mardi 6 décembre 2022

ENTRETIEN DE CL. GUETTE A 'REPORTERRE' : LE PROJET GOUVERNEMENTAL MONTRE UNE ABSENCE DE VISION EN TERMES DE POLITIQUE ENERGETIQUE.

EntretienÉnergie

Clémence Guetté : « Le projet de loi sur les énergies renouvelables manque de logique »

Le projet de loi sur l’accélération de la production d’énergies renouvelables arrive lundi 5 décembre à l’Assemblée. La France insoumise a préparé une contre-proposition au texte gouvernemental sous la forme d’amendements.

Clémence Guetté est députée — La France insoumise (LFI) — du Val-de-Marne. Elle a travaillé sur l’acceptabilité et les modalités de déploiement des énergies renouvelables en France. Elle est également à l’origine d’une proposition de loi sur la souveraineté des énergies renouvelables.



Reporterre — Vous avez été corapporteuse d’une « mission flash » sur l’acceptabilité des énergies renouvelables en France. Quel était son but, et quelles ont été ses conclusions, rendues le 9 novembre ?

Clémence Guetté — C’était un rapport commandé par la commission du Développement durable. Nous étions trois rapporteures (alors qu’il n’y en a que deux habituellement) : une députée du Rassemblement national [Mathilde Paris], une députée macroniste [Pascale Boyer] et moi-même pour la France insoumise. Je pense que la volonté du président de la commission (et donc du gouvernement), était de tâter le terrain sur les positionnements de chacun, sur l’acceptabilité des énergies renouvelables (ENR) et, in fine, sur nos positions vis-à-vis du texte examiné en ce moment.

Nous avons auditionné une trentaine d’acteurs très différents de la filière des ENR : des petites entreprises, des syndicats de salariés, de patrons, des associations de protection de la biodiversité, des collectifs d’opposants… Nous avons ensuite rendu un rapport avec des préconisations communes très succinctes. Pour moi, c’était quand même une victoire idéologique puisqu’elles actaient des positions défendues par la France insoumise depuis longtemps : la nécessité d’une planification, la nécessité d’une concertation, et le manque de moyens actuels.

Je me suis tout de même interrogée sur l’utilité de cette mission flash : nous avons travaillé alors qu’en réalité, le projet de loi du gouvernement sur l’accélération des énergies renouvelables était déjà écrit.



Ce projet de loi sur l’accélération de la production des énergies renouvelables va justement être examiné par les députés pendant deux semaines, à partir du 5 décembre. Que pensez-vous de ce texte ?

Le gouvernement reconnaît qu’on a pris du retard sur le développement des ENR en France, et que nous sommes les seuls à ne pas respecter nos objectifs parmi les pays européens [1]. Il est d’accord pour dire que nous devons accélérer. C’est bien.

Mais il y a un problème de calendrier. Ce projet de loi arrive avant la loi de programmation quinquennale sur l’énergie et le climat (LPEC) de l’année prochaine, et avant la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). On n’a pas encore défini quel mix énergétique on voudrait, le nucléaire est déjà relancé, mais on dit qu’il faut accélérer sur les renouvelables par une série de simplifications administratives ! Tout cela manque de cohérence. Ce projet de loi montre une absence de vision en matière de politique énergétique de la part du gouvernement.

« Ce projet de loi montre une absence de vision en termes de politique énergétique de la part du gouvernement. » © Cabinet de Clémence Guetté



Le gouvernement essaie pourtant de « planifier » le déploiement des ENR. Il propose notamment la création de « zones d’accélération pour l’implantation d’installations de production » d’ENR

Ils affichent une volonté de planification, sans mettre de contrainte légale. Ces zones sont le cœur de leur projet de planification, mais elles sont non contraignantes dans l’atteinte des objectifs, et rien ne dit que les développeurs d’ENR ne peuvent en installer en dehors. En gros, ce sont des zones qui ne servent à rien ! Il faudrait que ce soit modifié pour qu’on voie un vrai volontarisme.

À la France insoumise, on pense qu’il faut se fixer des objectifs nationaux et les décliner territorialement. Les faire respecter dans les documents d’urbanisme : le plan local d’urbanisme (PLU) au niveau communal, le schéma de cohérence territoriale (Scot) au niveau des groupements de communes… On doit ensuite élaborer des plans climat air énergie départementaux, qui coïncident avec les plans et schémas régionaux. Il faut mailler les échelons, et les rendre contraignants. Avec tout ça, on aboutit à une planification nationale.

Aujourd’hui, on a des objectifs nationaux… et puis rien derrière. Le gouvernement ne respecte pas ses objectifs, parce qu’il ne s’est pas donné les moyens de les respecter.



Les conclusions de votre « mission flash » montraient cette nécessité de planification, mais aussi de concertation. Est-ce suffisamment prévu dans le projet de loi aujourd’hui ?

Non. C’est un présupposé du texte : la concertation ferait perdre du temps. Or c’est complètement faux, un rapport du Cese a montré tout l’inverse.

Il faut davantage de concertation. On voit que dans les communes où c’est bien fait, où du temps y est accordé, où les gens ne sont pas sous contrainte, les ENR sont bien mieux acceptées qu’ailleurs. Mais pour ça il faudrait des moyens supplémentaires pour la CNDP [Commission nationale du débat public].

Ce serait intéressant que le débat national soit décliné jusqu’à l’échelle communale. Il y aurait des débats dans chaque ville : pour discuter du mix énergétique qu’on veut, des énergies qu’on souhaite mettre près de chez soi, à quoi ça ressemblerait, quelles seraient les alternatives, combien d’emplois cela créerait… pour faire des choix en conséquence. Si des moyens et un calendrier exigeants étaient mis en place, cela changerait tout pour le développement rapide des ENR en France. Ça, aujourd’hui, ça n’existe pas du tout. Pire, c’est vécu comme une cause du retard.



Le projet de loi a été modifié, depuis son passage devant le Sénat. Qu’en pensez-vous ?

Le gouvernement a enlevé ce qu’il y avait de pire dans l’avant-projet de loi. Ils ont retiré l’article 3, qui permettait de relever tous les seuils à partir desquels les projets d’ENR sont soumis à évaluation environnementale. Ils se sont rendu compte que c’était une ligne rouge à ne pas franchir, qui allait leur aliéner toute la gauche.

« Il faut davantage de concertation. On voit que dans les communes où c’est bien fait, où du temps y est accordé, où les gens ne sont pas sous contrainte, les ENR sont bien mieux acceptées qu’ailleurs. » © Cabinet de Clémence Guetté

À la fin de l’examen au Sénat, ils ont aussi enlevé le « droit de veto » des maires qui pouvaient s’opposer à tout projet d’énergie renouvelable. Le plus clivant a été retiré. Mais en l’état actuel des choses, on ne peut pas voter pour ce projet de loi qui laisse les mains libres au secteur privé, sans réelle planification publique des ENR. Avant l’examen en séance, qui peut encore permettre d’améliorer le texte, à la France insoumise, on hésite entre l’abstention et le vote contre.



Est-ce que l’ajout ou le retrait d’autres éléments dans le texte, durant les deux semaines d’examen à l’Assemblée nationale, pourrait vous faire changer d’avis ?

Il y a des choses qu’il faudrait enlever. Le gouvernement veut mettre en place une sorte de ristourne sur la facture. Pour le dire simplement, leur logique est la suivante : vous habitez à côté d’une éolienne et vous ne trouvez pas ça beau ? Vous payez moins cher votre énergie. Cette disposition me semble négative, rien que dans la perception, parce que cela implique que les énergies renouvelables sont un dommage et que vous devez être réparé pour subir cette nuisance. Cela n’améliore pas l’image que peuvent avoir les ENR, et c’est de nature à cristalliser des oppositions, entre les ruraux et les urbains notamment.

Je pense aussi qu’il serait judicieux d’enlever l’agrivoltaïsme de ce projet de loi. C’est une nouvelle pratique, qui pose question sur la rémunération actuelle insuffisante des agriculteurs et sur notre souveraineté alimentaire qui peut être menacée si l’on grignote les terres agricoles. Cela mériterait un projet de loi à part entière, pour discuter réellement de cette question.

Pour le photovoltaïque, il faut privilégier le bâti et les surfaces déjà artificialisés. Mais le gouvernement s’est ramolli sur cette question : pour le moment, seuls les parkings de plus de 2 500 m² sont traités par le projet de loi. Ce n’est pas assez ambitieux. Il faut aussi une meilleure planification de l’éolien en mer. Ou encore avoir davantage de vision sur la géothermie, ou d’autres formes d’énergie moins visibles.

Sur la question industrielle, il faut au minimum des critères sociaux et environnementaux pour la production des équipements d’ENR.



Est-ce un point de vue partagé dans toute la Nupes ?

Nous avons préparé l’examen de ce projet de loi tous ensemble en se réunissant pour ajuster nos positions. Nous sommes assez concordants sur l’intérêt qu’il y aurait à développer un pôle public de l’énergie ; sur le respect de la biodiversité et du droit de l’environnement à garder en tête ; sur la priorité qui doit être mise sur les terres déjà artificialisées (et où aucune renaturalisation n’est possible), les toitures et les parkings pour le développement du photovoltaïque… Nous sommes également sceptiques vis-à-vis de l’agrivoltaïsme, je l’ai dit : cette pratique ne doit pas être concurrente de notre souveraineté alimentaire et de la production agricole, qui sont déjà en danger.

La position de vote finale, chacun la déterminera. Par contre, il est clair qu’à ce stade, ce texte ne déclenche l’enthousiasme d’aucun groupe. C’est symptomatique, parce qu’il s’agit quand même du premier texte de ce mandat où le gouvernement essaie de s’adresser à nous pour nous convaincre.



De votre côté, vous avez préparé une proposition de loi visant à « garantir l’emploi et la souveraineté stratégique pour les filières industrielles renouvelables ». C’est une sorte de contre-proposition ?

Disons-le : c’est un outil pour être dans le rapport de force, pour mettre la pression sur le gouvernement. On l’a déclinée entièrement par amendements, dans l’espoir qu’ils soient repris et votés dans le projet de loi. Les premiers signataires sont issus de plusieurs groupes. L’idée, c’est aussi de souligner le manque de logique du gouvernement sur cette question : il y a une absence de vision sur le coût écologique de la production et de l’importation, sur la création d’emplois, de formations, et surtout un manque d’anticipation. Le fait qu’ils annoncent qu’il y aura peut-être des coupures d’électricité volontaires cet hiver le prouve. Avec cette proposition de loi, au contraire, le but est de réfléchir et d’anticiper les besoins qui vont n’être que croissants sur ce sujet.

« Nous pensons aussi qu’il faut essayer de faire une filière ENR française qui va d’un bout à l’autre de la chaîne : de l’écoconception jusqu’au recyclage. » © Cabinet de Clémence Guetté



Quelles sont vos propositions ?

Nous avons plusieurs axes. Le premier est de soutenir la recherche, pour faire émerger des filières nationales d’ENR. Le deuxième est sur la question de la formation : l’idée est de créer un comité de l’emploi et des compétences liées aux ENR, à la fois au niveau national et au sein de chaque région puisque c’est aujourd’hui leur compétence.

Ensuite, le but est de mettre en place des aides d’État aux entreprises françaises. C’est une forme de protectionnisme pour protéger les filières et garantir un maximum d’étapes de la chaîne de fabrication réalisée sur le sol français. Il faut interdire la vente de ces entreprises stratégiques à des pays et des intérêts étrangers dans les années qui viennent.

Nous pensons aussi qu’il faut essayer de faire une filière ENR française qui va d’un bout à l’autre de la chaîne : de l’écoconception jusqu’au recyclage. Ça permet là aussi de créer des emplois. Le dernier axe est de développer la recherche dans les Outre-mer. À la France insoumise, plusieurs députés ultramarins étaient très déçus quant au fait que, encore une fois, il n’y avait absolument rien dans le projet de loi du gouvernement qui pouvait correspondre à leur territoire.

En clair, il faut qu’on se pose les bonnes questions : accélérer le déploiement des ENR, ce n’est pas n’importe quelle ENR, pas n’importe où, pas n’importe comment, pas développé par n’importe quel type d’industrie, et pas sans création d’emplois en France.

 

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