L’Algérie a commencé à prendre ses distances avec la Russie, un allié politique de longue date et son principal fournisseur d’armes. Le ministère de la Défense algérien a annulé l’exercice militaire conjoint et symbolique qui devait avoir lieu fin novembre à Hammaguir, dans la province de Béchar, à une cinquantaine de kilomètres de la frontière avec le Maroc.

Baptisé “Bouclier du désert”, il s’inscrivait dans le cadre de la lutte antiterroriste et devait réunir les forces spéciales des deux pays, bien qu’environ 80 militaires russes seulement dussent y participer. Il avait été annoncé le 5 avril par le commandement de la région militaire sud de la Fédération de Russie à l’issue d’une première réunion de planification entre des officiers des deux pays à Vladikavkaz (Ossétie du Nord).

Pas d’explications

Lorsque les médias algériens et étrangers ont propagé la nouvelle de l’annulation, le ministère de la Défense algérien ne l’a pas confirmée ni démentie. Ce n’est que le 28 novembre qu’il a fait savoir dans un communiqué diffusé par la télévision publique EPTV (ex-ENTV) que “l’exercice tactique conjoint prévu dans le cadre de la coopération avec l’armée russe pour lutter contre le terrorisme”, entre le 16 et le 28 novembre “n’avait pas eu lieu”, sans donner d’explications.

Le prochain signe de distanciation sera sans doute la renonciation du président algérien, Abdelmadjid Tebboune, à sa visite officielle à Moscou, prévue en décembre, pour signer un document approfondissant la “relation stratégique” entre les deux pays.

Initialement prévu en juillet dernier, le voyage avait été reporté. L’ambassadeur russe en Algérie, Valerian Chouvaïev, avait déclaré à l’agence de presse russe Sputnik que Tebboune ferait le voyage avant la fin de l’année, mais selon des sources algériennes ce ne sera pas le cas.

L’inefficacité des armes russes en regard de celles fabriquées en Occident, qui a été démontrée par la guerre en Ukraine, l’affaiblissement du Kremlin en tant qu’allié politique et l’insistance des États-Unis pour que l’Algérie réduise ses liens avec Moscou sont les trois raisons qui poussent le président Tebboune à introduire quelques nuances dans sa politique étrangère.

“Amicales” pressions américaines

Lors d’une conférence de presse, le 21 novembre, l’ambassadrice américaine à Alger, Elisabeth Moore Aubin, a minimisé l’initiative des 27 membres du Congrès américain (sur 535) qui ont demandé au président Joe Biden de sanctionner l’Algérie pour ses achats d’armes à la Russie.

Au cours de la dernière décennie, l’Algérie a été le troisième gros client de la Russie, après la Chine et l’Inde. L’ambassadrice a néanmoins signalé qu’elle avait demandé aux autorités algériennes de réduire leurs importations d’armes russes.

“La question des armes russes est très importante pour les États-Unis”, a-t-elle déclaré avant d’assurer que l’Algérie était “un partenaire stratégique pour les États-Unis”. “Nous avons conseillé à nos partenaires qui achètent des armes à la Russie de diversifier leurs sources d’approvisionnement et de se tourner vers des fournisseurs non russes, a-t-elle précisé. Et nous entendons les responsables algériens lorsqu’ils disent qu’ils sont déterminés à diversifier leurs approvisionnements d’armes.”

Le discours amical de l’ambassadrice s’explique en partie par le fait que, l’armée française s’étant maintenant retirée du Mali, les États-Unis veulent pouvoir compter sur l’Algérie dans la lutte contre les groupes djihadistes qui déstabilisent le Sahel.

Si l’Algérie a augmenté de 130 % le budget alloué à la défense pour 2023 (il atteindra 23 milliards d’euros, soit 15 % du PIB), c’est en grande partie pour acheter des armes sur d’autres marchés et se doter des moyens d’intervenir au-delà de ses frontières en cas de besoin.

La hausse des prix des hydrocarbures génère d’importants revenus pour l’État algérien, et il peut donc se permettre cette énorme augmentation de ses dépenses de défense.

À la recherche de nouveaux partenaires

Le ministère algérien de la Défense avait prévu d’acheter à la Russie une batterie côtière de missiles antinavires (3K55), mais l’a remplacée par un système mobile chinois (YJ-12E). Il a également commandé à la Chine des drones Falcon et des missiles de portée courte (SY-400).

Pour diversifier ses fournisseurs, l’Algérie s’est également inscrite sur la liste d’attente (qui comptait déjà 22 pays) pour acheter des drones iraniens, comme l’a révélé en novembre le général Yahya Rahim Safavi, conseiller militaire de l’ayatollah Ali Khamenei. Mais même si l’Algérie réduit sa dépendance à l’égard de la Russie, son armée, qui est la plus importante d’Afrique après l’armée égyptienne, possède de telles quantités d’armes de fabrication russe qu’elle va devoir prolonger ses contrats d’entretien et de maintenance avec la Russie pendant plusieurs décennies. Reste à savoir si les entreprises russes, fortement impliquées dans la guerre en Ukraine, pourront les honorer.

La diversification entreprise par l’Algérie n’est pas seulement militaire. Le mois dernier, Alger a signé un nouvel accord stratégique de cinq ans avec la Chine afin d’intensifier la coopération entre les deux pays dans tous les domaines, à commencer par l’économie.

L’amélioration spectaculaire des relations avec la France, soulignée par la visite du président Emmanuel Macron en août, atteste également de la diversification en cours. De surcroît, Leila Zerrouki, une diplomate algérienne de haut rang, a annoncé le 7 novembre que son pays avait demandé à rejoindre le groupe des BRICS, une alliance essentiellement commerciale dont font partie la Chine, l’Inde, la Russie, le Brésil et l’Afrique du Sud.

Au sein de ce club, la Russie est pour l’heure le pays qui a le plus de liens avec l’Algérie. C’est peut-être la raison pour laquelle le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Mikhaïl Bogdanov, a été le premier à souhaiter publiquement la bienvenue au candidat nord-africain.