jeudi 26 janvier 2023

LA TARTUFFERIE DE L'EXTRÊME DROITE !

25 janv. 2023

Retraites : l’hypocrite RN

Après avoir discursivement défendu la retraite à 60 ans pendant de nombreuses années, les héritiers de Jean-Marie Le Pen se sont résignés à intégrer à leur programme l’âge de départ à 62 ans. Malgré une posture en apparence critique vis-à-vis de la réforme engagée par le gouvernement, le Rassemblement National adopte une stratégie ambiguë dans cette lutte sociale.


Ilkor
Etudiant en sciences politiques
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Marine Le Pen et ses proches collaborateurs le 4 juillet 2021 à Perpignan © Raymond Roig / AFP

Le « pragmatisme » du RN

Dans un numéro d’équilibriste expérimenté, le président du Rassemblement National, Jordan Bardella, tente de justifier auprès de France Inter l’abandon de la retraite à 60 ans pour tous par son parti. Tenterait-il ainsi de s’aligner progressivement sur la position défendue par Reconquête !, le parti d’Éric Zemmour, favorable au report à 64 ans ? Une manœuvre périlleuse pour le RN, qui a longtemps fait de l’antilibéralisme l’un des « piliers » de sa communication (voir à ce sujet : Igounet, Valérie. « La conversion sociale du FN, mythe ou réalité ? », Revue Projet, vol. 354, no. 5, 2016, pp. 35-40). « On est très pragmatiques », avance Jordan Bordella au micro de Léa Salamé, « On tient compte de la situation économique du pays, […] c’est imputable à Emmanuel Macron ! ». Cette interview a été donnée le 16 février 2022, des mois avant l’élection présidentielle, des mois avant l’arrivée de près de 90 députés RN à l’Assemblée Nationale. Quelques jours d’après, le programme électoral de Marine Le Pen confirme : l’âge de départ doit rester à 62 ans et à 60 ans pour les personnes ayant commencé à travailler avant 20 ans. Autre proposition, indexer les retraites sur l’inflation. En réalité, les pensions suivent déjà l’évolution des prix, et donc de facto l’inflation. De plus, ce programme reste bien moins ambitieux que celui de La France Insoumise (LFI) ou du Parti Communiste Français (PCF), soutenant dans les deux cas un âge de départ à la retraite de 60 ans. La position du RN avant les élections était donc bien établie mais résultait déjà d’un compromis bancal entre la défense des droits sociaux et la rigueur budgétaire (fut-elle imputable au seul gouvernement d’Emmanuel Macron).

Le parti oscille entre opposition médiatique et collaboration en coulisses

Voilà pour les effets d’annonce. Mais que nous disent les faits ? Désormais première force d’opposition parlementaire, le parti de Marine Le Pen dispose d’un poids médiatique important (durement acquis à grands coups de polémiques et de stratégie de dédiabolisation) et d’un poids politique à l’échelle nationale inédit pour l’extrême-droite. Le parti, fondé par des anciens Waffen SS, est en position de force après avoir annihilé Reconquête ! aux élections législatives. Il n’est donc pas soumis à l’obligation d’alliance avec Zemmour, ouvertement plus libéral économiquement. Que fait le parti de ce boulevard qui lui est ouvert ? Peu après l’annonce de la réforme des retraites, il avance prudemment sur un terrain qu’il sait miné par les mobilisations sociales. Bardella indique ainsi vouloir recourir à un référendum sur la réforme. Le programme de Marine Le Pen affirmait pourtant de manière univoque « refuser tout allongement de l’âge de départ à la retraite ». L’appel au référendum semble constituer la roue de secours du RN. Sommé d’adopter une position claire vis-à-vis de cette réforme, comme Zemmour l’a fait avant lui, il peut se réfugier derrière le « choix de société » : Bardella vante ainsi le référendum comme un procédé qui doit « permettre au peuple […] de pouvoir d’exprimer ». De manière plus pernicieuse, cette proposition peut permettre au RN de paraître auprès de l'opinion publique comme la tête pensante de l’opposition à la réforme, voire de l’opposition tout court. En parallèle, on apprend que les parlementaires du parti xénophobe font économiser une journée de débat sur la réforme au gouvernement en votant avec lui pour maintenir la niche parlementaire des socialistes à l’Assemblée.  Le Rassemblement National se déresponsabilise donc en adoptant une posture ambiguë mais anticipe la forte opposition à la réforme, à laquelle il veut pouvoir se rattacher au besoin. Habile, mais c’est manqué, ou du moins ça pourrait le devenir. Jordan Bardella a annoncé le dépôt d’une mention référendaire lundi 23 janvier, mais le communiste André Chassaigne est parvenu à le doubler en déposant au nom de la NUPES sa propre mention. Or, il ne peut n’y avoir qu’une seule motion de ce type concernant un projet de loi. Pour reprendre le leadership, les partisans de Marine Le Pen tablent sur un hypothétique tirage au sort entre les deux motions. Toutefois, il pourrait bien ne jamais avoir lieu, ce qui relèguerait le RN au second plan médiatique durant toute la séquence de l’opposition à la réforme des retraites, dont on peut espérer qu’elle durera.

 

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