dimanche 29 janvier 2023

ALLEMAGNE : LES APPRENTIS SORCIERS DU CARBONE

 

L’Allemagne va stocker du CO2 sous la mer

 

Reporterre  / 28.1.2023

L’Allemagne est prête à séquestrer son carbone dans le sol, notamment en mer du Nord et à l’étranger. Une technique pourtant controversée : elle consomme beaucoup d’énergie.

« Mieux vaut mettre le CO2 dans le sol que dans l’atmosphère » : par cette petite phrase, prononcée le 5 janvier, le vice-chancelier allemand Robert Habeck a ouvert la voie outre-Rhin à une technologie controversée de lutte contre le réchauffement climatique, le captage et stockage de carbone. Le procédé, baptisé CCS (de l’anglais Carbon Capture and Storage), est destiné à décarboner les usines. Il consiste à piéger les molécules de dioxyde de carbone émises lors de la combustion d’énergies fossiles (gaz naturel, pétrole et charbon) et à les transporter jusqu’à une cavité géologique pour les y stocker de façon durable.

En 2012, l’écologiste Robert Habeck jugeait pourtant lui-même la technologie dangereuse et pointait notamment du doigt le risque de fuites durant le stockage. À l’époque, la mobilisation de la société civile contre les projets CCS avait conduit le gouvernement conservateur et libéral-démocrate d’Angela Merkel à les interdire — à l’exception de la recherche scientifique.

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Désormais à la tête du ministère fédéral de l’Économie et du Climat, Robert Habeck entend revenir sur cette décision. Selon lui, l’Allemagne n’a plus d’autre choix pour atteindre la neutralité climatique, c’est-à-dire passer de 761 millions de tonnes de CO2 en 2022 à zéro en 2045.

« Nous avons perdu tellement de temps que nous devons prendre cette décision clairement. Nous prenons ce qui est disponible », a-t-il argumenté lors d’un déplacement sur le thème en Norvège, pays pionnier en la matière. En complément de la réduction des émissions, l’Allemagne devrait stocker « jusqu’à 73 millions de tonnes de CO2 par an » pour respecter ses engagements climatiques, affirme son ministère dans un rapport publié juste avant Noël. « La technologie est mature et éprouvée », assure le rapport.

Un « prétexte » pour continuer à vendre du gaz naturel

Le gouvernement choisit d’aller à l’encontre de l’avis de l’Office fédéral de l’Environnement, équivalent de l’Ademe en France. Dans une étude publiée en 2020, l’agence publique considère que « les puits naturels de carbone tels que les forêts et la gestion durable du bois » permettent de compenser les émissions « inévitables » de l’industrie et de l’agriculture, « de sorte que le CCS n’est pas nécessaire pour atteindre la neutralité carbone en Allemagne, en l’état actuel des connaissances ». Les experts recommandent toutefois de poursuivre la recherche scientifique « afin de pouvoir l’utiliser si son utilisation s’avérait impérative ».

Pour les militants qui s’opposent au stockage de carbone, la technologie est très gourmande en énergie et ses risques sur le très long terme ne peuvent être mesurés. « C’est un prétexte de la part de l’industrie du gaz pour continuer à vendre et extraire du gaz naturel », affirme Kerstin Meyer de l’association environnementale Bund, qui dénonce du « greenwashing ».

« La mer du Nord ne doit pas devenir une poubelle à CO2 »

« Avant de se concentrer sur les 5 % d’émissions inévitables, on devrait déjà s’occuper des 95 % qui le sont. En investissant gros dans cette technologie, on risque de retarder la décarbonisation », redoute-t-elle. Au sein des Verts allemands, la future réforme fait aussi débat. « La mer du Nord ne doit pas devenir une poubelle à CO2 », a averti Lisa Badum, présidente de la commission parlementaire sur la protection du climat et de l’énergie.

À ce stade cependant, la levée de boucliers est bien moindre qu’en 2012. Le projet de réforme doit être présenté au Bundestag — l’assemblée parlementaire — courant 2023, afin d’autoriser la construction d’infrastructures commerciales dédiées. Il s’agit, d’une part, de permettre l’exportation de CO2 pour du stockage à l’étranger et, d’autre part, de permettre le stockage sur le territoire allemand, en particulier en mer du Nord. Les projets CCS pourront également toucher des subventions publiques. Une étude des sites géologiques adaptés au stockage a été lancée.

Des pipelines en projet

Berlin suit une tendance mondiale. L’Europe, la Norvège, les Pays-Bas, le Danemark ou encore la Belgique misent sur le CCS. En France, ArcelorMittal a installé un dispositif de captage dans son usine sidérurgique de Dunkerque. Mais c’est en Allemagne que le potentiel de développement de la filière est le plus grand. L’industrie représente près d’un quart des émissions de gaz à effet de serre du pays. L’Allemagne est le premier producteur européen d’acier et de ciment, des secteurs qui misent tout particulièrement sur le CCS pour améliorer leur bilan carbone.

Les grandes entreprises fossiles sont déjà dans les starting-blocks. Dès août dernier, avant même l’annonce gouvernementale, la compagnie pétrolière et gazière allemande Wintershall Dea et le Norvégien Equinor dévoilaient un projet de pipeline de 900 kilomètres de long entre les deux pays, traversant la mer du Nord : d’une capacité de 20 à 40 millions de tonnes par an, il doit acheminer le dioxyde de carbone produit en Allemagne jusqu’à des sites de stockage dans les fonds marins norvégiens. Sa mise en service est prévue « avant 2032 ». Un second projet de pipeline, cette fois entre la région industrielle de Rhénanie-du-Nord-Westphalie et le port de Rotterdam aux Pays-Bas, est porté par un consortium incluant les pétroliers Shell et BP, la compagnie charbonnière RWE, le sidérurgiste ThyssenKrupp et le cimentier Heidelberg Materials.

 

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