lundi 19 décembre 2022

"RENFORCER LA MISE AU PAS DES INSPECTEURS DU TRAVAIL" : QUAND L'ENTÊTEMENT DU POUVOIR LE MENE A UNE IMPASSE FACE A UN SYNDICALISME AU PAIR !

Bête noire de la préfecture de Seine-Maritime, un syndicaliste CGT obtient gain de cause en justice

Pour la première fois, le tribunal administratif de Rouen a infligé sur le fond un sévère camouflet à la préfecture, en conflit depuis plusieurs années avec Gérald Le Corre, syndicaliste CGT et figure de proue du collectif unitaire Lubrizol.

Manuel Sanson (Le Poulpe)

19 décembre 2022 à 18h01 

 

Rouen (Seine-Maritime).– Les meilleurs ennemis. Depuis plusieurs années, l’administration de l’État en Seine-Maritime, préfecture en tête, livre bataille contre sa bête noire syndicale locale, en la personne de Gérald Le Corre, inspecteur du travail et syndicaliste CGT encarté au Nouveau parti anticapitaliste (NPA).

Régulièrement, les deux parties se retrouvent en justice à propos d’un litige découlant du refus de l’État de voir siéger le syndicaliste dans deux instances régionales consultatives, le Conseil régional des conditions de travail (Croct) et l’Observatoire d’analyse et d’appui au dialogue social et à la négociation (OAADSN).

Semaine dernière, nouvel épisode. Après de multiples décisions prises en référé – toutes rendues en faveur du syndicaliste et de la CGT, dont une émanant du Conseil d’État, hormis une dernière à l’avantage de la Direction des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) de Normandie, service de l’État placé sous l’autorité du préfet –, le tribunal administratif de Rouen a fini par rendre une première décision sur le fond de l’affaire, que Le Poulpe a pu consulter. Elle concerne la possibilité pour Gérald Le Corre de siéger à l’OAADSN.

Gérald Le Corre lors d’une manifestation à Rouen, le 17 décembre 2019. © Manuel Sanson (Le Poulpe)

Et c’est un nouveau camouflet pour les services de l’État. Et au premier chef de la préfecture qui, selon la décision consultée par Le Poulpe, avait procédé au retrait de Gérald Le Corre de la liste des membres de l’OAADSN au motif d’un possible « conflit d’intérêts » entre sa qualité d’inspecteur du travail et celle de membre de l’observatoire.

« Le préfet a retenu un motif ayant trait à des éléments extérieurs à la personne de M. Le Corre, soit des éléments relatifs à l’impartialité objective, laquelle, pour être appréciée, doit nécessairement conduire à se demander si, indépendamment de la conduite personnelle de l’individu considéré, certains faits vérifiables autorisent à douter de son impartialité », expose le jugement daté du 15 décembre.

À cette question, la réponse des magistrats est limpide : « En l’espèce, il n’est pas démontré, ni même soutenu, que M. Le Corre se serait déjà trouvé en situation d’interférence entre ses activités professionnelles au sein du système d’inspection du travail et ses activités au sein de l’observatoire. Aucun élément vérifiable permettant de constater une atteinte à l’impartialité ne ressort des pièces du dossier, en ce domaine. »

Selon le tribunal, « l’Observatoire ne constitue pas une instance décisionnair», en conséquence de quoi « le risque d’atteinte à l’impartialité que pourrait faire naître la participation de M. Le Corre à ses travaux, chez un observateur extérieur, apparaît dès lors peu prégnant ».

« La simple appartenance d’un membre de l’Observatoire, représentant des salariés, à la même administration que le représentant de l’administration, ne suffit pas à faire naître un doute sur l’impartialité du membre concerné, ni même, plus largement, à porter atteinte à l’image de l’administration du travail », concluent les juges. Comme un gros caillou dans le jardin de la préfecture.

Hormis cette procédure judiciaire, les relations entre la préfecture de Seine-Maritime, dirigée par Pierre-André Durand depuis plus de trois ans, et Gérald le Corre apparaissent des plus conflictuelles. L’animosité s’était notamment cristallisée au moment où le premier représentant de l’État avait refusé d’accueillir Gérald Le Corre, mandaté par son syndicat, au comité pour la transparence et de dialogue mis en place à la suite de l’incendie chez Lubrizol en septembre 2019.

Gérald Le Corre dénonce régulièrement, avec force et virulence, les carences ou les défaillances des services de l’État et du gouvernement sur de très nombreux sujets, en particulier dans la gestion du dossier Lubrizol, mais aussi sur les problèmes d’amiante à la cité administrative et aux suites de la grave explosion survenue sur le site Saipol à Dieppe.

« Le ministère du travail entend donc remettre en cause le droit – prévu par les conventions de l’organisation internationale du travail – des organisations syndicales de choisir librement leurs représentants sans que l’État ne s’immisce dans cette désignation. À croire qu’il souhaitait choisir lui-même ses interlocuteurs syndicaux en fonction de leur degré de docilité ! L’objectif est clairement de renforcer la mise au pas des inspecteurs du travail considérés comme trop indépendants et trop proches des travailleurs – alors même que le cœur de leur métier est de tenter de faire appliquer un Code du travail censé protéger les travailleurs – et de mettre un frein à leur engagement syndical interprofessionnel », s’insurgeait la CGT dans un communiqué publié en amont d’une décision rendue en 2020 par le Conseil d’État.

Les services de l’État disposent d’un délai de deux mois, à compter de la notification de la dernière décision du tribunal administratif de Rouen, pour faire appel. Vers un nouvel épisode ?   

Manuel Sanson (Le Poulpe)

 

 

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