lundi 5 décembre 2022

'LE MONDE' S'AFFICHE SOLIDAIRE DE 'REPORTERRE' ET CONTRE "LA CRIMINALISATION DE L'ACTIVISME ENVIRONEMENTAL




« Appartenir à un média axé sur l’environnement semble être devenu un indice de complicité ou de collusion »

Des journalistes de « Reporterre », média dévolu à la question écologique, ont été verbalisés à plusieurs reprises et l’un d’eux est renvoyé devant le tribunal correctionnel. Il s’agit de l’une des conséquences de la criminalisation de l’activisme environnemental, estime dans sa chronique Stéphane Foucart, journaliste au « Monde ».

Publié hier à 07h00 / Le Monde


Grégoire Souchay est journaliste depuis dix ans, spécialiste d’environnement, d’énergie ou d’habitat. On peut lire son travail dans le journal en ligne Reporterre ou le quotidien Libération. On pourra le rencontrer, un jour non encore fixé du printemps 2023, au tribunal judiciaire de Rodez, où il comparaîtra pour avoir, le 10 novembre 2021, « frauduleusement soustrait des sacs contenant des semences de colza » et les avoir « volontairement dégradés ou détériorés ».

Le journaliste était bien présent ce jour-là dans les entrepôts du semencier RAGT, à Calmont (Aveyron). Mais il l’était pour couvrir une action du mouvement des Faucheurs volontaires – venus éventrer des sacs de semences de cultures rendues tolérantes aux herbicides –, non pour prendre part à leur action. Son article a paru deux jours plus tard.

Des consœurs et des confrères d’autres médias étaient aussi présents ce jour-là, mais seul le journaliste de Reporterre a été inquiété. Comme l’a raconté Aude Dassonville dans Le Monde, c’est la troisième fois que les journalistes du média consacré à l’environnement sont ainsi spécifiquement ciblés. En juin et en octobre 2020, de nombreux journalistes couvraient l’occupation de pistes des aéroports d’Orly et de Roissy : seuls ceux de Reporterre ont été verbalisés et-ou placés en garde à vue.

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Soit ces journalistes sont victimes d’un hasard malheureux et extraordinaire, soit il se joue autre chose dans cette succession d’entraves à la liberté d’informer. Comment ne pas voir, dans cette discrimination manifeste, un dangereux amalgame ? Le seul fait d’appartenir à un média axé sur l’environnement semble être devenu, aux yeux des forces de l’ordre et du procureur, un indice de complicité ou de collusion.

Enregistrements effacés

Ce glissement ne doit pas surprendre. Il tient, d’abord, à la criminalisation rampante de l’activisme écologiste. Depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir en 2017, cette tendance n’a cessé de s’accentuer, en même temps que le spectre des actions potentiellement répréhensibles s’élargissait toujours plus. En 2019, une convention signée entre le ministère de l’intérieur et les syndicats agricoles productivistes gravait dans le marbre cette tendance, en créant la cellule de gendarmerie Demeter. Avec comme objectif non seulement de lutter contre les délits visant le monde agricole, mais aussi de prévenir « des actions de nature idéologique » pouvant n’être que de « simples actions symboliques de dénigrement ».

L’activité journalistique entre-t-elle dans cette dernière catégorie ? Il n’est en tout cas pas très étonnant que l’assignation des forces de l’ordre à de telles missions crée une sorte d’ambiance. Fin mars 2021, une journaliste allemande en reportage en Argoat, travaillant sur le modèle agricole breton, échange quelques mots désagréables avec un exploitant et enregistre. Elle voit avec stupéfaction des gendarmes débarquer le soir même à son hôtel, accompagnés de l’intéressé, lui intimer d’effacer ses enregistrements. Sous les insultes de son détracteur, elle doit s’exécuter. Cette histoire a été racontée dans Le Monde et ailleurs ; elle n’a soulevé aucun émoi particulier.

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