillis par Charlotte Belaïch
La France insoumise a très vite appelé à un grand rassemblement en hommage à la victime, en soutien à sa famille et à la communauté éducative mais aussi en démonstration de notre unité. Vous craignez que cet attentat renforce l’idée d’un choc des civilisations ?
On sait que parmi les objectifs des terroristes islamistes, il y a celui de nous diviser. Il fallait donc rendre hommage à Samuel Paty et à l’ensemble des enseignants mais aussi faire passer un message d’indéfectible unité et de fermeté.
Au lendemain de l’attaque, certains, à droite mais aussi à gauche, dénoncent l’«hypocrisie» de Jean-Luc Mélenchon et des insoumis qui entretiendraient une forme d’ambiguïté sur le communautarisme. Avez-vous eu une forme de complaisance ?
Il est insupportable que dans un moment qui exige l’unité face à l’adversaire, des responsables politiques comme Manuel Valls ou Xavier Bertrand accomplissent leurs basses besognes politiciennes. Une bonne fois pour toutes : Jean-Luc Mélenchon n’est ni islamiste, ni gauchiste ! Que lui vaut donc le qualificatif «d’islamo-gauchisme» ? Nous avons la République au cœur, sans la géométrie variable et les petits arrangements de ceux qui nous insultent ! Quand Madame Mireille Knoll a été victime d’un assassinat antisémite, la France insoumise a participé à une marche autour de sa famille. C’était une nécessité républicaine. Nous y avons été la cible d’un groupuscule violent, sans qu’aucun élu ne réagisse. Fallait-il ne pas y être ? Non. Quand une mosquée comme à Bayonne est la cible d’un attentat sur le sol français, c’est aussi un acte antipatriotique ! Faute d’initiative gouvernementale pour riposter à cet acte de haine raciste, La France Insoumise a participé à une marche à laquelle appelaient notamment la CGT et la FSU. Les participants y ont chanté La Marseillaise, acclamé la laïcité et le besoin de protection. D’aucuns ont préféré zoomer sur la petite poignée de participants qui avaient d’autres mots d’ordre que les raisons d’être de cette marche. Fallait-il la déserter pour autant ? Non. Nous sommes clairs et sûrs de nos principes républicains. Ceux qui nous attaquent, beaucoup moins.
Mais la gauche a-t-elle manqué de fermeté ?
Sur la laïcité ? C’est clair. Par exemple quand Manuel Valls, ministre en fonction assiste à la béatification d’une cathédrale (A) ou que François Hollande déclare que «la République reconnaît tous les cultes» alors que la loi de 1905 dit précisément l’inverse.
Vos adversaires vous répondraient que c’est avec l’islamisme qu’il y a un problème aujourd’hui…
Avec l’islamisme qui est une idéologie politique, oui. Mais pas avec l’Islam et les musulmans. Dans un moment comme celui que nous vivons, des millions de nos concitoyens de confession musulmane sont meurtris de voir qu’on commet des meurtres au nom de Dieu. Oui à la lutte déterminée contre l’islamisme radical. Non à la suspicion généralisée envers les croyants.
Jean-Luc Mélenchon a demandé «des actes» mais vous dites aussi que l’attirail législatif actuel est suffisant. Qu’attendez-vous ?
Ce que révèlent les premiers éléments dont nous disposons, c’est que nous manquons cruellement de moyens pour appliquer les lois existantes. Comment se fait-il que ce professeur ait pu être menacé pendant plus d’une semaine sur les réseaux sociaux sans que rien ne se passe ? Il serait utile de donner à la police des moyens d’investigation supplémentaires et de développer les techniques de renseignements efficaces comme l’infiltration. Que l’on coure après les vrais dangereux plutôt qu’après les boulettes de shit.
Le projet de loi sur les “séparatismes” n’est donc pas nécessaire ?
Il y aura des dispositions de cette loi que nous soutiendrons. Je pense par exemple aux questions relatives aux financements étrangers ou aux écoles hors contrat. Surtout, vous pourrez compter sur La France Insoumise pour faire des propositions renforçant la laïcité comme vous n’en avez pas idée. Et alors, vous irez demander des comptes à ceux d’en face qui nous reprochent un manque de clarté. Par exemple, qui sera d’accord avec le fait que la loi de 1905 doit s’appliquer sur tout le territoire et qu’il faut donc abroger le concordat d’Alsace-Moselle ? (B)
Vous utilisez le mot «obscurantisme», pas celui de séparatisme. Vous pose-t-il problème ? (C)
On devrait le mettre au pluriel. Plusieurs séparatismes menacent la République et sa promesse de liberté, d’égalité et de fraternité. C’est le cas du séparatisme des très riches que la politique de Macron encourage pendant que la pauvreté atteint des records dans le pays. La République n’est pas un régime neutre. La devise est un projet politique inachevé. Quand les services publics ferment, quand les associations disparaissent, quand les discriminations ne sont pas combattues, la République recule et d’autres peuvent avancer. Parce que comprendre ne veut pas dire excuser, pour lutter contre le terrorisme, nous devons aussi comprendre pourquoi ce sont parfois des enfants de la République qui cèdent aux sirènes des fanatiques et y remédier.
(A) ... ou que les plus hauts représentants de l'Etat se rendent, ou dans une synagogue (attentats de janvier 2015), ou dans une cathédrale (obsèques du président Chirac), ou, pour de plus modestes élus, ceignent l'écharpe tricolore pour assister à une procession de la vierge : oui, il y a "manque de fermeté sur la laïcité" !
(B) Vous, nos lecteurs, savez que nous ne cessons, à longueur de commentaires, de dénoncer cette infraction aux principes d'unité et d'indivisibilité de la République française. Alors, redisons-le encore : il faudra bien, très rapidement, entreprendre la démarche adéquate auprès de l'Etat du Vatican pour abroger cette anomalie concordataire et que les départements alsaciens et de Moselle réintègrent à part entière le giron français. Ce jour-là, "la France, fille aînée de l'Eglise", cela n'aura plus qu'un sens historique ; les oripeaux de Chanoine de Latran, d'un président volontaire pour les porter, devront être restitués à l'évêque de Rome ; et surtout, plus essentiel, dans ces trois départements aujourd'hui encore soumis à un statut inacceptable issu de la... première guerre mondiale, notamment le droit au blasphème sera enfin autorisé, comme dans tous les autres territoires.
(C) Observation faite que les séparatismes n'excluent aucunement, hélas, l'obscurantisme...
J.P. C.
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