Sur You Tube, les monologues écolos de Macron
En trois mois, Emmanuel Macron a publié sur YouTube quatre vidéos, où il défend sa politique environnementale. Un moyen d’atteindre les jeunes, alors que l’opinion publique lui est défavorable.
De la main gauche, Emmanuel Macron allume la caméra. Décontracté, en chemise-cravate, il se redresse sur sa chaise et fixe l’objectif en souriant. « Il y a quelques jours, je vous ai proposé de me poser des questions sur l’écologie. Je vais essayer de répondre à tout, et je vais commencer aujourd’hui », annonce-t-il.
Depuis le mois de novembre, Emmanuel Macron multiplie ce type de vidéos — déjà quatre au compteur — publiées sur la plateforme YouTube. Il y répond aux interrogations des internautes sur l’écologie. Sur un ton qui se veut détendu, il détaille les termes de l’Accord de Paris, les moyens de développer la voiture électrique en France ou de lutter contre le gaspillage alimentaire. Le tout, dans un montage rythmé, aux coupes et aux zooms omniprésents. En clair : de la même façon que le ferait un YouTubeur professionnel.
« Emmanuel Macron cherche à s’adresser à un public plus jeune et qu’il pense plus sensible à la cause écologique. Il adapte son discours, en parlant sur des réseaux où il a plus de chances d’être écouté par cette jeune génération », analyse Arnaud Mercier, professeur en sciences de l’information et de la communication à l’université Panthéon-Assas. Ce public ciblé n’est pas un hasard : la cote de popularité de M. Macron flanche, les Français n’acceptant plus les recours aux 49.3 à répétition, ni la proposition de réforme des retraites.
L’idée du chef de l’État n’est pas nouvelle : on l’avait déjà vu essayer des filtres déformants sur son compte Snapchat, répondre à des interviews du vidéaste HugoDécrypte ou encore participer à un concours d’anecdotes avec les influenceurs McFly et Carlito. Mais désormais, Emmanuel Macron ne collabore pas seulement avec un YouTubeur. Il est YouTubeur.
- Le concours d’anecdotes entre Emmanuel Macron et les vidéastes McFly (à droite) et Carlito (au centre) a été visionné plus de 18 millions de fois. Capture d’écran YouTube
« Plaquer les codes de communication politique traditionnelle sur YouTube ou sur TikTok, ça ne marche pas, ça n’intéresse pas les internautes, poursuit Arnaud Mercier. Emmanuel Macron a compris que s’il veut être visible, il a intérêt à se “youtubiser”, c’est-à-dire à adapter sa communication aux exigences de la plateforme. » Ainsi, tous les codes habituels des influenceurs sont repris dans les dernières vidéos du président : le format « foire aux questions », l’utilisation de « mèmes » (images humoristiques détournées de leur contexte original), l’humour, la petite pause pour boire un verre d’eau…
Même la mise en place des caméras n’est pas laissée au hasard. « C’est un cadrage à hauteur d’homme, qui ressemble à s’y méprendre à certains formats de vidéos de Volodymyr Zelensky [le président ukrainien]sur d’autres sujets, précise Alexandre Eyries, enseignant-chercheur HDR en sciences de l’information et de la communication à l’université de Lorraine. Il y a un côté “Je me filme les yeux dans les yeux, je montre que je suis disponible et accessible”. »
« Montrer qu’il n’y a pas d’inaction climatique »
Parler d’écologie n’est également pas le fruit du hasard : mauvais élève en la matière à la fin de son premier mandat, Emmanuel Macron tente de se replacer sur le sujet. D’autant que c’était l’une de ses promesses électorales : « La politique que je mènerai dans les cinq ans à venir sera écologique ou ne sera pas », avait-il lancé en avril 2022, avant sa réélection, lors d’un meeting à Marseille. « Ses nouvelles vidéos sont une façon de dire “Vous voyez, je vous avais annoncé que c’était une de mes priorités, c’est bien le cas, j’ai prévu de faire un point régulier” », estime Arnaud Mercier. « Derrière ces vidéos, il y a l’idée de montrer que le gouvernement est à la manœuvre en matière d’écologie, et qu’il n’y a pas d’inaction climatique, comme le disent certains activistes », abonde Alexandre Eyries.
Une référence aux militants qui rappellent régulièrement la condamnation de l’État pour « inaction climatique », par le tribunal administratif de Paris en 2021, la France ayant trop émis de gaz à effet de serre sur la période 2015-2018. « La condamnation pour inaction climatique, c’est pour la période d’avant, pas pour ma pomme », a justement voulu justifier Emmanuel Macron dans une de ses vidéos. En feignant d’oublier, au passage, que l’État a également été désapprouvé par le Conseil d’État en 2021, en raison de mesures climatiques du gouvernement jugées peu ambitieuses.
- Un internaute pose une question à Emmanuel Macron, accompagnée d’un montage photo sur lequel le chef de l’État porte les nattes de l’activiste Greta Thunberg. Capture d’écran YouTube
À travers sa posture de YouTubeur, Emmanuel Macron veut reprendre les manettes. Alors qu’en 2019, il convoquait de « grands débats nationaux » en tout genre, et montait une Convention citoyenne pour le climat — 150 citoyens tirés au sort pour élaborer des propositions sur la transition écologique —, le voilà désormais, quatre ans plus tard, à défendre sa politique seul devant sa caméra. « Emmanuel Macron s’est rendu compte qu’il était grand temps de changer de méthode, pour ne pas reproduire les frustrations de la Convention citoyenne, indique Arnaud Mercier. En ne reprenant pas les propositions des 150 citoyens, alors qu’il s’y était engagé, il a fabriqué ses propres ennemis. Là, il passe à une méthode où il prend ses engagements tout seul, il n’y a pas de contradiction. »
L’illusion de la contradiction
En choisissant de répondre à des questions formulées de façon désagréable, ou en s’amusant des internautes qui postent des photos détournées de lui — avec les nattes de l’activiste Greta Thunberg ou la perruque de Louis XVI —, le chef de l’État veut donner l’impression qu’il a de l’autodérision et qu’il n’a pas peur du conflit. Or, souligne Arnaud Mercier, ce type de vidéos utilise le principe de « désintermédiation journalistique », soit l’absence de médiation d’un journaliste.
« Emmanuel Macron peut asséner ce qu’il veut dans ses vidéos, il n’y a pas de spécialiste du sujet pouvant dire que c’est faux, dit Arnaud Mercier. Cela permet de ne pas être trop bousculé et de tenir son récit, celui d’une conversion sincère à l’écologie. Même s’il reprend des questions un peu virulentes des internautes, il maîtrise toujours les questions choisies et peut préparer les éléments de langage dans ses réponses. Il apparaît donc comme celui capable d’assumer la critique, et d’y apporter une réponse. »
- En s’amusant des internautes postant des photos détournées de lui (comme avec la perruque de Louis XVI), Emmanuel Macron veut donner l’impression qu’il a de l’autodérision.
« Quand il parle avec tout le monde, y compris avec ceux qui lui manifestent peu de respect, il est symboliquement dans l’idée qu’il est ouvert au dialogue, qu’il est le président de tous les Français, ajoute Alexandre Eyries. Il met en scène la confrontation, sans risques. » Sans médiation journalistique, Emmanuel Macron peut donc enchaîner approximations et contre-vérités sur l’écologie, qui ne sont relevées qu’a posteriori — par exemple par nos confrères de Franceinfo et Blast.
Il peut également prendre la parole pour répondre directement aux polémiques. « Manifestement, il y a une partie de mes vœux où j’ai été mal compris », a-t-il dit dans une vidéo, en référence à la polémique qui avait suivi sa phrase « Qui aurait pu prédire la crise climatique ? », prononcée lors de ses vœux aux Français le 31 décembre. « On a voulu me faire dire que je n’aurais jamais lu aucun rapport du Giec, de l’IPBES [1], de tous les experts, et que je découvrais en l’année 2022 les dérèglements climatiques. J’ai le sentiment qu’il y a eu quand même beaucoup de mauvaise foi », a-t-il poursuivi.
Sans autre présence, Emmanuel Macron incarne seul au gouvernement le sujet de l’écologie. Alors que la Première ministre, Élisabeth Borne est chargée de la planification écologique, c’est Emmanuel Macron qui a dressé le bilan du premier conseil de planification écologique dans sa vidéo du 28 janvier. Le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, n’y est même pas évoqué. « Sa façon d’occuper l’espace se fait au détriment des autres, ajoute Arnaud Mercier. Emmanuel Macron veut se réapproprier ces sujets, il veut être personnellement associé à cette question. » Ce qui laisse présager d’autres vidéos du président-YouTubeur dans les semaines à venir.
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